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Les derniers jours (mots) de Pompeo - [in "Hypocrisies"]
Les derniers jours (mots) de Pompeo 6 (Patrick Cintas)

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 Article publié le 5 avril 2020.

oOo

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* *

Qu’est-ce que je fous ici ? Enfin seul ? Tu parles… Ce n’est pas ça, la solitude. Le solitaire peut se promener. Peut-être pas où il veut, mais il se promène. Avec herbe ou autre chose. Sans personne pour modifier sa trajectoire. Il ne sait pas vers quoi il se dirige, mais il connaît le chemin de retour. Il reconnaît les arbres, la géométrie des talus, l’ancienneté des clôtures, il est chez lui. Il a son cercle et celui-ci est peut-être défini d’avance, si vous voulez. J’ai connu ça. La plage, avec ou sans iode. Des deux côtés de la montagne. Je dis : côtés, d’autres diront : extrémités ; mais je n’ai pas de frontière à opposer à ma promenade. Je rencontre des ours et des marmottes. Je fuis le chien blanc qui me cherche ou me prévient. L’odeur de la violette (sa couleur) s’éloigne ou revient. J’ai l’impression (j’avais) d’être toujours à l’heure. Croisant la femme qui demande (dans les draps ou le sable) qui es-tu ? Je ne lui demande pas son nom, moi ! Je ne lui fais pas d’enfant !

Pompeo en fait…

Il en ferait si je n’étais pas seul. Il les concevrait pour moi. Mais je ne connais pas sa femme. Son unique bien terrestre. Sa fortune est ailleurs…

Au ciel… ?

Mmmm… Au niveau de l’État plutôt. Même si on admet l’existence (ou l’importance) du ciel. Le ciel n’est qu’un écran entre notre regard (ce qu’il suppose de pensée) et ce que nous appelons l’immensité pour ne pas se frotter au concept d’infini. Arrgh ! Vous me déroutez ! Me voici en plein champ. Mais le rythme n’y est pas libre. Le sainfoin et les ruminants commandent la manœuvre. Ne risquons pas la cornada ! Et quittons ces lieux non romanesques. Au trot ma pensée du moment ! Mon matin de carnet. Ma plume d’encre. Mon sous-sol, alors que là-haut (non, pas si haut !) on dort encore à poing fermé, femme et enfants et même un chat qui, lui, ne se promène pas.

Vous m’avez, moi…

Je ne possède rien d’aussi précieusement camouflé ! Le linge de maison est entretenu à l’usine. Comme le repas vient du traiteur. Seule la bibliothèque s’enivre de chemins en graphe sans solution mais toujours bienvenus.

Pfff… la biblio sans Pompeo… Je regrette presque de le dire… mais je ne veux pas mourir étouffé…

Quelle belle définition de l’éternité ! (mimant) On ne peut plus se passer de vous. Suivez-moi si vous tenez à m’ennuyer…

Je vous précède… si vous le permettez. Je crains les cornes plus que vous. Et je ne me nourris pas de sainfoin. Que diriez-vous d’un arrêt dans quelque guinguette… ?

Goguette je veux bien… mais on n’en trouve plus. On a beau chercher… Le peuple a perdu sa verve. Les guerres, sans doute… Et cette vie de chien d’électeur. Arrrgh ! Ne me poussez pas à la dissertation. Je suis poète, moi ! Je me promène.

Sans le nécessaire à miroir… ?

J’aurais trop peur de m’y voir ! (irrité) Ah ! je n’ai pas besoin de vous ! Je sais me promener seul. D’ailleurs, je ne fais que ça. D’un mur à l’autre. Il pleut sur le carreau. Sans bruit de gouttes. Je n’entends pas le chant des oiseaux. Le casoar menace ma tranquillité. On ne devient pas fou si facilement ! Cette solitude, mon inconscient l’a toujours désirée. Même, elle me guettait. L’enfant la pressentait. L’adolescent y aiguisa ses sens, y compris le sixième qu’on retrouve quelquefois dans l’écriture de nos maîtres.

Vous confondez avec la quatrième dimension, très à la mode à l’époque où le temps (non pas celui des tragédies) a fait irruption dans l’art de composer…

Je ne confonds rien ! Je sais ce que je dis. Je l’ai toujours su. Depuis mon premier hochet.

Ou votre première poupée…

Difficile de situer ce moment… Ma mémoire ne contient plus ces éléments initiateurs.

Ou bien votre inconscient agit-il sur elle…

Arrrgh ! XXe siècle de merde ! Sans lui je n’en serais pas là ! Cette conversation ne meuble pas le silence. Mais vous ne fuyez pas au bruit des casseroles…

À vos côtés je puis demeurer pour toujours… si c’est ce que vous souhaitez… J’ai l’expérience. Je reviens toujours. On ne m’attend pas. Mais ne me dites pas que je vous ai surpris… ce jour-là. Quelques-uns avouent un certain effarement, pour ne pas dire émerveillement. Mais vous… non, n’est-ce pas ? Vous saviez. Au fond, vous attendiez… L’homme d’action, qu’il agisse sur l’Histoire, son ménage ou la poupée, attend toujours les trois coups qui installent son procès. Perpétuité ! On ne sépare plus les têtes de leur support existentiel. Heureusement pour votre existence ! Mais en cas de bonne conduite, vous pouvez espérer une libération… heu… anticipée. Quelqu’un décidera pour vous. Ou un collège, comme ils disent… Vous en faites un drôle de collégien !

Pompeo partira avant moi. Et sans décision collégiale. Ça vient de plus haut… Ou d’en-dedans. Nous sommes habités plus que hantés. On n’y peut rien. Mais de là à savoir si c’est décidé d’avance…

Il n’y a qu’un pas…

Vite franchi si la sanction est capitale, je vous l’accorde. Cependant, j’ai le droit de vivre. Et même d’espérer remettre les pieds dans le Monde un de ces jours que D…

Vous oubliez Pompeo…

Il n’en a plus pour longtemps. Mais ce n’est pas le plus tragique de l’histoire que je suis (sans doute) en train d’écrire. Le fait est qu’il ne téléphone pas comme convenu. Puis-je m’estimer libéré du contrat qui nous lie ? Il a peut-être un empêchement. Un cas de force majeure.

Ou bien ce smartphone ne fonctionne pas comme il devrait… Puis-je jeter un œil sur ses réglages… ?

Vous n’y pensez pas ! Vous n’y connaissez rien. Pas plus que moi. Nous sommes du XXe siècle, vous et moi. Je le recharge toute la journée, car il consomme de l’énergie. Et la nuit, je ne dors plus, de crainte de ne pas entendre… de ne pas sentir la vibration. Une vibration dont je n’ai pas l’expérience, pas plus que vous. Si encore ça clignotait. Nous avons connaissance de cette intermittence, vous et moi. Mais je n’ose imaginer l’effet de cette lueur sur l’obscurité de la nuit… Pire qu’une sonnerie qui peut être confondue avec celles que nous imposent les heures passées dans cet intérieur sans solution ! Je ne sais même pas comment on vérifie que c’est réglé sur vibration. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle peut être, cette vibration. J’ai bien expérimenté la vibration du temps où je fréquentais des femmes et des politiciens, mais ce genre particulier de la vibration m’est inconnu. J’attends le premier appel pour en avoir le cœur net. Mais il n’arrive pas ! À cause d’un confinement à domicile. Pompeo tient à protéger sa famille : une femme et des gosses. Comme si le virus (venu de Chine mais pas chinois) lui avait attaqué le cerveau au point qu’il a oublié notre pacte genre Ibn Battûta / Ibn Juzayy al-Kalbi. Voilà où nous en sommes : l’histoire contée par Pompeo n’est pas encore écrite par… moi. À cause d’une vibration dont j’ignore jusqu’à la fréquence ! Imaginez mes nuits. Et mes jours, l’œil sur l’aiguille de composition numérique qui joue le rôle d’indicateur de charge. Et vous… vous !

Quoi, moi ?

Mais oui, vous ! Vous et vos dissertations. Votre intrusion dans le champ narratif. Il n’y a rien de plus préjudiciable pour la conduite romanesque que ces ingérences du commentaire au cœur même de l’action !

Mais il n’y a pas d’action puisque Pompeo ne téléphone pas ! Ainsi, nous sommes seuls vous et moi…

Ah ! Pardon ! JE suis seul. En promenade avec ma seule nature. Je ne vous ai pas invité…

…invitée…

Si vous voulez… Ma solitude m’asexue. Le désir est ailleurs. Mais j’ignore si cette particularité m’ouvre les portes de la perception. Carabin Carabas… Vous avez lu ? Non, n’est-ce pas ? On tient nos meilleurs écrivains pour des trouble-fête. Pompeo m’avait prévenu…

Il vous a prévenu de quoi… ?

« Si nous parvenons, vous et moi, à écrire ça d’un bout à l’autre, on nous prendra pour deux pédés. »

Ça ne risque plus d’arriver… Il mourra avant la fin de l’épidémie. Je m’y connais. Une fois, en Égypte…

Ah ! Pas d’histoire avant celle que je suis en train d’écrire !

Mais vous n’écrivez pas ! Le téléphone ne marche pas…

Erreur ! Il ne vibre pas. Ce n’est pas la même chose. Vous voyez ce symbole sur son écran… ?

La lettre R… Raison… ?

Non ! Roaming. Et là, cette antenne… ¡A tope ! Alors…

Il marche. Reconnaissons-le. Conclusion : Pompeo n’appelle pas. Et s’il n’appelle pas, il y a une raison. C’est ce que je disais… R…

Vous ne disiez rien car je suis seul.

Vous l’êtes, mais entre quatre murs. Et en compagnie d’un téléphone qui s’obstine à ne pas vibrer dans la nuit comme convenu. Vos journées sans écrire s’expliquent de cette manière. Mais… vous pourriez écrire autre chose… Qu’est-ce qui vous trotte par la tête en ce moment… à part moi ?

La pluie… Ces gouttes de silence. Le vent caresse nos murs de peur d’éveiller nos soupçons. Je ne me suis jamais senti aussi seul qu’en votre compagnie…

Voilà qui me flatte ! Une manière comme une autre de participer à votre… promenade sans miroir.

Je ne vous ai rien demandé ! D’ailleurs, je ne demande plus rien depuis que chacun est dans ses murs avec ses proches. Ou seul comme cela arrive hélas trop souvent. On isole ceux qu’on n’aime pas. Et seulement ceux-là… Tiens ! Voilà que je me mets à disserter moi aussi. Votre influence sur le récit… Celui dont je ne sais pas grand-chose car nous n’avons pas eu le temps, Pompeo et moi… Sans cette Chine de merde et sans ce XXe siècle qui va avec, sa visite quotidienne, en plein jour ou le soir quand tout s’endort devant la télé, inspirerait ma plume dans un tout autre sens que celui qui vous guide dans mes pas. Ou bien je vous suis. Arrgh ! Je ne sais plus !

Oubliez Pompeo. Il est peut-être mort à l’heure où nous nous entretenons de lui… Comment expliquer autrement la faute de vibration ? En voilà une histoire !

Dans votre genre protéiforme, peut-être ! Mais dans le mien, qui s’en tient à la ténuité des faits, il vit ! Il meurt à un moment donné, mais en attendant : il vit. Nous n’avions pas prévu que les chinois… Arrrhg ! Pourvu que le réseau ne soit pas virussé lui aussi ! Il ne manquerait plus que ça pour qu’on m’oublie définitivement. Des années que j’attends quelqu’un ! Et à peine arrivé, même atteint d’un mal terrible, il disparaît de mes jours et manque à mes nuits. Arrgh ! Ces draps de papier !

Vous ne songez tout de même pas à…

Ce ne serait pas la première fois… J’en ai connu des…

Mais je n’en ai rien su !

Vous ne savez pas tout. Heureusement pour moi. Sinon…

Sinon…

Vous existeriez à ma place ! Vous en feriez quoi, de moi ? Sans doute pas plus que ce que je fais de vous en attendant (peut-être vainement, je vous l’accorde) que le téléphone sonne… heu… vibre. Des nuits sans vibrations ! Et des jours sans écriture ! (tragique) J’ai peut-être rêvé Pompeo… À force de rêver… Et ce temps qu’on me compte à la place des horloges. Je ne serai jamais libre, je le crains. Et pourtant je l’ai été…

Qui ne l’a pas été en possession d’une poupée… ?

Qu’est-ce que vous en savez ? Vous êtes libre, vous. On ne vous a pas enfermé. En admettant que vous ayez possédé une poupée, personne ne vous a pris sur le fait, ni même soupçonné. Elle a même été incapable, devant le procureur, de vous reconnaître. La pauvre n’a jamais su dessiner. Imagine-t-on une poupée douée de l’œil et de la main ? Quelle éducation y pourvoirait… ?

Je peux néanmoins m’y employer, si cette hypothèse m’inspire une expérience comme jamais…

La poupée n’est pas imaginaire ! Ni son démembrement par mes soins. Sa répartition dans le sable d’une plage lointaine. Le jeu qui s’ensuivit…

Mais je croyais que cette nouvelle était un pur produit de votre imagination !

On n’enferme pas les imaginaires, mon vieux. L’histoire de la poupée, telle que je l’ai racontée, est strictement véridique.

Mais c’est d’un roman policier dont vous avez privé le lecteur ! Les choses étaient beaucoup plus complexes que ce que nous en disent les minutes du procès. Ah ! Cette satanée vérité judiciaire. Dire que j’y ai cru…

Comme tout le monde. Je n’y suis pas pour rien. Ce qui fait de moi un auteur, concédez-moi cet avantage sur Pompeo qui n’est qu’un personnage. (se reprenant) Mais ce n’est pas le sujet de notre roman, celui dont Pompeo est le protagoniste.

Sans vibration… nocturne.

Vous oubliez l’attente. J’ai cette possibilité.

La solitude, vous voulez dire ! Vous ne concevrez rien d’autre en attendant. Venez donc vous divertir dans la salle de sport que l’institution met à notre disposition. Voyez ce que cette joyeuse pratique a fait de moi…

Un tas de muscles. De quoi condamner l’os à la douleur mais sans connaissance de ce qu’elle implique. Je suis un autre.

Merde de XIXe siècle !

Merde de XXIe si nous n’y sommes pas encore ! Mais qu’en ferai-je donc, de ce XXIe ? Sans doute rien de plus ni de mieux que les autres, si tant est que le Temps se mesure en siècles et non pas en jours comme j’ai l’impression de le savoir sans avoir mis les pieds ailleurs qu’ici.

Quel est donc ce nouveau concept d’impression de savoir ? N’est-ce pas le meilleur moyen de se tromper de sens ? Vous devriez préparer vos promenades solitaires avec plus de science, à mon avis. On n’a pas idée de s’aventurer dans le noir sans avoir une idée précise de ce qui peut arriver à un téléphone. Pourquoi la nuit ? Ah oui… dans le noir, le téléphone collé contre la joue et l’oreille. Mais comment atténuer la voix dans le silence de l’enfermement insomniaque qui sévit ici ? Y avez-vous songé ? Pompeo y a peut-être réfléchi après avoir mis en place ce singulier système de communication romanesque. Il s’en mord les doigts en ce moment. Il se sent seul. Il sait que vous n’écrirez pas ce roman. Ces derniers mots (jours). La fin approche. Ce qui ne l’empêche pas de respecter à la lettre les lois du confinement décrété nécessaire et obligatoire en haut lieu. Il tient à sa famille peut-être plus qu’à sa postérité. Celle que vous auriez pu lui offrir si la malchance n’avait pas sonné à votre porte…

C’est le malheur qui la fait vibrer… Écoutez…

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