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 Article publié le 12 juillet 2015.

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Je me méfie des pays où il est socialement plus acceptable de voir deux hommes un fusil à la main que de voir deux hommes qui se tiennent par la main.

goodreads.com/author/show/167699.Brian_Whitaker - Brian Whitaker, goodreads.com/work/quotes/1149874 - Unspeakable Love : Gay and Lesbian Life in the Middle East

 

 

Généralement on ne devient pas -et on ne choisit pas d’être- homosexuel : on naît homosexuel. L’origine de l’homosexualité est davantage à chercher dans la biologie des individus que dans l’attitude de leurs parents ou dans des décisions conscientes des sujets concernés.

Jacques Balthazart, Biologie de l’homosexualité, Mardaga, Bruxelles, 2013

 

 

1

 

Le sourire de Stan Laurel

 

 

Naît-on homosexuel et pourquoi ?

La première question paraît relever de la science et l’autre de la morale mais en vérité les deux relèvent de la morale car, si les homos naissent ainsi, s’ils sont les gauchers de la sexualité, on se demande pour quelle raison la société persiste à les contrarier.

Quand je dis contrarier, c’est par politesse. Une contrariété qui vous conduit en prison dans 76 pays, dont le Maroc, et à la mort dans une dizaine d’entre eux, pour ce qui n’est, peut-être, après tout, qu’ une prédisposition génétique, irrite tout de même un peu la conscience de l’ honnête homme.

 En tout cas ces deux questions paraissent, aux esprits peureux, également importunes. C’est pourquoi il convient d’ adopter, dans le raisonnement, la prudence qui prévaut aujourd’hui et qui consiste à inviter le lecteur à accompagner l’ enquête pour lui laisser le soin de choisir entre les réponses.

Depuis cinquante ans la littérature, qui était péremptoire jusqu’à la deuxième guerre mondiale, se réfugie dans l’incertitude. Elle pratique le scrupule permanent. Elle s’interroge sur sa propre démarche. Un auteur vraiment moderne, pour se faire accepter, doit décrire la vérité comme multiple, complexe, inconnaissable. Il rendra compte de ses efforts pour l’approcher sans l’énoncer jamais. Il invitera, par exemple, le lecteur à lire son journal de bord par dessus son épaule.

Cela tombe bien : sur la question, le mien est assez fourni. Pour la commodité du raisonnement je l’ai laissé ouvert à une date récente, celle du 13 octobre 2014 où il s’agit du Pape. Voilà de quoi heurter les esprits laïques. Qu’ils se rassurent, si je mentionne sa silhouette blanche c’est de manière anecdotique. Je me contente de relever dans mon journal la popularité de son sourire : tendre, plein, exempt de toute réserve, un sourire d’enfant. Je m’interroge sur l’origine de la sympathie qu’il inspire à tout le monde. Le spectacle télévisé de la passation de pouvoir entre lui et l’ancien pape revient à ma mémoire. Le démissionnaire fait le tour de Rome dans un hélicoptère blanc. C’est un spectacle d’une extraordinaire beauté. Les gens le saluent aux fenêtres avec leur mouchoir. On se souvient d’ Exodus, du Jour le plus long, de l’enterrement de Gandhi, du triomphe de Neil Armstrong à New-York.

Après quelques heures de conclave, marquées par une interminable cérémonie de signature où les cardinaux défilent devant un registre ouvert, le nouvel élu s’adresse à la foule. Dès le début son visage me dit quelque chose. Mais l’explication me saute aux yeux huit mois plus tard, ce fameux jour d’octobre 2014, pendant que je rêvasse, le nez sur l’écran, en humant mon café : quelqu’un fait observer sur sa page facebook que le Pape ressemble à Stan Laurel.

Il a entièrement raison. Il suffit de chercher les deux noms dans le répertoire iconographique mondial pour mesurer cette ressemblance. Le pape ami des pauvres et Stan Laurel, le compagnon d’Oliver Hardy, le patron des paumés, des craintifs et des pleurnichards arborent tous deux le sourire du brave type qui essaie de faire excuser sa bonté, et qui m’a toujours serré le coeur. Comme il arrive, parfois, quand le démon de la coïncidence attire votre attention plusieurs fois sur le même personnage dans la même journée, le Pape François prononce, quelques heures après, une phrase qui agit sur moi comme ces barbes d’ivraie qui remontent le long de vos manches pour vous piquer l’aisselle : poursuivant une diplomatie verbale assez habile depuis sa nomination, il déclare que "les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne".

Pour s’exposer au schisme, le Pape doit avoir de bonnes, d’excellentes raisons de soupçonner que la thèse du péché contre-nature ne tient plus debout. Lesquelles ? d’où viennent-elles ? Qui a intérêt à voir surgir une vérité importune à ce sujet, et qui voudrait encore l’étouffer et pourquoi ?

Ce jour-là l’idée d’une sorte de brique, de parpaing romanesque à la Dan Brown, à la Umberto Eco, à la Tom Clancy jaillit dans mon esprit déjà échauffé. On devine dans cette affaire tous les ingrédients du thriller international mais surtout le premier d’entre eux, qui est la révélation.

 

 

2

 

La mouche du Pape

 

Il suffit de lever les yeux sur le plafond de la Sixtine pour se demander où l’ Eglise a bien pu avoir la tête avant le 13 octobre 2014. C’est une question qui m’a longtemps intrigué. Les cardinaux ont, certainement, toujours admis l’existence des "dons et qualités" des homosexuels quand ils ne les possédaient pas eux-mêmes. Alors pourquoi cette insistance ridicule à condamner, à conjurer ce qu’ils parviennent, pour la plupart, à comprendre en privé ? La seule explication que j’ai trouvée est qu’il fallait donner des gages à l’extérieur. L’importance d’une opinion nouvelle, implacable, qu’on appelle médiatique, les a forcés à prendre position contre ce qu’ils appellent des conduites "intrinsèquement désordonnées".

Le point culminant fut la publication d’une espèce de dictionnaire nommé le Lexicon et rédigé par 70 cardinaux et évêques, mandatés par le "Conseil pontifical pour la famille" où il est écrit exactement le contraire de ce que dit le Pape François aujourd’hui : l’homosexualité ne possède aucune valeur sociale. On se demande à qui songeait l’Institution ce jour-là : en tout cas, ni à Michel-Ange, ni à Tchaïkovski, ni à Marcel Proust, ni à Camille Saint-Saëns.

Et le Pape, à qui songe t-il dix ans plus tard pour changer d’avis aussi brutalement ? Quelle mouche l’a piqué ? La déclaration du Saint Père "n’était pas destinée à être gravée dans le marbre" disent les traditionalistes. Qu’elle soit gravée ou non, il l’a prononcée. Et quand un homme de sa position et de son influence, sur une question épineuse pour l’Eglise, profère une chose pareille, il sait généralement ce qu’il dit.

Alors pourquoi le dit-il ? Et que sait-il, de plus, sur le sujet, que ses prédécesseurs ?

Une hypothèse plausible est qu’il s’est entouré, depuis son arrivée aux affaires, de spécialistes qui l’ont instruit des plus récentes études sur l’origine génétique de l’homosexualité. A l’époque de la publication du Lexicon (février 2003) qui prétendait, entre autres, faire échec à la théorie dite du genre (on ne naît pas homme ou femme dans sa tête, on le devient), le Vatican a démontré qu’il savait très bien où chercher l’information dont il avait besoin.

L’Eglise prétendait, en ce temps-là, contredire la thèse selon laquelle la plupart des comportements sexués résultaient de l’ éducation. Une directrice de recherche à l’institut Pasteur se conduisait en propagandiste contre les travaux de ses collègues. Elle débarquait dans tous les programmes de télévision pour rappeler où se trouvait la vérité obligatoire. Elle omettait les conclusions qui ne l’arrangeaient pas, mentait délibérément sur les recherches en cours pour pouvoir mieux affirmer qu’on ne naissait psychologiquement ni mâle, ni femelle. Les limiers du Vatican, en voulant prouver le contraire, se sont méfiés de la vérité en kit fournie par les idéologues. Ils ont préféré se pencher sur les dernières recherches en matière de physiologie du cerveau, afin d’expliquer par la biologie les conduites spécifiquement masculines ou féminines.

C’est là que le piège du doute s’est ouvert sous leurs pieds. En entrant dans le terrier ils sont tombés dans un puits. Les rapporteurs scientifiques du Pape ont d’abord invoqué une série d’études sur le volume respectif des cerveaux mâle et femelle. Ils ont souligné les différences observables : facultés de latéralisation inégales, et marqueurs tendant à prouver que les hommes et les femmes ne partagent pas les mêmes talents à la naissance, les mêmes émotions, les mêmes aspirations.

La période (le milieu des années 90) a vu paraître une nouvelle dont la presse parlait beaucoup, celle de la découverte d’une possible composante génétique de l’homosexualité. Un certain Hamer venait de mener une étude sur 76 paires de jumeaux homosexuels, d’interroger leur famille, de mettre en lumière l’influence de la lignée maternelle. Puis, en comparant leurs chromosomes X (les seuls à provenir uniquement de la mère) il a trouvé une zone de l’ADN qui porte le nom xq28 et qu’ils semblaient avoir en commun. Comparés à un échantillon de faux-jumeaux ( issus d’un oeuf différent) les monozygotes (issus du même ) partageaient plus souvent la même orientation homosexuelle, ce qui tendait à illustrer qu’elle pouvait être héritée comme la couleur des yeux.

L’un des objets du Lexicon était justement de déjouer le raisonnement selon lequel le genre comportemental masculin ou féminin pouvait résulter d’un choix personnel et de l’influence du milieu. Il s’agissait de faire pièce au raisonnement des féministes pour lesquelles on devenait une femme soumise parce qu’on avait trop joué à la poupée. Hélas si l’instinct maternel pouvait, au contraire, s’hériter, et si l’on accordait foi aux études sur les différences cérébrales entre mâles et femelles, on était obligé de se pencher sur l’homosexualité sans changer de microscope.

Pour avoir voulu clamer à la face du monde que la conduite affective des mères allaitantes ne saurait être réduite à un ensemble de codes inculqués par l’ éducation, l’Eglise s’est donc retrouvée coincée : sur l’homosexualité ses conclusions risquaient d’ être identiques. Le milieu, l’éducation pouvaient, contrairement à tout ce qu’on affirmait jusqu’alors, ne jouer qu’un rôle mineur. En outre si le cerveau d’une femme n’était pas semblable à celui d’un homme, pourquoi celui d’un homo serait il identique à celui d’un hétéro ?

Cette question paraît aujourd’hui légitime mais personne ne la posait au temps de Jean-Paul II. Visiblement sous le règne de François Premier elle va passer au premier plan. Est-elle vraiment si capitale ? Pour ceux qu’elle concerne, oui. J’ai souvent écrit sur la question au point d’aller m’asseoir au milieu de mes modèles et la réponse m’intéresse. Mais elle est aussi très importante pour tout le monde parce qu’il s’agit de morale pure : 76 pays criminalisent encore, parfois jusqu’à la mort, une conduite sexuelle susceptible d’être héritée à la naissance. Ce serait un peu comme si les enfants autistes hyper-calculateurs étaient envoyés au bûcher ou en prison à cause de leur capacité à extraire les racines carrées. On me dira qu’il n’y a aucun rapport entre les deux mais, si j’étais le lecteur, j’attendrais la suite.

On me dira aussi qu’il n’y a pas que le sexe dans la vie. Quand il est question de certains aspects de la sexualité c’est le grand argument pour couper court au raisonnement. Il est vrai que la vie humaine ne se réduit pas à ce qui se passe dans les alcôves. Lorsqu’ on voit ce qui reste de nous au cimetière, le fait de savoir avec qui nous avons couché revêt une importance extrêmement secondaire. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une simple vanité terrestre comparable à la passion des voitures. Il s’agit de ce qui constitue la principale source de profondeur, de philosophie et de conscience chez la plupart d’entre nous : l’attirance vers autrui.

La question des inclinations d’origine génétique dépasse donc de très loin l’homosexualité. Il n’est pas impossible que le raffinement de la science en ce domaine arrive à nous faire comprendre un jour pourquoi nous aimons spontanément le sourire de Stan Laurel, les oignons, les chiens, les pièces spacieuses, les femmes blondes, les hommes bruns, les gens de grande ou de petite taille, ceux à pommettes hautes ou à mâchoire pointue. Mais l’homosexualité est un bon sujet parce qu’elle excite les imaginations, les susceptibilités, les passions, au nom de préjugés qui sont eux-mêmes intéressants à étudier.

On me demandera encore à quel titre je prétends me livrer à cette étude.

Si la question de l’ origine génétique du phénomène me tracasse, c’est, je l’avoue, par narcissisme. Pour me rassurer devant le miroir j’ai été amené à connaître quelques individus, ou plutôt j’ai recherché la compagnie de certains hommes dont le phénotype masculin était comme le mien affirmé, et qui subissaient leur orientation comme une épreuve.

On peut admettre que l’homosexualité par défaut de masculinité puisse être sensible à l’influence du milieu. On a souvent parlé de féminisation des sociétés, de décadence des moeurs et autres fadaises qui essaient de prouver que des garçons peuvent se tourner vers leurs semblables par désoeuvrement, par mollesse, parce que l’époque n’est pas propice au déploiement des vertus guerrières. Mais dans le cas des pilotes de chasse, des légionnaires, des ascètes, des professeurs de droit, des généraux ou des archevêques qui se lèvent à cinq heures et qui ne sourient jamais, il y a de fortes chances que l’ inclination homosexuelle soit subie, comme elle le fut par Edgar Hoover, Walt Whitman, le maréchal de Lattre, Thomas Mann, Leonard Bernstein, Julien Green et tant d’autres qui n’étaient pas des hédonistes. S’ils avaient eu le choix, ces hommes-là auraient peut-être vécu autrement. Certains n’ont d’ailleurs vécu qu’à moitié.

 

.....

 

Non seulement cette fois on doit cesser de parler de contre-nature, mais il est permis de se demander si la nature n’est pas au contraire à l’oeuvre dans cette histoire avec l’ incroyable sagesse qui fait chanter les baleines, bondir les dauphins et chatoyer les poissons-clown.

Mon documentaire rôde encore le long des baies de l’aquarium de Monaco sur fond de Danse macabre, avec de temps à autre l’inévitable détour par une dégringolade cristalline de Saint-Saëns issue du Carnaval des animaux. La nature qui fait sourire les poissons exotiques, la nature qui ondoie, qui irise, qui met de la géométrie partout, a t-elle prévu quelque chose de précis pour les homosexuels ? A t-elle prévu le maintien, le développement, l’efflorescence d’une véritable attitude non-violente dans les sociétés et pourquoi ? Sommes-nous attendus quelque part ? Quand Aragon, après l’avoir d’ailleurs illustré dans sa vie privée jusqu’à un âge canonique disait que la femme est l’avenir de l’homme, avait-il raison ?

 L’apaisement de la violence chez l’homme passe t-il par le sacrifice rituel et collectif d’une poignée d’individus qui font ensuite l’objet d’une sorte d’hommage comme le prétend Girard ? Les homosexuels, qui font sans aucun doute partie des boucs émissaires les plus commodes de l’histoire à cause de la loi d’Abraham qui les a désignés comme tels sont-ils en vérité le fruit d’une simple et banale réaction maternelle à la violence du mâle ? Le fait que les homosexuels soient présents partout, dans le moindre village d’Afrique, dans les tribus nordiques, chez les zoulous et les Quakers américains, témoigne t-il qu’ils ont une fonction dans la vie du groupe et dans l’évolution de l’humanité, comme les gènes qui codent ont, eux-mêmes, une fonction sur la chaîne de polypeptides ? En d’autres termes les homosexuels eux-mêmes codent-ils pour quelque chose ?

 

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