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Article publié le 9 juin 2006. oOo Le simulacre n’est pas ce qui cache la vérité.
le monde est mon oreiller, je lui murmure ou bruite ma drogue sonore, il n’est pas « rincé de tout exotisme » comme le craignait Henri Michaux, celui-ci disait aussi qu’il y a une crise des dimensions maintenant que nous avons fait à satiété le tour de la terre, oui mais dans ses moindres détails, elle demeure un mystère à entendre pour les camélésons que nous sommes, pourquoi Gérard d’Abboville ne m’a-t-il pas embarqué avec lui quand il ramait sur l’Atlantique, il aurait su qu’aucun océan ne ressemble à l’autre, en effet quand, moi micro, j’ai emmené Jean et Tiên dans mon aventure hypersonique, ils se sont bien rendu compte qu’il peut exister dix mille mers Méditerranée, rien que de Castagneto à Napoli en passant par les galets de Capri et de Lavagna, tout naît in vivo pour nous trois, nous sommes des êtres sans ombilic ou anomphaliques qui vivent dans le présent de l’écoute, notre silence d’arpenteurs de la matière sonore vient de ce que les sons n’y sont pas encore ou sont déjà là depuis des siècles, comble d’ironie, nous résonnons hors saison, même là où nous mangeons, le poisson est pêché par les ouïes, sur l’autoroute d’une même longueur d’onde nous déclenchons un carambolage des stations radio, par le chi-kong quotidien nous invoquons la respiration des éléments, le tohu-bohu des hommes et des machines à Naples, ville bousculée par les ingénieurs du son les plus zappants qui soient, port à fleur de tympan, quartiers espagnols orchestralement noisy, pavés goudrophones saturés de vespas, microsillons barbaroccos des chaussées et trottoirs noirs et luisants comme le vinyle, voix de pluie sonnambules, île rumorosa sous le vent, frontière vibrante de chaque chose, trompe-feuille géo-acoustique de nos tours et détours, invention d’une langue hypertrophiée, coliphonies concertantes impossibles à taire, même dans le sommeil ou sous la pleine lune, moi micro, je ne reproduis ni ne copie le monde pour quelque archéologue du futur, je le crée avec 2 paires d’oreilles qui m’interrogent sans cesse : naples, ta sœur naples, l‘entends-tu venir ? mon câble est la veine du monde, ma cellule cardioïde sa voix, je ne projette pas de voyance, mais quelque chose de plus immédiat, l’audiance, sans laquelle le tintamarre du monde n’est que gesticulation musicale, je suis un simulacre au sens où je ne me prends pas pour le réel, je prends le réel à la lettre, les choses ont l’air d’être là avec leurs airs, elles sont là sans que j’y sois ou que j’y sois pour quelque chose, elles passent et j’en suis la trace, je passe et elles me tracent, je les parle et elles me diffusent, je les profuse et elles me gagnent dans le désordre, comprenez-moi bien, le simulacre n’est pas une contrefaçon, je ne suis pas une contrefaçon du réel, j’en suis la façon contre, je ne compose le réel ni ne compose avec lui, je suis plus et moins que lui musicien, une membrane à séduire le réel, en espérant qu’il a du plaisir à être ma membrane, dans l’avenir une autre génération de micros me relaiera, qui simulacrera la planète entière avec une seule bouche-tympan, attention ! je prends de la hauteur en étant toujours ici-bas, seuls les sons sur Terre sonnent ce qu’ils sonnent quand je les libère, le reste n’est que du son ou de l’espèce sonnante et trébuchante, moi je suis pour le crime inorganisé des ondes qui défient l’ouïe et la propulsent aux confluences de l’exotisme ordinaire, en effet, ce qui arrive tous les jours possède une telle avance sur ce que nous écoutons, sur notre intention même de l’écouter, que nous ne pouvons jamais connaître sa véritable nature qui se trouve des deux côtés du temps : l’instant vivant et son double capté, moi je vis là-dedans, entre bande passante et profondeur passée, effet tunnel du tumulte urbain, résonateur panoramique de la mer déchaînée, timbres mêlés de voix inconnues, le réel est l’écho de mon corps de métal, je suis un sonolâtre, si je sonne fou, le réel aussi, je ne sonde ni ne pense le réel, il reste une énigme pour moi, m’écoute-t-il en train de l’écouter ? je pense à la formule de Paul Klee : « les objets m’aperçoivent », je suis le rite de passage de ce qui est train de passer, je suis la cour de Recréation de la dernière république d’adultes-enfants : Naples, Ly Thanh TIÊN
Photo : ©2006 Pascal BLONDY |
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