Si je n’étais pas cet homme qui reçoit les montagnes
En héritage, je serais cet autre qui me poursuit à la place
De Dieu. Nous n’avons guère le choix, nous autres
Hommes dans l’homme à la place de Dieu. Nous sommes
Dans l’étroit et dans l’instant, et notre pensée en pâtit.
Si le soleil ne me tue pas, si la nuit ne suffit pas à ma
Disparition, si le jour suivant est celui de mon jugement,
Il ne restera de ma pensée que ce fil vite rompu au récit
D’une existence qui n’aura pas d’épilogue mortuaire.
Où jetez-vous les carcasses des suppliciés que le soleil
Ni la nuit n’ont interdit à cette justice qui n’ose plus
Juger les morts ? Je n’ai pas d’avenir au-delà de moi
Même. Je finirai dans votre langue, impossible à séparer
Des mots que vous aurez pourtant trouvés pour me dire.
Tenez ! J’abandonne. Je m’assois sur un rocher au bord
Du précipice et je vous attends. Vous ne serez pas surpris
De ma tranquillité. Il y a longtemps que vous ne me concevez
Plus sans cette indifférence qui peut alors passer pour une
Espèce de sérénité. Pas un coup de fusil. Pas un frémissement
De couteau. Pas de mains qui étreignent déjà mes mains
Dans la torsion et l’arrachement. Pas un signe de cette violence
Auquel Dieu vous donne droit sur l’Homme. J’imagine
Un peu votre déconvenue et je compte sur votre dignité
Pour m’épargner le bruit de coups portés à la chair
Que Dieu déserte pour ne pas être surpris en flagrant délit
D’occupation impensable. Imaginons un instant, cet instant
D’imagination, que vous veillerez à ne pas forcer le lien
À entrer dans la chair. Cela arrive. Vous êtes quelquefois
Si doux, si calmes devant l’horreur du crime. Vous êtes
Lents dans le procès et professionnels dans l’exécution.