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Chaque homme a la capacité d'être un bourreau... Extrait
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 Article publié le 9 juin 2006.

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Il a raccroché. Il tire une drôle de gueule le commandant du camp. Aussitôt il prend le bras d´un sous-off et lui parle à l´oreille. C´est court et violent, à voir sa réaction. Le type croise mon regard et me décroche un sourire qui aussitôt s´effondre. La nouvelle ne doit pas être bonne, au moins pour nous...

Quelques temps auparavant, une colonne s´était formée vers mon village. Elle était constituée essentiellement de combattants de chez nous, de femmes et d´enfants. Ils ont pris la direction de Tuzla à travers les bois. Comme idée et comme voyage, on a vu mieux, mais ils ont choisi. On apprendra que des forces Serbes de Bosnie, appuyées par des blindés, des pièces d´artillerie et des canons anti-aériens, se sont positionnées le long de la route Bratunac- Milici dans une tentative d´intercepter la colonne. Il y a eu des combats entre des hommes de chez nous et les Tchetniks. Des milliers ont été capturés ou se sont rendus aux Serbes de Bosnie, sous le commandement de R. Mladic.

Tous ! Sans exception ont été soit exécutés sur le champ soit placés en détention et exécutés ensuite.

Ils appellent cela le nettoyage ethnique. Cela consiste à débarrasser le pays de toute présence Musulmane. Cette campagne a commencé au Printemps 1992, il y a trois ans.

J´ai rejoint ma mère, ma sœur et mes frères. Les Serbes sèment un chaos indescriptible. Je suis passé derrière l´ancienne école et me suis arrêté net. Trois « Rambo » traînent deux pauvres vieux. L´un d´eux est plaqué dos au mur. Ils lui ont collé quelques gifles et lui ont fait ses poches. Je ne vois pas ce qu´ils ont pu lui prendre ? Le vieil homme leur a expliqué de laisser son frère tranquille. Pendant qu´il disait cela, il s´est pissé dessus. Les Tchetniks ont éclaté de rire. Le plus petit des trois soldats a sorti une lame de sa botte et sans aucun mouvement brusque, il a ouvert la gorge de l´homme qu´il tenait. Le vieux a glissé au sol en gesticulant quelques secondes. L´autre s´est agenouillé, pleurant toutes les larmes de son corps. Puis, il s´est mis à ramper pour être proche de son frère, sous les rires des bourreaux. L´égorgeur a saisi la tête du supplicié, l´a détachée du corps et l´a balancée contre le mur. Le vieux restant vivant a poussé un cri rauque, un des trois types lui a logé une balle dans la tête et ils ont disparu. Je tremble de tout mon être, je n´arrive pas à me maîtriser. Je me laisse à mon tour glisser le long du mur et m´assieds. Je suis transi de peur, j´ai peur. Une peur qui me paralyse ; elle implose en moi puis se répand.

Ces gens vont tous nous tuer, tous !... Il faut qu´on sorte d´ici !

Je me relève, mes jambes me portent à peine.

La panique s´installe dans le camp.

Je cours comme un dératé, ma tête va exploser. Je passe à hauteur des corps inertes. Le sang est noir, noir de notre misère noire. Je suis trempé et toujours cette poussière. Des Tchetniks font sortir les gens des caves, des immeubles, de tous les trous à rats où nous avons trouvés refuge. Les soldats de l´O.N.U sont totalement impuissants à la barbarie qui se déroule devant eux.

J´arrive à l´endroit où étaient installés les miens, il n´y a plus personne...

Je ruisselle, je n´ai plus de souffle. J´essaie de regarder autour de moi, ma tête cogne. J´escalade le petit muret à l´entrée de l´immeuble, cela me permet d´avoir une vue d´ensemble. Partout ce n´est que cris, désespoir et frayeur. La mort a pris possession de chaque regard.

Les Serbes sortent les hommes de la foule et les tabassent. Certains sont emmenés derrière les habitations, ou plutôt traînés comme des bêtes de somme. Des enfants hurlent ayant perdus leurs parents, les uns et les autres se bousculent. J´aperçois ma sœur Yasminska. Je bondis du mur et cours vers elle. Je me jette dans ses bras, elle est en larmes et m´engueule, cela fait un moment qu´elle me cherche. Ma mère est à l´écart avec d´autres femmes, elle a eu un malaise. Nous les rejoignons. Mes frères sont assis et tirent la gueule ne pouvant jouer. Ma mère en me voyant remercie Dieu de m´avoir retrouvé.

Dieu nous abandonnerait un peu que ça m´étonnerait pas.

Les gens autour sont terrorisés. Le soleil est accroché bien haut en cette magnifique journée de juillet, il fait chaud et je vomis.

A cet instant, nous avons vu des autobus pénétrer sur la base, il y en a une bonne cinquantaine. Les soldats nous regroupent comme on regroupe du bétail et en colonnes nous dirigent vers les cars...

Tout est planifié. 

 

Comment les gens peuvent-ils, par ce temps, voyager là-dedans ? Ca doit être intenable ? Se dit Max, voyant passer en contre bas sur l´avenue Georges V un bus de la RATP. Dans les bus, il n´y a pas d´air conditionné... Il a laissé échapper cette phrase, Mona le regarde et sourit. Max l´a rejoint entre temps sur la terrasse. De la rosée s´est installée sur la lèvre supérieure de Mona, il irait bien le goûter cet élixir divin. Elle lui demande de ne pas s´impatienter, les journées de Mr Al Khafi sont planifiées.

Les gens sérieux planifient tout le temps.

Le proprio potentiel raccroche, fait signe au « Boeuf » d´approcher ce qu´il s´empresse de faire. Les deux hommes se parlent à demi mot.

Une effluve de parfum mélangée à la sueur, frôle les sens de Max. Aussitôt il se perd. Mona est là, accoudée à la rambarde de la terrasse, à quelques centimètres de lui. Il aurait juste à tendre sa main...

Le Boeuf dégage. Mr Al Kafhi s´approche, Mona rectifie la pose.

Il prend l´appartement.

Max sent ses jambes se détendre. Une bouffée de chaleur finit de le saucer...

Mona échange deux, trois phrases avec son Boss, en arabe, Max en profite pour appeler Stella et lui annoncer la bonne nouvelle. Il décide de la rejoindre pour le café et raccroche. Mr Al Kafhi le salue. Il doit partir. Max ne touche plus terre. La commission qu´il va se prendre est une broutille pour le nouveau proprio, mais pour ses zigues et Stella, ça va ambiancer grave. Max en le raccompagnant à la porte, se dit que les types qui planifient finalement, ils font bien de planifier.

Au moment de sortir, Al Kafhi se retourne et confie à Max que la tenter avec Mona est peine perdue...Il ne partage pas. Max fait son surpris et se refait une suée. Il se sent même rougir. Mais avec ce qu´il lui laisse, l´idée de rougir est supportable.

« Have a nice day... » Les portes de l´ascenseur se referment sur la mine réjouie extérieurement de Max... Mais ruinée intérieurement. Il passe la main sur son front et s´essuie sur son fessier.

Entre temps Melle Mona s´est installée dans le salon. Elle lui demande s’il est heureux. Max acquiesce et précise qu´il doit partir pour un autre rendez-vous

Mona glisse un « dommage... » surprenant.

Max redescend les volets électriques, Mona se dirige vers le palier. Il la rejoint.

Ils s´observent en attendant le lift. « Ting »...Petite résonance et grande occase qui file se dit Max.

Pendant la descente, Mona referme le bouton de son chemisier, ajuste ses lunettes noires sur son nez et sort une blonde que Max ne peut allumer, car son briquet est vide.

« Laissez... », lâche Mona avec un petit sourire en coin, tout en allumant sa cigarette, l´air de dire « Tu manques d´épaules mon gars... »

Max pense que de toute façon galipoter de ce temps-là, c´est pas humain.

Dehors c´est une fournaise. L´air chaud mêlé aux gaz d´échappement, c´est moyen comme sensation. Il se met à traîner un air dégoûté qui fait sourire Mona.

Ils se quittent sur le trottoir. Max tend sa main moite à Mona ; qui lui demande s´il peut la déposer. En gentleman driver, il accepte. Elle a rendez-vous à l´Hôtel Costes.

C´est à Max de sourire, c´est là qu´il va.

La voiture démarre. L´air conditionné à fond, ils tracent dans Paris.

Max jette un œil sur Mona. Elle est assise, décontractée, jambes entre ouvertes Sa jupe légèrement remontée à hauteur de ses cuisses. Sa peau est cuivrée.

Il s´attarde sur son chemisier. Elle respire lentement, créant de légères avancées de son buste généreux. C´est vivant et Max aimerait s´y coller.

Mona a détourné son regard caché derrière ses lunettes noires. Elle lui décroche un sourire qui sous-entend, qu´elle n´est pas dupe et paraît même apprécier qu´il la mate. Elle ramène sa jupe entre ses cuisses, la remontant légèrement plus sur le haut de ses jambes ; sans quitter Max du regard.

« Vous avez un autre client à voir ?... » Elle a posé sa question en replongeant son regard vers les boutiques de la rue St Honoré.

Max lui dit que « Non, il va rejoindre sa femme, Stella ».

« Vous ne portez pas d´alliance ?... » Max répond par la négative, précisant qu´ils vivent maritalement.

Et elle, que va-t-elle faire au Costes ?

Elle loge à l´Hôtel et repart le lendemain pour Ryad.

S´en suit un silence...

« Dommage », laisse t-elle échapper pour la seconde fois. Max ne répond pas Il se fait une parano. Stella va le voir entrer dans le resto, accompagné de cette splendeur. Cela peut créer un sac. Il se dit en même temps qu´il ne craint rien, il ne s´est rien passé... En dehors de sa tête.

Il prend son portable et tente d´appeler Stella et n´y parvient pas. Ca l´agace. Il refait une tentative.

Pendant ce temps, Mona a allumé une autre cigarette. Max a senti l´odeur de sa chevelure quand elle s´est penchée pour prendre l´allume cigarettes. Il reste en arrêt, baigné dans une senteur de miel et de sucre.

Mona a une odeur de bonbon.

« C´est toujours un problème ! C´est dingue, une ville comme Paris, y´a pas d´réseau !... Des fois plusieurs fois par jour !...C´est à devenir dingue ! »

Elle sourit.

 

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