Le gardien de la mer






Il fallait que je parte et le voyage me prit trois jours. J'étais certaon de ma destination et autre chose m'était assurée qui était le logis, une petite cabane au-dehors de la ville, une cabane qui était, je l'appris de la bouche des villains, la gardienne de la mer. « La mer furieuse ! », a-t-on coutume de dire en Mérysie. « C'est la cabane qui l'apaise ! » Et de me regarder : « Vous resterez longtemps, monsieur ? Qu'en savez-vous ? » J'empruntais alors un air fier --- mais je n'en savais rien du tout ! Je ne faisais qu'attendre, sans même savoir quoi...


Je m'étais décidé à demeurer en Mérysie tant que le ciel ne me permettrait pas un mouvement, même le moindre. Je restais étendu sur mon lit, que l'on disait « de mort » parce qu'il est ardu d'y trouver le sommeil et qu'après même y être parvenu, on ne bénéficie d'aucun repos. On est continuellement secoué par de fort songes, des cauchemars et surtout par de vives réminescences de crimes, qu'en d'autres vies on aura pu commettre ou peut-être subir ; je restais sur mon lit, je songeais à travers moi, dans un écho discontinu mais qui m'apprit, comme il ne se dissipait pas, que j'étais clos. Je m'étais enfermé, peut-être par mégarde, après m'être endormi, à moins qu'il ne se soit agi de transes, de ces transes qui vous surprennent ici-bas en raison des chaleurs excessives. J'étais seul, confronté à cette inlassable revenance dont je sus mal que c'était toujours elle. 

Je m'adressais toujours à elle car dans ma solitude étendue, je ne faisais que pourchasser les ombres dont parfois je rencontrais la source – et c'était toujours elle, peut-être afin de me raconter, après s'être heurtée aux cloisons de mon âme, qu'elle avait entendu un grand fracas au moment même on muait sa carne mémorielle. « Car tu as encore fait l'amour aux murs », voulus-je la surprendre. Elle feignit de ne pas m'entendre et m'incita d'une lumière phosphorescente à marcher avec elle direction du cataclyme présumé. « Es-tu bien sûre de l'avoir entendu ? », lui demandai-je. « Puisque j'existe, oui. », répondit-elle avec mépris. « Es-tu bien sûre ? », insistai-je en riant doucement, « de ton chemin ? ». Elle ne répondit pas. Nous marchâmes main dans la main avec une lenteur merveilleuse. Nous allâmes d'un pôle à l'autre. Seulement parfois je crus que j'allais m'éveiller, transporté par un vent cuisant. « Est-ce que nous flottons ? », demandais-je en jouant la pure naïveté qu'aucune enfance ne me prêta jamais. Ma revenance, inquiétée par ces arbres sans feuillage autour de nous qui jalonnaient notre chemin et écartelaient le glacis bouillonnant du sol, ne me répondit pas. « Nous y voici ». Et ce fut tout.


Fus-je éveillé à ce moment ? Ce n'était que la mer qui rugissait, qui cognait la falaise et le soleil, je l'observais en revenant à moi, se laissait dévorer par un gros nuage lourd. Je poursuivis la marche que j'avais interrompue, empruntant des sentiers dont j'avais peine à croire qu'ils étaient à ce point imaginaires. Ce qui m'en fit prendre conscience et qui me fit encore douter – tout allait s'écrouler, croyais-je. Pourquoi continuer ? -- C'est que je ne rencontrais pas un villain. Je n'eus pas même à traverser la ville. Le paysage aussi était bouleversé, comme après un orage très violent – mais qui n'était (je le savais car on me l'avait dit mais je n'y croyait qu'indécidément) que le fruit inconséquent de mes sens renversés. Ceux-ci, m'avait-on expliqué, ne font que réfléchir ce qui les heurte. « Il n'y aura aucun danger ! », m'avait-on dit. « Vous n'aurez rien pour vous défendre ». A ce point dénué, je n'eus à décider de rien. Je marchais, m'arrêtais, rencontrais d'étranges âmes qui n'étaient que des fragments de la mienne, pulvérisée, devenue étrangère et insolite – mais qu'étais-je désormais puisque je n'étais plus elle ? Je ne m'en souciais guère alors. Je ne fis que marcher. Lorsque je m'arrêtais, c'est qu'on m'y conviait, c'était en quelque sorte le signal d'une partance qui me dissociait du corps marcheur que j'étais presque, au point que, passé quelques milles, je ne fus plus qu'une partie infime de moi-même et la pousière que j'avais orgueilleusement foulée aux premiers jours de mon voyage, il me fallait l'escalader, ce qui s'avéra fort pénible au bout du compte.