DÉSERTS
A
bien y regarder, le désert est l'un des personnages principaux
du SDR. Il est la réponse immédiate du livre à
l'anéantissement de Merzin ("Mais le sable n'a aucune importance
dans cette histoire"). Il n'est qu'une séquence
isolée dans le texte original, une séquence en
dérive qui décrit d'abord les interrogations d'un
meurtrier dans le désert, devant sa victime inerte, son retour
en ville marqué par une quête impossible (l'Ivresse "fut
bien ici, autrefois, mais elle n'y est plus...") avant d'évoquer
une série de souvenirs cruels : l'enfance de Vertuns, la
disparition d'une jeune fille qui voulait se marier à Dieu,
enfin les déboires d'Arold Stephenberg.
Le chapitre "Déserts ! Le moment est venu" a fait l'objet de
nombreuses reprises, dès 1991. En 1998, il prend la forme d'un
récit circulaire qui fait la conclusion du recueil publié
chez le Chasseur abstrait dix ans plus tard, L'intérieur extérieur.
Cette version écarte un épisode particulièrement
absurde où Stephenberg, las de ses concitoyens, s'enfuit au
désert et devient malgré lui roi d'un monde qu'il rejette
tout autant. Malheureusement, quand il retrouve le désert, Arold
Stephenberg se fait trucider par un Napoléon Bonaparte factice,
qui n'est d'ailleurs qu'une "pseudo-réalité". Ce
développement apparaît dans le SDR (2010) en conclusion de
la troisième partie, "Abstractions réalistes".
L'épisode du désert est assurément l'une des
matrices les plus productives du SDR.
Le désert resurgit très rapidement dans le SDR 1. C'est
l'expérience qu'en fait un révolutionnaire affecté
par une disjonction temporelle (la nuit succède
immédiatement au matin). Après des désordres qui
transforment son parcours dans la ville en cauchemar, le personnage se
retrouve propulsé dans un désert qu'il tente de parcourir
jusqu'à épuisement. Heureusement (?), il est sauvé
par le metteur en scène Jack Ern-Streizald qui vient le chercher
en jumbo-jet, sous l'oeil des caméras du monde entier.
Ces épisodes initiaux ont fait l'objet de variantes et de
développements nombreux qui ont amplifié l'emprise du
thème désertique sur le SDR. Deux parties du SDR (2010)
sont issus de la restauration "épistémologique" du roman
en 1999 : "Merzin détruit" et "Jumbo-jet". Les
expériences du désert se multiplient et perturbent la
société par les désordres qu'elles provoquent. Une
"idéologie du désert" se répand, qui prend
appui sur le fait divers merziniaque. Certains recherchent
l'expérience du désert tandis que d'autres la subissent. Joe
R. confronté à une fissure
dans le sol tente de la déchiffrer comme si elle contenait un
message
inexprimable ; un artiste conceptuel couvre des murs mal
façonnés de
peinture noire qui ne sèche jamais et forme de gros bouillons
dans les
cratères du mur. Le meurtrier à l'origine de toutes les
disgressions qui ont suivi est également évoqué
par une mystérieuse "princesse néantiste".