C’est dans la bibliothèque paternelle, là, maintenant, du haut de mes vingt ans, que je déambule, c’est dans cet espace dévolu aux livres et à l’activité qui en résulte, matérialisé par la présence de fauteuils tous rangés en ordre - des fauteuils parallèles aux murs, tout comme la bibliothèque à partir de laquelle la convexité des ouvrages de savoir émerge - , que ma stature se meut avec souplesse, ralentissant le pas, effectuant, ensuite, une rotation en direction des titres, en direction des couvertures qui excèdent la structure de bois accolée au mur. Ces liserés contenant deux lettres, je les connais bien, oui, ils me sont familiers, et ce, depuis longtemps, depuis toujours me semble-t-il. Chaque tome contient un certain nombre de paragraphes et de photographies sur des thèmes généraux, des idées, sur des villes, chaque tome est une ouverture au monde, un monde qu’il est possible de conquérir entièrement puisque la totalité des ouvrages recouvrent toutes les lettres de l’alphabet. A côté, à gauche et à droite, des livres divers se côtoient, parmi lesquels des livres de littérature, dont certains me sont familiers, tandis que d’autres, au contraire, me sont parfaitement inconnus, et le resteront sans doute encore, ma curiosité imposant son instinct mystérieux, celui qui choisit tel ou tel titre plutôt qu’un autre, un instinct régi, aussi, par quelques habitudes, aussi novices soient-elles. Puis, sans but précis - l’habitude de parcourir au hasard les titres dans les espaces publics ? - je m’attarde sur l’un d’entre eux, sur ce petit livre blanc de forme rectangulaire dont je ne sais plus si du format ou du titre mon instinct vient d’être alerté. Je n’ai pas eu besoin de pencher la tête pour lire le titre, inscrit nettement sur la reliure : ce titre, c’est " Instantanés ".

Toujours debout, je fais basculer la reliure vers moi, extrais l’ouvrage de son ordonnancement et l’ouvre au hasard, après avoir lu la table des matières. Le titre de la nouvelle, l’incipit, le déroulement de la narration... je lis tranquillement, je lis posément, jusqu’à ce que les paragraphes se multiplient, s’enchaînent, pendant quelques pages... Ensuite, je m’assieds dans l’un des fauteuils tout en conservant l’ouvrage entre les mains et termine le passage en question. Maintenant, je referme le livre, un livre qui semble aussi léger que l’air... Oui, léger comme... un fantasme. C’est comme si je n’avais rien lu. Mais sans le savoir, j’ai peut-être tout lu. Oui, un livre sur tout... Et là, dans mes mains, l’ouvrage refermé ne pèse absolument rien, et là, dans mes mains, c’est la légèreté dans toute sa noblesse qui s’exprime, à tel point que ma mémoire ne ressent la moindre aspérité avec cette narration. Contrairement à la plupart des livres. Et pourtant, je sens bien, quelque part, que tout y bien. Oui, quand j’ai ouvert le livre, tout y était. Et maintenant qu’il est refermé, il n’y a plus rien.

Pendant ce temps, la lumière du jour traverse les carreaux de la fenêtre, pendant ce temps, la lumière du jour éclaire l’espace domestique, éclaire le livre blanc qui est entre mes mains, un livre que je vais remettre à sa place, strictement à sa place. Et que je découvrirai véritablement - et sûrement - plus tard..