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Histoire de Jéhan Babelin (62) |
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![]() oOo Ainsi les voix se multiplièrent. Je ne reconnaissais plus la mienne Si tant est que je parlasse Comme il convient à l’âge ingrat. Non, je ne parlais pas aux autres. Je cherchais la répercussion Dans l’angle des murs bavards. Quel instrument mieux que la grille Peut imiter tant de fracas ?
Le chien grognait encore. Il n’allait pas plus loin que le portail, Mais sa langue franchissait les distances. Quelquefois on venait de loin Pour l’entendre gratter ses cordes. Il n’ouvrait pas le portail. Il parlait dans la grille moussue. Des tiges fleuries se frottaient A ses joues rugueuses comme des limes. On ne l’écoutait pas longtemps. Il finissait toujours par vomir Et les gens filaient sur le trottoir Pour échapper à ses critiques. Papa-chien ne redoutait rien, Mais il buvait à même le goulot. Et à la fenêtre là-haut Maman-hermaphrodite reprenait Un à un les refrains.
Je fus géant Et je suis luz.
La peau du tambourin se tend Sous l’effet de la turgescence.
Je fus Jéhan Et je suis LUCE.
Ah quel mystère les amis ! Quelle énigme sans solution Pour un enfant qui ne sait pas A quel point il est compliqué De devenir et de rester !
Un chien à la rigueur ! Mais cet être transformé Par l’art du chirurgien ! Que suis-je moi-même Si je n’ai pas tout compris ?
Je n’ai jamais voulu être un chien. Je n’en ai même pas caressé. Je n’ai jamais approché un chien Sans me méfier de sa douceur. Le mien fumait la pipe En se laissant fasciner Par les feux de la cheminée. Les feuilles se recroquevillaient Au son des écorces rougissantes. La poésie des chiens Est à l’image de l’Enfer. On vous attend sur le rivage. Qui est ce conducteur sans visage ? Vous ne le saurez jamais. Relisez les poésies de Renaud, Plus haut ! Plus haut ! Elles vous rediront ce que le feu N’a pas donné à ses précurseurs. Je les aimais comme le pain, Comme le lait de ses galets. Mais le chien n’a pas donné l’enfant A cette femme qui n’en est pas une. Je ne suis pas l’enfant De Jéhan Babelin, LUCE ou pas LUCE.
Nous prîmes le train à Paris. Il s’envolait sur les toits. Il ne redescendait pas. Les quais étaient déserts. Un cheminot sifflait En agitant ses signaux. Jésus multiplia les ponts Et servit le vin à ses hôtes. Je ne vous ai pas parlé de Jésus. Jésus le Sucre de mon existence, Mauvais poète, homme de peu. Il aimait les femmes en hommes Et les enfants en petits monstres. Il habitait à la droite d’un seigneur. Dans cette maison de banlieue, Personne ne croyait en Dieu. Jésus haïssait Dieu comme lui-même, Mais en amour, c’était un dieu. Il aima Jéhan Babelin Et creusa sa statue Dans la pierre d’angle D’une ancienne fabrique De moteurs à explosion. La statue portait comme un calice Le bocal contenant, Dans son jus de formol, La verge coupée de Jéhan Et ses olives rabougries Qui pendaient hors de leur sac Comme deux têtes de lutins. A l’automne le chien Vint lui aussi se recueillir Devant la relique désormais Aussi sacrée que Saint Glinglin Et Saint Frusquin réunis. Mais d’enfant, pas un un ! Rien que mézigue à la fournée. Et ce n’était pas faute De prendre le plaisir Par les deux bouts De sa lorgnette. Nous avions pris le train A Paris pour les toits Et le charme de ses statues.
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