Ce malheureux adolescent aura eu cette double idée – d'un roman et de son explosion en vol.
La chose lui était évidente et pour autant il ne parvenait pas à l'exprimer : « La facilité d'écriture », lui disait-on, « dilue votre propos ».
La réalité était l'objet de ce roman énigmatique. Il a cherché à comprendre ce qu'était cette chose pour tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, paraissaient la posséder : religieux, militants politiques, professeurs, simples quidams sûrs de leur fait...
Il s'est engagé, même ! Dans des fiascos sans nom il est vrai. Mais de fiasco en fiasco, le jeune homme sans cesse défait a conduit sa petite entreprise de poterie sérielle.
Ces pots se fondaient dans l'anonymat de la réalité : c'était exactement ce qu'il voulait.
Pendant ce temps, le roman ne cessait d'exploser... et les ordinateurs avec ! Il en était à son huitième ordinateur sur une période d'à peine cinq ans. Sur 10 000 pages rédigées, il lui en restait peut-être 800.
Parfois il rêvait de ces pages perdues : il les retrouvait en des lieux disparus, projetés de plus de vingt ans en arrière. A l'éveil, rien ne restait que l'image de ces textes malhabiles et authentiques.
Finalement, l'expérience acquise n'avait d'autre sens que de s'ériger en « fleuve non guéable » qui séparerait à jamais ce pauvre garçon de sa propre histoire.
Le récit ne cessait d'imploser (plutôt qu'exploser). Il en ramassait des bris qui disparaissaient pour une part non négligeable quand se déversaient (assez bizarrement, il faut dire) de gros torrents de boue instantanés, en des lieux inadéquats, des salons ou de grands magasins.
Alors, il ramassait et buvait parfois la boue, espérant que le goût le ramènerait à d'anciennes impressions. Il ne voyait plus que la boue autour de lui. Tout était déserté. Le soleil cognait mais la boue était intarissable.
Il avançait péniblement quand un homme l'a abordé pour lui proposer une fille dont il montrait la photographie en même temps qu'il vantait ses incroyables mérites. L'adolescent s'est enfui, épouvanté par le visage carré et la stature massive de l'homme qui, en plus d'être proxénète, pouvait bien être un meurtrier.
Sitôt rentré chez lui, il a voulu écrire quelque chose sur cette méchante rencontre. Il lui manquait une pièce dans la sorte de puzzle qu'était réellement la relation de l'épisode, pourtant. « De quoi m'a parlé ce monsieur, au fait ? »
Certes, le criminel au visage rocailleux et craquelé par d'étranges pustules grises lui avait vanté les qualités d'une fille qu'il proposait pour un bon prix (son visage se crispait en un sourire bizarre à ces mots) mais il parlait beaucoup et vite et passait d'un sujet à l'autre, très rapidement : « Tu feras la vaisselle, ensuite ! » Et il rigolait en sortant un couteau : « Uh, uh ! Je plaisante, gamin ! » Mais encore. - Pourquoi le repris de justice lui avait-il donc parlé d'Alain Merze quelque chose ?