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Le rebond
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 Article publié le 13 octobre 2019.

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Un bonheur de lecture est à l’égal de cette chance qu’est l’écriture, à la condition expresse que la lecture s’organise spontanément en une arborescence qui menace à tout moment d’interrompre ladite lecture.

Deux attitudes alors prévalent selon mon caprice : soit je tiens bon et poursuis ma lecture, décidant paragraphe après paragraphe de ne pas donner suite aux suggestions qui m’assaillent, soit j’interromps ma lecture et me mets aussitôt à écrire pour donner suite et pour ainsi dire faire droit aux suggestions qui affluent.

Dans le deuxième cas, je refuse que les suggestions restent lettres mortes. C’est ma façon à moi, en dépit de l’interruption que j’impose à ma lecture, de poursuivre l’aventure textuelle, mais avec d’autres moyens.

Il me faut écrire à mon tour pour ne pas être en reste.

Que je poursuive ma lecture ou que je l’interrompe pour écrire à mon tour, il y a assaut. Quelque chose venu d’ailleurs m’incite sans me contraindre à faire jouer ma liberté de ton. Il ne s’agit pas, à ce stade, de faire jouer une quelconque liberté d’expression, fort précieuse par ailleurs. Non, il s’agit en l’occurrence d’entendre puis d’écouter une voix intérieure qui montre la voie, sans jamais que le chemin à venir - court ou très long, c’est impossible à prévoir - ne soit balisé de quelque manière que ce soit.

Dans le pire des cas, on tombe dans le commentaire qui peut tourner court ou virer à l’exégèse minutieuse.

Faire assaut d’imagination comme en écho à un texte qui n’est pas de moi, c’est autre chose, cela correspond à une tout autre démarche qui n’a rien d’arrogant vis-à-vis du texte et de son auteur.

Faire assaut d’imagination permet de souffler sur les braises encore chaudes d’une pensée que le texte qui m’est étranger a porté à incandescence : je m’appuie sur l’écrit d’un autre pour y laisser une marque autre. Ce faisant, il m’arrive de m’écarter aussi de moi-même ; je me surprends parfois à penser des choses dont j’ignorais tout, avant que n’intervienne cet autre que moi qu’est l’auteur que je lis.

Penser à et avec amène à penser tout court, pour ce faire la médiation d’autrui est indispensable, et l’on sillonne la pensée d’autrui pour, au bout du compte, se retrouver autre que l’on était, avant cette lecture qui a viré en écriture. Cela prend des allures de fatalité heureuse. C’est une injonction à penser et à imaginer dont je suis redevable à autrui. L’excitation ressentie durant la lecture appelle une réponse, non pas tant pour faire baisser la tension qui est certes vive que pour voir où mènera l’aventure, source, elle aussi, de tension heureuse.

J’appose ma griffe sur une proie tout sauf facile mais devenue docile, proie que je destine à une liberté plus grande que celle dont elle jouissait dans l’espace restreint du texte qui m’est étranger. Le texte qui en ressort m’est tout aussi étranger, au moins dans un premier temps. Je suis le premier surpris.

J’use de liberté en prenant des libertés avec le texte initial, libertés qui ne consistent en rien à lui faire injure. La liberté qui se joue là entre un auteur et moi dessine une rencontre imprévisible et improbable.

 

 

C’est un rebond inattendu que l’auteur que je lis ne pouvait pas plus prévoir que moi.

Ainsi je modifie la trajectoire initiale du texte étranger pour l’emmener je ne sais où exactement, mais à coup sûr en tous cas vers ou sur des terres inconnues que je défriche page après page. En creux, c’est une sorte d’hommage au texte initial qui se fait jour. J’en souligne l’importance et la valeur qu’il a à mes yeux en en prolongeant certaines vibrations que j’ai ressenties à sa lecture. Le texte qui naît alors ne saurait exister sans la lecture préalable du texte qu’un autre a écrit, parfois il y a fort longtemps. C’est bien l’opération de lecture qui a vocation à susciter de nouvelles vocations.

Parfois, c’est comme si le texte lu agaçait mes gencives et me mettait en appétit. Je perçois trop bien ce que l’auteur a tu ou simplement négligé. Pour une part, j’ai alors l’illusion de donner la parole à des propos avortés. Il y a là une forme d’outrecuidance qu’il faut bien dire inévitable.

Parfois, il est vrai, que je m’éloigne considérablement du texte lu initialement pour que l’on puisse seulement deviner d’où provient le texte que j’ai écrit.

L’intertextualité a ses limites.

J’entre en dialogue écrit avec des pensées fortes qui s’adressent à ceux et celles qui veulent bien leur redonner vie en les lisant. Tout lecteur porte ainsi un texte, même très ancien, sur les fonds baptismaux, lui redonne en tous cas vie et vigueur, mais le plus souvent c’est pour, à plus ou moins brève échéance, l’abandonner à son sort, dès lors qu’écrire, en guise de réponse, devient irrépressible.

Le texte lu et admiré ne devient pas une épave. Il n’est en rien dépassé comme peut l’être une technologie devenue obsolète. Un texte de valeur s’impose par ses qualités littéraires et les reconnaître demande parfois un grand effort de culture préalable à sa réception.

Une reconnaissance s’impose, le nouveau texte étant tout entier redevable du sursaut créatif qu’il a suscité. L’auteur se survit dans le texte, à tout le moins sa pensée survit et entre en résonance avec une pensée autre qui tantôt la prolonge pour ainsi dire dans le temps présent, tantôt décide de la réfuter entièrement ou seulement en partie.

Les témoins de cette joute d’écriture, ce sont mes contemporains qui peuvent ne pas discerner quel texte a bien pu inspirer le mien ni même soupçonner qu’à l’origine de mon texte il y a un texte plus ancien.

 A vrai dire, une seule phrase - quelques mots seulement - peut déclencher la rédaction d’un texte beaucoup plus long que la phrase dans laquelle il trouve son origine.

Il ne s’agit ni de dissimuler l’origine d’un texte ni, a contrario, d’en étaler les ressorts conscients ni, non plus, d’ignorer superbement les ressorts inconscients qui peuvent intéresser la critique. Ces trois dimensions sont en jeu dans tout texte sciemment écrit. 

Il s’agit d’écrire, encore et toujours, en faisant flèche de tout bois.

 

Jean-Michel Guyot

16 septembre 2019

 

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