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Article publié le 6 janvier 2019. oOo JOURNAL D’UN DÉBUT DE JANVIER
4 janvier
L’odeur anisée d’un jeune mimosa derrière sa haie d’hiver - au fond de la cour - et qui annonce déjà le soir presque chaud du 5. * Une froide lumière, sous des nuages de suie, suspend des lampes dans le haut cèdre noir - incendie la pâte blanche d’une maison de vivants, là-bas, que je n’ai jamais vus et, plus loin encore, le tronc irréel d’un bouleau-papier. * Moi aussi, mes désirs sont des regrets. J’entends tinter notre couvent autour de sa placette de pierre ; et entends aussitôt de vieux couvents au loin sonner dans le frisson antique d’août. * Une vigne brûlante d’automne, rouge, rousse, jaune et rouille, réduite au fil des jours, le long de la même voie, à un cep cendreux de toussaint et puis à de vieux sarments. * Kaki d’enfance, aux bras d’un champ de mottes nues. Mais le fruit, dans la bouche, tue le fruit ; le désir, sur la lèvre se meurt. * Je viens de perdre presque en même temps un maître, et un ami. Deux pans de mon corps, s’affaissent de haut en bas. Me voici plus étroit et plus vieux. Et à mon tour, mortel. Je ne parviens pas à croire que le premier est mort depuis un mois. Pourtant, sa famille vient de me remercier de mes condoléances. * Tombe pluvieuse, effacée d’un historien, maître du temps et qui fut de quelque académie. Chrysanthème noir de Noël, sous un temps humide à goût de neige. Mince obélisque de ciment sommé d’une toge, sur des épaules. Et puis on s’aperçoit que la toge est jetée de biais sur une anse d’urne cassée. * Et moi non plus, jamais je ne boirai de limonade sur Altaïr.
le 5 L’odeur jaune d’invisibles mimosas dans la tempête froide de minuit.
le 6 Que le temps change vite en montagne ! Soleil, grêle, soleil, averse fertile de neige ; puis le verglas de la réalité, quand on croyait le charroi tiré d’affaire. Et au pied des monts, ce massif (sombre et enflammé) dans la nue et qui n’est que nuages, comme le clair-obscur monumental de tous nos mythes. * Existerait-il une divination par la nuée, que les Anciens n’ont pas connue ?
le 7, nuit Éclipse de lune. Halo roux où se sera projetée l’ombre de la Terre.
FÉVRIER
2
Quel dieu plume sa neige en larges flocons effilochés, comme aux antiques nuits de Recanati, quand l’averse qui fut blanche grésille contre les roues venteuses et sur la capote du coche… et que j’épiai le sel sombre du ciel loin du bourg à l’écart de l’enfance (il neige ; quel dieu plume ses oies ?) pour glisser à mon tour sur un chemin herbeux de boue, entre des poules affairées qui caquètent, dans un vieux couvercle de malle renversé en guise de luge noire et de traîneau…
14
Dehors, toujours un ciel sans ciel ; neigeant bas sur l’hiver.
15
(Neige neuve, très lente, et soudaine d’enfance ; sur mainte neige, jadis neigée.)
16
Dehors, toujours l’hiver ; vivant, comme nous, de ravage, et d’un dernier feu de violette. Avec un dernier flocon d’hier flottant par devant la grosse cloche de ce jour, midi, 21.
16
Et l’âme sous la neige qui endort ses rêves de passé ne sait plus si le flocon monte ou bien redescend
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Cendre noire, et humide, de gel. Et vieille ronde où ne reviendront plus sauter de dernières années.
18
Alors l’enfant, fermant sa caisse de jouets (et moi qui n’en eus pas), l’enfant déjà grand criant toujours après demain prend congé d’un très vieux chat qu’il prit longtemps pour un ronronnant aîné, et dit qu’il n’eût fallu jamais crier Noël pour grandir si vite.
19.
Le déménagement d’une crèche infinie de village, dont on ne voit plus que le seuil de carton, clos par deux charrois, et un troisième (où monte une brouette par un pont de planche). L’illusion dévissée, panneau à panneau, de tout un coin de placette haute, par un employé de mairie à bonnet. Mais nous aurons gardé deux fines statuettes de galette qu’on nous offrit sur ce pavé, même soir, entre deux torches à gros sel crépitant, blonds lumignons et petit chœur de fillettes pleureuses pour la fête des Sigillaires au temps de Marc-Aurèle et de l’empereur-soldat Galba, dit le bref (manteau pansu, noué de laine sombre à la ceinture, comme un lare), et dont pensées étaient partout traduites jusque sur les chemins de halage.
24
Peau rude du front polie par la neige successivement appesantie qui volète et glisse, silencieuse (couleur vieux lilas), et puis ne tombe plus comme se dissipe, yeux clos, un destin soudain favorable loin du lit réel où nous songions.
28.
Et dès demain (couleur d’argile), l’essence du bleu, nuageux, posée comme une plume sur la trame visible et dure de la toile tendue (et cloutée sur la tranche).
29.
Bientôt c’est mars, sourd avenir, dernier débris qu’éteint sans art, telle l’espoir, une cloche de gel sous sa jaune fumée d’arsenic.
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Commentaires :
Une poésie vraiment vécue et sentie par Gilbert Bourson
Évoquant les sigillaires au temps de Marc-Aurèle, Daniel Aranjo garde le présent aussi chaud que cette neige, elle aussi évoquée, d’enfance demeurée, (déjà toujours neigée) en cette poésie qu’il élève à la fois à la hauteur du ciel, mais aussi (et surtout, pour mon épicurisme), à celle de la terre. La poésie de cet auteur est de celles qui exaltent les éléments, lesquels fondent notre lieu intérieur en passant par la langue. J’ai vu qu’Aranjo a lu (au sens de faire passer), Saint-John-Perse, qu’en France on ne cite plus guère, et qu’une certaine critique (moderne ?) semble tenir à distance. J’aimerais connaitre ce qu’il en écrit. Ce Janvier-Février ou journal d’un début de Janvier, se givre en fines lamelles de prose où l’on tombe sur des cristaux comme : « l’odeur jaune d’invisibles mimosas dans la tempête froide de minuit » qui fait penser au journal de Coleridge. Voilà une poésie vraiment vécue et sentie.