Retour sans le seul compagnon étranger
À toute idée de comportement philosophique :
Le chien / le mien / pas choisi mais rencontré /
Seul le hasard :
sans compensation graphomane
/ pacte des jours :
la nuit, nous sommes enfermés
Dans le même appartement : n’écrivait pas, rien :
Surveillait les lieux / ne racontait pas d’histoires /
Se pliait à ses actes et avait une bonne gueule /
Ruisseaux locaux et rivières paysannes longées
Ensemble / coupés par la couleuvre ou le chevreuil
/ amusés par le papillon ou fuyant la pluie des arbres
/ métal des truites dans la passe : vase du silure
Remontée près du pont au passage d’un oiseau
Allant à pied / rien sur les cuistres ni les charognes
/ mais pas philosophe non plus :
chien.
Des têtards l’amusent
/ ou le scarabée d’or
/ la crotte d’un ragondin
/ la peau du serpent
/ mais pas le galet agate
/ à moins de ricochets
/ sous le pont parcouru
Par leurs insectes têtus
/ l’oiseau jette un regard
Parallèle : fenêtre s’ouvre
/ chiffon des jours avec
Reflets et bras nus /
Philosophe non : chien.
Se laisse caresser par l’enfant
/ s’éloigne du promeneur
Ou s’en approche menaçant
/ nous ne savons rien du chien
Sinon qu’il n’est pas humain
/ et pendant que la mouche
Ne se laisse pas berner
Par le fil étincelant : promène
Sa vessie et son intestin /
Sa gueule aussi et ce museau
Qui ne trouvera jamais un sens
À l’existence ni à ses gouffres.
Moi-même je traverse l’existence
Sans connaissance des lieux
Ni des récits qui les approchent
De la ruine : mais sans personnage
Je n’écris plus qu’aux postulantes.
Pleurnichards de la décadence
En file indienne devant les vitrines
/ pourquoi leur écrire des lettres
D’amour — ou de haine selon /
Ça piaule même / au carrefour
/ chougnes des sorties en groupe
Serré de la vieillesse et de l’ennui
/ mon chien faisait le chien voyant
Que l’imitation de l’homme plaît
À l’homme : bluff des comédiens
À l’interprétation du personnage
Qui traverse pourtant les lieux
En parfait étranger / et le temps
Qu’il faut pour éviter de revenir.
Derrière le moucharabié les voiles
Et les bijoux avec promesse d’enfant
Au bénitier de la maison commune.
Fleurs des ventres en vente libre
/ l’adolescente s’y aventure en jeune
Première ou en promesse de l’esprit,
Du corps ou du travail bien fait /
Couilles des barons sans terre
En oscillation constante / paroxysme
Recherché ou seulement l’idée
Que l’acte ne connaît pas / lattes
Peintes à la main en atelier puis
Le menuisier et le jardinier ensemble
Contemple leur ouvrage de la rue /
Têtes levées et dans le dos les rites
Du verre et des doigts manipulant
Les dés de ce qui n’a pas eu lieu :
Guerre ou noyade comme au milieu
D’un océan qui n’a jamais existé.
Chien ne voyait pas les choses
De ce point de vue : happait la mouche
Sucrée ou trouvait de quoi jouir
Entre les pierres du chemin
Ou au fond du fossé où pousse
L’ancolie « couleur de cerne des yeux »
/ ces nuits sans une seconde d’éveil
Parce qu’il couche sur le tapis :
Au matin le brouillard s’enfuit
Vers d’autres horizons que ne connaît
Pas sa curiosité naturelle /
Mais qui croise les pleureurs
De la fin de la race ? Roman
Et styles confondus au panneau
Décliné en BD / confesse des justes
« à un chouya près » / approximation
En odeur de sainteté / croix
Portées en bandoulière comme
À la guerre entre deux combats /
Bref mon chien suivait sans savoir
/ du moins je m’en persuadai /
Qu’il allait mourir et me laisser seul
Face à celui qui n’a plus que le style
Pour exister comme il en a envie :
Style et non pas écriture / cadavre
De profil / avec pour seul personnage :
Soi-même.
Bien sûr il y a les poils, les crottes, les aboiements
Et l’urine des angles et des troncs / les visites
De semblables / quelquefois à l’intérieur / pendant
Les moments de séparation : parce que vivre ensemble
Suppose la séparation de temps en temps /
Le tapis sent le chien / les rideaux le tabac /
La cuisine le porc et l’huile cassée / la chambre
Sent comme le jardin pourtant : fleurs au soleil
Et terre mouillée des pluies / la braise en instance
De feu retrouvé / les soles en jachère / la chienne.
Nous aurons la grisaille pour étrenner
Chaque nouvelle année / la douceur
Des gelées blanches dans les mains.
Poids des ans alentour / grimaces
D’effort / seul sans son chien mon
Personnage sans histoires ni lieu
De naissance ni de mort ni d’aventure
Trouve son style et cherche à le vendre
Pour ne pas s’en aller sans toucher
Son pécule / l’ombre d’un chien
Au mur se souvient : « que c’est lui »
Et lui seul : à l’ouvrage du Colosse /
Laissant le style aux minus habens
De la confession / tout personnage
Et rien que personnage mais sans « moi »
/ chiant comme le chien n’importe où
En apparence / alors que le graphe
Est commencé depuis l’enfance.
Beaux jeudis les mercredis.
Les temps n’ont pas changé.
Ni les murs de l’église
Ni ce qui reste des ateliers.
Beaux samedis les dimanches.
Surtout l’été
Quand l’ouvrier
Croit en l’enfance
Qu’il a donnée
À la patrie.
Beaux lundis les nuits d’enfer.
Morts des routes de campagne
Alignés avec les affiches
Et les consignes sanitaires.
La jambe devient molle
Après l’abus de vitesse
Acquise en plein élan.
Beaux jours devant soi.
Au rythme des nuits.
« Comment qu’on dit déjà
Si c’est derrière que ça se passe
Encore / dis-moi tout, bougnat »
Belles allées des cimetières
Et des quartiers où l’on vit
Encore /
Des couches hanc ad horam
/ ça arrive toujours ou enfin
/ un chien est mort ou pas /
Intervalle à parcourir
Sans savoir
Ce qui s’est passé avant
Ni se qui se passera après /
Sauf témoignages d’historiens
Et traditions en usage /
Puis ces projections sur l’écran
Du même ciel depuis toujours
/ avec ou sans Dieu
/ chien ou pas chien
/ salauds et pédants à l’appel
De la guerre ou de la joie /
Le chien témoigne assez
De l’ambiguïté philosophique
/ un chien comme les autres
Mais à soi / vit et meurt comme
Ce qui naît de l’accouplement
Universel / rien qu’un chien
Chez soi / mort avant ou après
Soi / chien de sa chienne /
Ne dit pas non au philosophe
Mais ne l’accompagne pas.
Qui ne s’habitue pas à son chien
Au point de le perdre ?
Tâcherons et stylistes sans ouvrage
Passant devant le portail rouillé et moussu
De la maison où le personnage n’est enfin
Plus lui-même :
« car enfin :
Qu’est-ce que ça veut dire :
J’écris pour me retrouver :
Comme si tu t’étais perdu :
Alors que (des tas de gens
Sont prêts à en témoigner)
Tu n’as pas bougé de chez toi »
Chien conseille le chien
Contre l’homme qui conseille l’homme.
Os ne conseille rien.
os = os
comme
enfant = enfant
Ne cherchez pas des puces
Où il n’y en a pas.
Revenez au bord
(de la rivière, du chemin, du balcon, au bord)
Et regardez en bas :
Vous y étiez / avec qui ?
Voilà la question que le personnage
Pose à son propre personnage.
« en cas de vertige prenez
Ce qu’on vous a donné
À l’arrivée / vous n’êtes
Pas seuls / enculez-vous
En l’absence de femmes
/ rendez ce qu’on vous a pris
À la limite / Dieu n’existe pas
/ Dieu a toujours existé :
Donc il n’existe plus /
Avalez et fermez les yeux
/ la sensation de vertige
Est un chien / ne vous fiez pas
Au temps ni au décor :
Coulisses les voici :
Vous allez aimer mourir
/ avec ou sans chien : mort
Est le maître mot : qui
N’a pas de monnaie ?
Donnez la patte au chaouch
Et graissez la sienne : Dieu
(qui n’existe pas plus que vous)
Vous récompensera en nature :
Indiquez vos préférences
Par une croix : aucun verbe
N’est donné sans crédit.
Soignez votre apparence. »