***
Babelin écrivait, écrivait, écrivait !
Il écrivait pour écrire.
Il avait grand peur
De ne plus écrire.
Aussi écrivait-il sans cesse,
Le nez contre l’écran,
Les doigts agiles mais crispés
Et les yeux remplis de larmes.
Des larmes d’acier et de feu.
Des larmes d’ouvrier au travail
De son éternité et de sa gloire.
Il ne buvait pas, ne mangeait pas,
Ne connaissait pas le plaisir
De faire semblant d’engrosser les femmes.
Il était assis près de la fenêtre
Et écrivait de jour comme de nuit.
Il dormait peu, angoissait beaucoup.
Il faillit même se suicider,
Mais la corde se rompit
Heureusement, heureusement !
Et quand la pluie se mit à tomber,
Il comprit que l’automne devenait hiver
Et que le printemps n’était qu’une promesse.
Il inventa tellement de personnages
Qu’il ne les reconnaissait plus
Quand il lui arrivait, rarement,
Rarement, de les rencontrer. Cela
Se passait dans et hors les murs,
Comme cela se passe toujours,
Moitié hasard, moitié désir.
Il les aimait par-dessus tout, mais
Il ne savait jamais s’il avait affaire
A l’un d’eux ou à une autre histoire
Qui n’avait rien à voir
Avec celle qu’il s’efforçait de raconter.
Ah ! si vous aviez connu Babelin
En ces jours de création sans limites
Que la nuit et le jour et encore
Quand il ne rêvait pas.
Il n’était plus ni homme ni femme,
Ni chien ni rien de reconnaissable
Avec les yeux de l’animal
Qui dormait encore en lui.
Cet animal poussait quelquefois un cri.
Babelin reconnaissait là le cri
De la douleur qui n’appartient
Qu’à l’être humain perdu dans l’Histoire.
Les existences de tous temps s’accumulaient
Aux vitres des fenêtres toujours mouillée
Par la rosée et les averses tombées
D’un ciel à peine triste et poussées
Par un vent qui pouvait être sa voix,
Sa propre voix s’exprimant dans la langue
Héritée de n’importe quelle nation en feu.