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 Article publié le 16 décembre 2018.

oOo

L’ambiance du club est agréable mais… il y a toujours un mais, et celui-ci est de taille… Madame dirige le club et monsieur, dominé, suit en tout. Il s’énerve souvent en poussant d’abominables gueulantes, mais en disant toujours amen. Madame, au simple mot argent, voit ses yeux pétiller de façon inquiétante. Madame donc, à la tête de la boîte, remet en vigueur un mot que l’on croyait rayé du beau vocabulaire français et aboli par les lois : l’esclavage.

Exténuant, mal payé, un demi SMIC déclaré et l’autre au black, le boulot au club prend à la gorge celui qui est revenu par amour au sous-marinisme (et aux sous-marinières). Tout se paye !

Des bras charybdiens de la capitainerie la saison dernière, Ornicar tombe sur les coups scyllaniens de Madame la chef qui ne voit de ce sport aussi beau que la rentabilité. L’exploitation rationnelle et accélérée du pingouin à bulles devient pour elle une spécialité particulièrement lucrative.

Les heures de présence sont beaucoup moins comptées que les sous dans l’escarcelle de Madame. Quant aux heures supplémentaires, cherchez-les bien !

Elles sont innombrables mais curieusement invisibles… et donc impayées !

Décidément, il est peut être vrai que les conjonctions de coordination ne sont venues au monde que pour être exploitées dans les océans d’une littérature implacable et inhumaine.

Tout beau et tout bronzé, la barbe en broussaille et le cheveu en bataille, le non coupable à la peau dure maigrit à vue d’œil. L’était déjà point trop gras le bougre ! Madame ne lui laisse même pas le temps de bouffer. Mais les plongeuses qui se dénudent facilement, qui le soir acceptent souvent les invitations à bord du coursier des mers de Ornicar, sont si belles… et ceci compense cela.

Du coté de la direction du port, le méchant homme toujours en poste a été prévenu : un seul mauvais mot, une seule mauvaise attitude et le village entier sera au courant des indélicatesses capitanesques, du pourquoi du comment des trois mois de mise à pied de l’hiver. Quant à une vengeance sur le voilier, ne pas y penser. Ornicar promet à son ex-supérieur de lui faire manger ses couilles… s’il en a encore.

Le maître du port, désormais sur la surveillance de la simple secrétaire par ordre de la Chambre de Commerce, est décidément plus con qu’il n’est voleur et méchant. Il parle. Il sous-entend. A tel point que des rumeurs vont bientôt circuler sur l’île de Parlabas comme quoi Ornicar se serait mal comporté et que ceci aurait motivé sa mise à la porte. Le comble est atteint.

Sans violence… mais avec tambours et trompettes, de bar en bar, d’une voix bien forte pour des oreilles grandes ouvertes qui s’en délectent, va être rétablie la vérité, preuves à l’appui.

Atttttention, Parlebassiens, Parlebassiennes, qu’on se le dise ! Ornicar n’est pas encore une conjonction de flexibilité. C’est l’autre qui reste toujours un ignoble salopard. Faites courir…

 

Avant d’aller plus loin, il nous faut parler d’un phénomène au féminin que l’on peut qualifier de véritable championne. Elle aussi, après maintes péripéties, a abouti sur l’île paradisiaque, accompagnée d’un vieux juif errant, son amant, matelot, mécanicien, charpentier… et que sais-je encore, répondant à un nom tout aussi bizarre que celui d’Ornicar. L’individu, fort sympathique, a les cheveux grisonnants. Il est toujours très bronzé et porte au cou une énorme médaille d’or où l’étoile de David revendique clairement ses origines.

Depuis son arrivée sur Parlabas, Ornicar s’est lié d’amitié avec ce couple si particulier. La belle championne anglaise bien qu’oubliant d’équeuter et d’effiler les hhharicôtes est excellente cuisinière et le vieux Kedalle raconte merveilleusement de longues histoires qu’il a vécues dans sa vie plus que compliquée.

Peu à peu, celui qui fait son petit bonhomme de chemin dans la hiérarchie du port, va découvrir ces deux personnages sous un autre aspect. Lui est un mythomane perdu, d’une ampleur inégalable ; toutes ses belles aventures ne sont qu’affabulations enveloppant de minuscules bribes de vérité. Il n’en reste pas moins qu’il travaille remarquablement bien et qu’il est apprécié pour cela. Elle, baise volontiers, par plaisir bien sûr mais surtout par utilité. Tous ceux qui peuvent servir y passent. Ornicar ne se laissera pas prendre dans ses redoutables filets en évitant de trop y frotter sa panse… au bal du 14 juillet par exemple.

La belle Anglaise, cheveux rouges de henné, aime passionnément le ââârgentt et est fort entreprenante. Elle rachète un vieux bateau ventru qui assurait autrefois la ligne du continent à l’île, retour obligatoire pour les non résidents. Aidée de son infatigable compagnon, elle le retape en hôtel flottant puis entasse dans la vaste cale des montagnes d’objets hétéroclites ramassés dans les poubelles.

– Celaaa paeu saerviir ! dit-elle avec son délicieux accent. Effectivement. Mais cela sert surtout à faire baisser dangereusement la ligne de flottaison de l’hôtel qui s’enfonce tous les jours un peu plus. 

Le couple insolite bat de l’aile au fil des mois, et mademoiselle s’éclipse de temps en temps seule sur le continent et réapparaît… quand elle le veut. Ornicar fait son possible pour réconforter le pauvre Kedalle. Sans jamais prétendre à la moindre rémunération, de son poste à la capitainerie, il adresse quelques pingouins demandeur d’asile à l’hôtel de la championne, précisant, bien sûr, que ce n’est pas un trois étoiles.

Alors, un jour….

– Aaoornicaar, je vioudrais une petite paourcentaage paour le plongée que tiou à faite de mon paaarte.

Pour toute réponse le barbu lui enseigne, au beau milieu de la capitainerie, à faire le poirier.

– Tu vois ma belle, dans cette position tu écartes bien les jambes et mets ton pourcentage dans ta grande tirelire.

– AAAOOOHH !!! Shocking !!!!

Elle n’est pas rancunière et Ornicar non plus. Mais elle a de la suite dans les idées pour grappiller du bel argent. De toutes les manières impossibles et inimaginables. La suivante n’est pas déplaisante non plus.

La championne va demander à son ami plongeur une première leçon de sous-marinisme, faveur accordée dans le cadre du club. Stupéfaction, le lendemain une pancarte est fixée sur la passerelle du bateau-hôtel-entassement de récupération de poubelle.

TRAVAUX SOUS–MARINS …….

 

Excellent pour Ornicar qui va pouvoir arrondir ses fins de mois. La championne anglaise essayera vainement de le payer en nature ouvrant opportunément la porte de la douche pour bien lui monter que son frifri lui aussi est teint au henné. Mais quand le barbu dit non…

Ah, qu’on se le dise, Ornicar malgré tout aime beaucoup cette belle hors du commun. Il la reverra bien plus tard… sous d’autres cieux.

 

Tout à coté de la petite et unique église du village qui culmine la place, l’est un restaurant ; à la plonge, s’active le seul arabe de Parlabas. Le brave homme a deux défauts : la bouteille – celle qui fait glouglou quand on la descend – et les cartes, surtout le poker. 

Inévitablement tous les mois, comme un rituel, deux ignobles salopards l’invitent pour une partie « amicale ». Le pauvre arbi approche tellement ses cartes des yeux tant il est plein d’alcool que les deux comparses choisissent les leurs sans se cacher des éventuels regards alentour.

Pourritures non-humaines, remerciez donc Ornicar ne de rien avoir révélé à son copain l’arabe. Vous seriez morts certainement depuis belle lurette. L’un d’entre vous peut aussi se flatter des pleins congélateurs de petits oiseaux capturés aux pièges à fourmis qu’il vend à de sympathiques restaurateurs du continent. Sûrement que cette outre à Pastis, coiffée d’un éternel bonnet Cinzano, regarde 30 Millions d’Amis à la télé en versant des larmes de bonheur… c’est si beau les animaux !

Refrain : A mon Dieu quels braves gensss que ces hommes-là. (Bis et répétitum).

 

Petitesse du territoire et/ou insularité font de ce bel endroit un lieu de vie aux mœurs très particulières. La femme du médecin vit avec un responsable de la ferme, la femme de celui-ci vit avec la pharmacienne, la femme du mécanicien… et le médecin vit avec… Chacun y reconnaissant les "ciens", les siens et les siennes. Les histoires de cul sont nombreuses et juteuses. Quant aux affaires de pognon, c’est la foire à l’empoigne.

Madame le maire a eu un jour la bonne idée d’instaurer un petit marché hebdomadaire sur la place du village. Les deux frangins qui se frottent les mains dans l’unique supermarché du coin ont donc décidé ce jour-là de mettre œufs, volailles et lapins en promotion, presque en gratuité. La semaine d’après, le brave paysan d’en face ne reviendra pas.

Aucun de ces estrangers du continent ne va vouloir répéter l’expérience tant les problèmes engendrés par le nouveau marché vont tourner à une polémique presque guerrière.

Il ne faut pas s’étonner si, quelques années plus tard, à son retour de vacances, l’un des deux frères s’est vu refuser l’accès au magasin. L’autre, malin, a racheté bon prix au papa plus cupide qu’Harpagon ses parts de la société et est désormais devenu majoritaire.

– Tu n’avais qu’à baisser ton pantalon, ho mon frère, ça t’aurait fait moins mal !

Refrain bien connu : Mon Dieu, quels braves gensss que ces hommes-là ! 

Que dire aussi du pêcheur de toujours, Parlebassien de toute la vie mais arrivé sur l’île bien après Ornicar. Il vient d’acheter – avec les sous de madame – un beau et grand bateau en bois : il va perdre en peu de temps des kilomètres de filets sur des fonds où il n’aurait jamais du les poser.

L’homme – pardon, la gloriole – pousse des cris de joie quand par hasard il attrape un minuscule poisson. Les pièces qu’il ramène sont achetées à de véritables pêcheurs qui ne lui font pas de prix de gros, elles finiront dans les assiettes du restaurant que ce cuisinier de toujours vient d’ouvrir encore avec les sous de madame. Ornicar dans sa dernière saison sur l’île a travaillé, au black bien sûr, pour ce vaniteux, fanfaron et criminel en puissance. En vain le barbu a essayé d’empêcher ce brillant individu de naviguer dans la zone interdite des trois cents mètres. En vain il lui a demandé d’au moins réduire sa vitesse en ce faisant. En vain il l’a supplié de ne pas passer au dessus des bulles de ses copains plongeurs en gueulant :

– Je travaille moi !

Refrain bien connu pour ce triste sire. Il aura au moins donné le plaisir de deux paragraphes aidant à mieux connaître la beauté de la nature humaine. Décrivons-en un dernier qui vaut largement son pesant de cacahouètes.

Ce bellâtre au très léger embonpoint dû au trop bien manger, un court cigarillo noir en permanence entre les lèvres, excellent pétanqueur, aime à raconter que ses boules plus intimes sont du même acier. Il propose sa phénoménale bitte à kiki n’en veut sans discrimination sexuelle. Le délicieux personnage, voyant l’opportunité d’ouvrir un magasin de location de bicyclettes, fit parvenir à la Chambre de Commerce ce succulent manuscrit :

 

Messieu

 

Jé aprit que un locale et disponnible pour que je lou dedent dé véllo

Je vourdé savoire conbien sa vat couté car je suit un téréser par se locale

 

Ornicar, qui a reçu cette merveille de l’écriture contemporaine pour la transmettre à ses supérieurs, n’a pas éprouvé la moindre pitié pour la grosse quéquette au si petit cerveau, il n’a rien dit et n’a pas aidé à corriger le peu de fautes d’orthographe (sic).

Ne pas s’étonner si ce brave citoyen clame à tous les vents son admiration pour un homme politique adorateur de Jeanne la Consumée. En fait, toute l’île vote à nonante pour cent, comme aiment à dire nos amis Belges, pour les idées de ce vieux vitupérant en question.

Reprenons mes frères le refrain tous en cœur !

 

Heureusement, certains iliens donnent une touche allègre à la vie de Parlabas. Il y a les proprios d’un bar restaurant du même nom que l’une des belles plages de l’île. Riches comme Crésus à force de travail, ils restent modestes et fort gentils ; leur fils est redoutable au tennis de table et aux échecs. Ornicar le fréquente avec grand plaisir. Un sympathique gendarme aussi, qui hélas ne restera pas car le centre militaire de formation ferme ses portes. Un aquarelliste connu sur la région et qui gagnerait à l’être d’avantage. Un gentil chauve qui loue des bicyclettes (rien à voir avec le paragraphe précédent), appréciable pour sa grande discrétion. Une qualité que le barbu a peut-être oublié d’emporter dans ses bagages.

Enfin, la toute belle Milady, excellente comédienne, soi-disant rivale de BB il y a quelques années, mariée à un génal cinéaste fils d’un écrivain mondialement connu. Elle donne du baume au cœur de Parlabas lors de sa présence bien qu’Ornicar ait parfois du mal à différencier à quel moment elle est sérieuse et quand elle joue la comédie. C’est de plus une femme de très bon goût. La preuve : elle apprécie la peinture du marin provisoirement sédentarisé.

Chez Glouglou, Madame plume aussi un autre volatile : le pigeon stagiaire. Ces jeunes doivent rester quelques temps dans un club pour obtenir leur diplôme de plongée. A plus de soixante dix heures par semaine, les petits sont réduits en esclavage eux aussi, sans être payés bien entendu. Juste la bouffe. Et encore ! Donnée presque à contrecœur…par bonté charitable. Les gars, pourtant tous des baraqués, en pleurent à la peine.

Crevés, n’en pouvant plus, ils obtiennent avec la grande magnanimité de Madame, le lundi de repos car ils n’avaient jusqu’à présent que le dimanche après-midi. Pour Ornicar… des nèfles. Il décide donc de faire la grève.

Tous les lundis lui aussi.

 

Madame amasse ses sous et monsieur – bonne pâte et qui ne sait jamais dire non aux exactions de sa moitié – se met à boire. Ornicar, devenu conjonction de consternation, va voir son boss bourré comme un coing partir plonger avec des néophytes à vingt, voire davantage, mètres de profondeur. Faire des baptêmes avec des adolescents alors qu’il n’est plus capable de compter les doigts de sa main.

Faut le voir pour le croire !

Mon Dieu (encore une fois pour un non-croyant !) que vous êtes brave de ne pas avoir rappelé à vous quelques uns de ces miraculés de pingouins à bulles.

 

Et un jour… un de ceux qui devait arriver…

Ornicar regarde ce petit voilier. Du genre transportable sur une remorque. Cinq, six mètres tout au plus. Qui, désespérément, tourne en rond dans la rade, moteur hors bord pétaradant, cherchant où diantre pouvoir s’amarrer.

Hé, venez à mon couple !

Mieux vaut un petit choisi qu’un gros qui s’y colle pendant mon boulot. Une des plus belles initiatives de ta vie, ami Ornicar !

Même si cela va durer encore quelques années, ce petit événement, apparemment anodin, va changer la vie d’Ornicar et marquer la fin de la conjonction de coordination…

Les voisins d’un week-end sont repartis laissant leur petit poucet contre le bateau du grand plongeur devant l’éternel. Encore et toujours en raison du mauvais temps. Bientôt, son propriétaire reviendra tout seul et acceptera volontiers un coup de main pour une courte navigation nocturne de retour sur le continent.

Une sympathie réciproque fait promettre au marin barbu une visite un jour prochain. Le nouvel ami habite précisément sur le chemin qui conduit chez papa maman : cent kilomètres au sud avant d’arriver chez eux. En fin de saison, une visite familiale s’impose.

Promesse faite… chose due.

 

Sur le bord du grand fleuve qu’il nous vient de la confédération helvétique l’est une colline. Son flanc exposé au couchant voit s’éparpiller quelques maisons. L’une d’elles, très vieille, cossue et bien retapée, accueille sur son terrain attenant un petit voilier sur sa remorque. Couple déjà vu précédemment.

On fait un petit tour à pied Ornicar ?

Avec plaisir.

Il fait beau en ce début d’automne. Le repas était délicieux. Deux hommes et un petit garçon de douze treize ans, se promènent sur un chemin de terre. Chacun perdu dans ses pensées, séparés de quelques pas, à la queue leu leu.

Quel est cet étrange bout de ferraille qui attire l’attention du marin barbu, campagnard d’un instant ? Il se baisse, ramasse et contemple. Kézako ?

Une sorte de tige d’une dizaine de centimètres avec comme une boule à son extrémité, une rotule immobilisée par l’oxydation. Bof ! Ornicar jette l’objet indéfinissable et inutile qui tombe près d’une pierre triangulaire incrustée dans le sol. Ornicar regarde la pierre dont seule une face est visible, il y découvre un cercle comme creusé. Il reprend la ferraille et constate que la rotule est exactement à la dimension de la marque dans la pierre.

Comme c’est curieux, cela s’ajuste parfaitement.

A quelques mètres derrière lui, l’ami au petit voilier et son fils se sont arrêtés et observent, silencieux. Ornicar jette une deuxième fois le morceau de métal et s’en va. Trois pas seulement, demi-tour et rapidement la pierre sortie du sol se retrouve dans sa main. Un petit coup d’essuyage sur le pantalon puis un souffle pour en éloigner la poussière…

Les cheveux dressés sur la tête, tous les poils de son corps hérissés avec la chair de poule, Ornicar se met à pleurer comme une fontaine. Il veut parler mais ne peut pas, il veut se tourner vers ses amis mais ne peut pas, il est paralysé par l’incompréhension, sans cri… pour la première fois de sa vie.

Il veut marcher mais ne peut pas.

Le petit garçon s’avance et demande gentiment.

– Ça ne va pas Ornicar ?

L’homme répond avec une extrême difficulté.

– Est-ce que tu lis comme moi ce qui est écrit sur cette pierre ?

L’enfant prend le petit triangle et murmure.

– Je lis ton nom, Ornicar.

D’une forme bien précise, en petites lettres majuscules rouges dans le cercle d’environ deux centimètres de diamètre, sans qu’aucune lettre ne touche l’autre, le nom du navigateur est marqué… bien marqué.

Impossible, c’est un cauchemar ! Grand barbu auquel je ne crois pas, de tout là-haut réveille-moi !

Le papa du garçonnet répond à la place d’un Dieu qui probablement serait resté muet.

– Non, tu ne dors pas mon ami, viens avec moi il faut que je te raconte.

La pierre chauffe la main. La pierre semble peser de plus en plus. La pierre fait vibrer Ornicar. Elle lui envoie des ondes qui se répercutent dans tout son corps.

– Tu vois mon ami, il y a environ deux mille ans vivaient ici des Celtes. Dans la grotte que nous allons voir à peine cent mètre plus loin, beaucoup d’entre eux furent massacrés par des troupes de la légion romaine. Tout près d’ici également, sur une esplanade au bord de l’à-pic qui domine le fleuve, les religieux célébraient leur cérémonial d’adoration du soleil à son lever. Viens mon ami, je vais te montrer encore beaucoup d’autres choses. Dans la ferme que j’ai peu à peu retapée, des gens sont venus de la France entière et de l’Europe pour des réunions de spiritisme ; nous avons même pris des photos d’ectoplasmes. Tu as fais de la spéléo je crois. Demain, nous irons voir un puits qui va t’intéresser… j’ai un peu de matos.

 

Les yeux enfin secs dans l’intimité de la belle maison, la tête débordante de points d’interrogations, Ornicar examine avec une loupe une pierre toute simple qui porte son nom. C’est de l’argile, déposée dans un fossile, une sorte d’escargot marin, il forme son nom.

Les armures présentes dans la pièce paraissent se pencher au-dessus de la couche du marin perdu, dépaysé et, pire, désorienté pour la toute première fois depuis le jour de sa naissance. En mer la superstition est reine. Mais ces fadaises ne sont pas pour notre ex-commando. Enfin… c’est lui qui le dit !

Si au Sénégal de drôles de choses se sont déjà passées – nous l’avons vu – elles n’ont pas encore ouvert son esprit au surnaturel, au spirituel. Et dans cette maison, si particulaire après une journée si insolite, la peur s’empare à nouveau de lui… bien qu’il ne veuille pas l’avouer.

La nuit est épouvantable. Ornicar ne peut trouver le sommeil que très tard et le cauchemar qui l’assaillait souvent dans son enfance revient le hanter. Il se réveille en hurlant. Il est neuf heures et demie du matin. Une bonne odeur de café qui monte de la cuisine flotte dans l’air.

Après le petit déj, Ornicar et son ami s’en vont au puits. Dans une poche du premier, une pierre rayonne ; élément contribuant à la transformation d’une conjonction de coordination en un homme. Elle donne à celui à qui rien dorénavant ne peut arriver une incroyable assurance. Sa peur de la nuit dernière a disparu.

En se penchant au-dessus de la margelle, le marin, qui un jour auparavant ignorait tout de cet endroit, y compris le nom même du village, s’entend bredouiller :

– Il n’y a que huit mètres de profondeur, un grand mètre d’eau, et deux tunnels partent d’en bas. L’un file vers le sud et est effondré presque tout de suite. L’autre exactement à l’opposé s’éloigne au nord. Après deux courbes, à droite puis à gauche, il est lui aussi obstrué. Nous ne pourrons pas parcourir plus d’une quinzaine de mètres.

 ??????????

Trois baguettes d’encens sont allumées pour calmer d’éventuelles entités réticentes à la visite. Puis, en avant pour une courte descente en rappel ! Ornicar ne s’est trompé que sur la profondeur de l’eau. À peine cinquante centimètres. De quoi remplir les bottes malgré tout. Le reste est exactement semblable à sa description…..

Quelques instants plus tard, ressorti du puits, Ornicar interroge son ami :

– Que sont donc ces petits monticules bien alignés, là, tout près de la route ?

– Ce sont des tombes de Celtes. Ils reposent les pieds à l’Est vers l’endroit d’où le soleil se lève. Le musée du village leur est en partie dédié.

Ornicar de nouveau blanchit, se met à pleurer et respire avec difficulté. L’affreux « crochemard » – comme il disait à sa maman autrefois réveillée par ses cris – qu’il n’a jamais décrit à quiconque, curieusement revenu cette nuit, est un tunnel passant sous un cimetière !

 – C’est pas possible, je deviens fou !

 – Non mon ami, tu as seulement vécu ici il y a deux mille ans.

– Je ne crois pas à ces conner…pardon sornettes.

 -Tss, tss… tu m’as parlé récemment du verbe croire.

 

De retour à son voilier, le vagabond des mers, la tête pleine d’une multitude de points d’interrogation, ne se résout pas à appareiller. Il sait que plus jamais il ne reviendra à Parlabas. Mais il ne peut se résoudre à partir définitivement. Il lui manque quelque chose…

– Ornicar, téléphone pour toi.

Les potes spéléos organisent une sortie au mont Pilat. En voilà une idée qu’elle est bonne ! Bon prétexte aussi pour retarder la levée des voiles. Et on remonte donc soixante kilomètres plus au nord cette fois.

Très près du sommet de la montagne, dans la belle forêt du Parc National, au dessus du fleuve qui poursuit son chemin imperturbable vers les Celtes du sud, alors que la bande de joyeux drilles s’amuse, Ornicar est soudain saisi de folie.

Le voila qui marche droit devant lui, ne se souciant pas des ronces qui lacèrent ses jambes dénudées… il ne sent rien.

– Eh, Ornicar, qu’est ce que tu fous ?

Le marin zombie est maintenant en arrêt devant un tas de pierres noires de plus de trois mètres de diamètre en psalmodiant la bave aux lèvres :

– Ceci est ma tombe, ceci est ma tombe, ceci….

– Ornicar, réveille-toi, nom d’un chien !

– Qu’est ce que je fais là ? La vache, j’ai mal aux guiboles ! Vous avez vu, elles sont en sang !

– Tu racontes que ce tas de pierres est ta tombe.

– Pas possible !

 

Histoire interminable, re-retour sur le bateau qui lui attend, tranquille. Il n’y a qu’une bouée à larguer. La météo est favorable.

– Ornicar, message pour toi, rappelle ce numéro.

Au téléphone, celui qui sort avec la petite sœur, présent dernièrement à la sortie du Pilat.

– Ecoute bien Ornicar… et assieds-toi sinon tu vas tomber sur le cul. Pour mon boulot, il m’a fallu aller à la bibliothèque municipale. En passant au milieu de deux rayonnages, un petit livre était à part, sur une table basse, tout seul. Tu m’écoutes Ornicar ? !

– Bien sur !

– Ecoute bien ! Titre du bouquin : Les civilisations Celtes dans le mont du Pilat ! A la page où je l’ouvre, sur la droite, un croquis de la petite chapelle près du sommet. Tiens-toi bien encore, sur la gauche, un texte que je te rapporte le plus exactement possible : Aux abords de cette très vielle chapelle, sont enterrés les chefs Celtes de la région d’il y a environ deux mille ans. L’on creusait de vastes entonnoirs et ils étaient ensevelis, enfourchant leur cheval favori, sous de grosses pierres 

Badaboum, badaboum ! Ornicar ne croit plus en la réincarnation : désormais, il sait. Il commence réellement ce jour précis à comprendre qu’il lui reste beaucoup à apprendre. Il ne lui manque plus rien pour repartir. Plus jamais il ne se posera la question du pourquoi du comment. Tous ses points d’interrogation vont maintenant trouver leurs respectables réponses, et les gens qu’il croisera sur son chemin toujours l’aideront pour ce faire.

 

 

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