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Frank n'avait pas le fric nécessaire pour se...
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 Article publié le 27 janvier 2019.

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Frank n’avait pas le fric nécessaire pour se lancer dans cette enquête. Fred n’en avait pas non plus sinon Frank en aurait eu au moins de quoi commencer à réfléchir. C’était la première enquête de Frank. On ne le dira jamais assez. À cette époque (répétons-le sans nous lasser) il n’était que souffleur dans la polygraphie (humaine ou technologique) pas encore Privé, car il venait une fois de plus d’échouer aux épreuves d’admissibilité du Concours. Une honte ! Ah ! Se faire rétamer à l’admission, pourquoi pas… mais à l’admissibilité ! Ajoutez à cela le manque total de fric et vous comprendrez dans quel état d’esprit se trouvait le souffleur pas encore privé. Il quitta Fred sur le coup de six heures à la fin de cette après-midi chargée en évènements épuisants d’un point de vue intellectuel. Il avait quitté le bar sans participer aux frais de consommation, ce qui mettait Fred dans une sale situation, car le commanditaire n’avait pas de fric lui non plus. Il possédait peut-être des photos du con de luce, le barman n’en ayant saisi que le reflet forcément moins réaliste qu’une prise vue en studio. Voilà comment Fred finançait son alcoolisme. Mais dès qu’il fut question de financer une enquête sur les activités terroristes et sexuelles de luce, pas un radis ! Rien ! Et il fallait se lancer à la poursuite de ce couple satanique… En commençant par le bout du monde, qui n’est pas à côté comme tout le monde le sait. Frank retourna à la scierie.

Il commença par réfléchir et échoua à trouver une solution au problème du fric. Ensuite il se masturba en pensant à ce qu’il savait de Justine (qui sera le nœud de sa seconde enquête — voir plus haut.) Il ne relut pas le panneau cloué à la grille. Aucun intérêt autre qu’historique et local, deux attributs responsables de la plupart des échecs littéraires. Il éjacula après une montée en puissance du plaisir qui lui fit presque perdre connaissance. Mais à la dernière fraction de seconde, ce fut le con de luce qui apparut sur l’écran mental de la jouissance. Frank en fut déconcerté. Mais il comprenait. Il se comprenait. Ne s’était-il pas toujours compris ?

Chez maman, il ne possédait toujours pas un espace à lui. Il couchait dans un canapé à la chair si osseuse que ses propres os en souffraient. Pas un espace où ranger ses affaires personnelles sans risquer de les soumettre à la curiosité des autres occupants de la maison. Alice avait tendance à moucharder dès que l’esprit de Fred s’éloignait d’elle et c’était Frank qui payait les pots cassés. D’ailleurs, il ne baisait personne dans ces lieux devenus pourtant si familiers qu’il en connaissait toutes les circonstances, y compris les moins avouables. Frank échouait régulièrement au Concours, mais il était doué pour les rencontres fortuites. D’année en année, et de séjour en séjour sous la houlette de Roger, il affinait le sens de ses prouesses et la perspective du succès devenait de plus en plus probable.

Certes, maintenant que luce était en cavale dans les régions les plus obscures de ce Monde, il devait se contenter de ce qu’il savait de son con, soit en se souvenant du miroir, soit en appréciant les projections murales que Fred improvisait sur le mur de la grange à la nuit tombée. Spectacle réservé aux initiés, car ni maman ni Roger n’en étaient informés. Frank se masturbait sans retenue et Fred enculait Alice qui ne manquait pas de se plaindre de la douleur. Personne n’avait revu Pedro Phile et son site n’était plus accessible (si, si, essayez, vous verrez…). On ne se renseigna pas auprès des autorités, les journaux n’en inspirant pas la nécessité. On lisait le journal tous les jours dans cette hypothèse. Mais non. Rien sur Pedro. Par contre, il y était quelquefois question de luce et de son Arabe, traités comme les Bonnie and Clyde du temps présent. Fred en concevait des douleurs silencieuses ou à peine audibles selon le sens du vent. Mais personne n’évoquait son état d’esprit relatif à cette cavale d’ailleurs incompréhensible. Frank, qui avait l’expérience de la polygraphie malgré la modicité de sa qualité de souffleur, percevait des tropismes autrement persécuteurs que ceux qui alimentaient la Presse. Et chaque fois que ça devenait franchement insupportable, il se promettait de ne plus accompagner Roger Russel dans cet endroit où la passion de la pêche n’était que le prétexte à de plus profondes analyses psychologiques.

Voilà où on en était, en cours d’enquête mais sans le fric nécessaire pour la placer dans la réalité. C’était une enquête fictive. Et cette fiction n’apparaissait que dans les douleurs de Fred et l’hypocrisie constante de maman et de Roger. La sœurette ne s’absentait que pour aller quérir un onguent chez le chaland du dimanche matin. Et Jack, qui ne prendrait de l’importance que dans la seconde enquête de Frank (voir plus haut), se montrait discret en toutes circonstances, soucieux de conserver ses droits sur la personne de maman en dehors de la période estivale imposée par Roger. Ça allait. Mais Frank, cet été-là, rongea longtemps son frein avant qu’un évènement dénouât ce climax peu propice à l’invention narrative qui était sa seule passion. Mais on n’invente pas si rien n’est caché. Peut-être. On a beau creuser, en toute discrétion et surtout sans fric, ce qui est caché ne l’est pas forcément sous terre ou dans les murs. Il faut aussi attendre. Et savoir attendre. Or, Frank était un spécialiste de l’attente. On le lui reprochait souvent, même pendant ces vacances auxquelles, rappelons-le, il n’était pas invité. Il y figurait comme une pièce rapportée. Et Roger en acceptait l’augure sans en soupçonner la fortune.

Or, voilà que certain jour, dont il n’est pas utile de préciser la nature ni le lieu, Frank reçut de la Poste une lettre d’un certain poids. Il en déchira l’enveloppe avec impatience, car il attendait les résultats des épreuves d’admissibilité du Concours. Jamais elles ne lui avaient été communiquées par lettre d’un pareil volume. L’Administration s’était toujours limitée à une lettre simple d’un poids et d’un format correspondant à la franchise ordinaire. Il était tellement ému qu’il avait négligé de consulter le dos de cette lettre où il aurait pris connaissance de l’expéditeur. Il était parti pour les résultats du Concours, avec l’espoir d’en avoir décroché l’admissibilité. Il était comme ça, Frank, du temps de sa première enquête. Il occupait toujours la fonction de souffleur en polygraphie. Il n’avançait plus et Fred ne lui envoyait pas de fric, ce qui avait astreint les dimensions de l’enquête #1 à une réduction mentale de ce qu’elle eût été si quelqu’un en avait payé le prix. Cela frisait le néant, mais Frank ne croyait pas au néant comme il avait foi en l’avenir. Pour l’instant, en cet instant, il déchirait l’enveloppe dans une autre perspective, celle du grade de Privé qui l’autoriserait peut-être à mener son enquête, celle de Fred, grâce à une subvention gouvernementale. Qui n’espère pas attend en vain.

Une fois le kraft réduit en charpie, un volume relié apparut. C’était épais pour un simple résultat qui en principe se résume à une phrase fatidique. Frank feuilleta rapidement à l’aide du pouce, ne lisant pas, ne voyant rien de graphique ni de chiffré. C’était de l’écriture et ça s’intitulait PHÉNOMÉRIDES… en minuscules.

« ¿Pero e’to qué e’ ? »

Il feuilleta moins vite, s’attarda sur la couverture portant titre et auteur, relut le titre qui ne figurait pas dans son dictionnaire interne, passant comme le pinceau du violoniste sur le nom de l’auteur, son inconscient l’ayant déjà identifié sans erreur possible. Le temps, ce temps inévitable, incompressible et irréversible prenait ici de l’importance et l’esprit de Frank se refusait à reconnaître qu’il connaissait l’auteur et que s’il agissait ainsi dans le noir c’était parce que cet auteur ne lui était justement pas inconnu. On pourrait ici, si on voulait être complet, insérer la thèse qui fit d’Alice un docteur de l’Université. Le lecteur l’insèrera lui-même, tant la loi des mélanges des genres est capricieuse. Laissons ce ou ces caprices au lecteur auquel nous concédons la thèse sans ses développements savants ou pédants : Frank est l’auteur de ce qui va suivre ici, à savoir la deuxième partie du manuscrit portant en titre LES MINUTES DU PROCÈS… en minuscule avec initiale majuscule… avec notes et autres annexes. S’agit-il là d’un effet d’inconscient à l’instar du temps qui occulta le nom de l’auteur au moment où Frank le découvrit ? Ces spéculations sont ici laissées à l’idiosyncrasie du lecteur… sorte d’excroissance issue de la lecture et non du texte lui-même.

So that :

 

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