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Le récit ruisselant (Pascal Leray)
II-Dit du ruisseau - Le récit ruisselant, d’une pluie l’autre
![]() oOo John Cage est mort.
C’était un bon métier : il plongeait des éponges dans les caniveaux, par temps de pluie. Au beau temps revenu, il se laissait aller au sommeil mérité du travailleur. On le réveillerait plus tard, quand il se mettrait à pleuvoir.
Il était l’homme providentiel, armé de ses éponges, évitant à la ville d’onéreuses inondations. C’était un bon boulot qui lui laissait du temps pour son sommeil, qui lui donnait de la fierté et une conscience sereine. Un boulot mal payé, c’est vrai, mais il en garderait l’odeur toute sa vie. L’odeur des caniveaux et de la pluie, et surtout l’odeur du matin, précieuse, vaporeuse, comme un rêve qu’il transporterait avec lui.
L’argent n’a pas d’odeur et les travailleurs qui se laissent aller à des salaires vertigineux ne rêvent plus, ne dorment plus et rient du mauvais rire du gagnant Et dans ce jeu déréglé qu’est la pluie, bercée de tonnerre et de vent, il se laissait aller au cours des caniveaux, ruisselant à son tour, modeste comme un charretier, etc.
Ce fut cette idée inhabituelle, Déplaisante pour autant.
Ce fut ce singulier déplacement de l’air autour de vous. Le même qui, en d’autres temps, vous aurait enchanté.
Ce fut ce moment de l’obscurité. Ce n’était pas la nuit.
Comme un objet vous parle de son impossible amour Et d’un geste vous perd, Comme une pluie de pierres suspendues parmi la foudre Ne vous cognent pas.
Et vous, de l’oublier Sans pouvoir la noyer.
Ce ne sera jamais qu’une ombre Dans un crépuscule grandissant.
Du caillou au roseau j’ai parcouru un long chemin. C’est le roseau qui m’a déchu.
Il m’a parlé d’un vent opaque Au centre d’un écueil.
Il m’a parlé des épines magiques que la nuit envoie Pour que ne se consolent pas Nos artères bavardes.
Dans l’éclat d’un silex au cordon vespéral, Se reviennent de nuit nos prières économes En écho, telles de vastes chambres de plénitude.
J’ai posé sur ma tête l’entonnoir du fou. Je l’ai mis à genoux. Nul espoir ici-bas, et nous étions d’accord. Croyait-il s’élever, arc-bouté ? Le détromper me devint difficile : il ne me répondait jamais.
Ailleurs, un homme allait mourir. Je me précipitai à son chevet. Il était blême et il semblait très pauvre alors, lui qui était si fortuné dans sa demeure. « Entends », lui ai-je dit, très calme, « Entends le chant des invécus ».
Et mon mutisme fut l’aurore. Au pur silence je dois l’équinoxe qui suivit. Je devins incroyable.
Nous gravitions autour d’une ère monstrueuse, maladive, en expansion, de grâce. Ces horreurs, nos pères nous les avaient léguées. Ils les avaient retranchées en cette heure, qui sonne creuse et s’évide avec retard, surprenant notre humanité (mais nos penchants, ne voudrais-je avouer, applaudissaient), espérant s’en débarrasser, songeaient à nous, riant -
La souffrance violente au visage Dont les traits se plissent Sur ce regard mais Ce ne sont pas les rides qui le bouffent. Un vieil âge naquit avec lui, Sans doute.
[Il opéra un désespoir de sensations démocratiques]
Je parcours à présent des champs de honte. Mais ce que j’irrigue ce n’est pas la pierre. Un nuage à la traîne m’oblige à marcher Lentement devant moi, Ce n’est pas la forêt.
L’ablation du Vésuve fut un tertre humide. Mon exil débitait des tranches, Débattait avec passion par saccades, Débutait avec les huîtres ombrageuses, Psalmodiant aux ventres de leurs perles Un rare éloge des rondeurs de l’heure.
« De cette éternité blafarde je ne retiendrai qu’une raison. Un pont de pierre sous un guéridon qui parle. On ne dit rien, ici-bas, mais le vent Ordonne vos intrusions pétrifiées Dans une glaise de chahut. »
D’un œil au miroir fracassé D’où suinte un cordon vespéral, Délictueux délice d’être à nouveau né
Un rêve vrai ne répète jamais Son récit ruisselant.
La nuit si calme, c’était toi. Peut-être seulement ton ombre Chahutant dans la pénombre, Etc, etc.
Tes bourgeons vermeils & placides Ont écrasé ma floraison.
On soumettra un rythme (n’importe quel rythme) aux exigences d’un tumulte. On aura pris grand soin de déterminer précisément lequel – on aura fait preuve de goût. Et on les aura concassés l’un dans la chair de l’autre.
Un dialogue né de l’expérience vécue, comme d’un train traversant une plaine et séparant pour un instant deux hommes, un tel dialogue devrait relater les décombres d’éternité qu’ils s’étonnent d’avoir supportés, et ce dialogue est lui-même répétitif, si bien que longtemps après le dernier mot prononcé se joue quelque tumulte, par les monts, tout autour derrière, jonglant de syllabes défaites, malléables – produisant un discours spasmodique dans la clandestinité, par-dessus l’épaule de la mort, comme un siphon perdu entre deux tombes que rien ne viendra rapprocher.
C’est encore ce miracle qui se vit.
Tu ne dois pas sortir des clochers restreints de ton aile. Toi, tu n’atteins pas la rigueur de ces astres. As-tu été ce lambeau de hasard ? C’est ta rotule inassouvie qui a bondi.
Jeune écheveau, tu n’aboutis à rien. Par bonheur seulement tu escalades ce rivage, Nu et poreux comme un échiquier. Fièrement l’escadrille de tes songes, Tu la prends en main.
Quand tu attends si brusquement l’exode Vers lequel se jette tout murmure Mais je rencontre moi aussi son mur Et je l’écrase à ce moment et tu m’embrasses.
J’étais auprès de toi du clocher de l’église Avec un avant-goût de toutes les crues à venir. Nous pouvions en finir Du jour au lendemain tu le savais.
Nous nous levions à tour de rôle Dans notre geôle sans fenêtre ni porte Avec l’arithmétique de la moire Dont la musique atone nous couvrait.
Nous couvions des malheurs Béants comme des montagnes grotesques. Mais nous l’ignorions nus comme des anges Mélodies sauvages, abordant des rivages tempérés.
Le souffle muet que le large nous envie S’entend tellement mal avec les heurts si calmes, si ténus de la mélancolie. Nous voguons sur de grosses verdures sans nom. Mais voici le chant abrasif du restant de ce monde. Une île éparse, au vrai, un chemin de tortures que nous empruntons parfois. Nous serions tels à de vrais rois sans ce morceau de caillou en nous, Jouissant de veines si fragiles Car ce qui nous mutile ne nous parle pas, Silencieux s’insinue avec ce calme vespéral Des seigneurs en leurs territoires de pluie, S’adressant avec morgue à chaque goutte Pour les aligner, pour les abattre, Pour les absorber.
Un homme s’assoit sans repos. Il sent son rythme perméable Le scinder – mais jusqu’à l’asphyxie Il suivra ce qui le dévaste Afin peut-être de savoir De posséder ce charme sobre Et secret comme au premier jour.
Parfois, il se targuera d’en jouir. Mais il ne connaîtra, au fond, la sensation dont il se voudrait le héraut, Qu’à l’embouchure impressionnante De son artère arriérée.
Elle a le visage sans âge de celle qui subit Et qui subit les calomnies du monde sans se révolter. Ses traits se perdent dans un regard fade. Regard désorienté du monde.
Une idée lui parvient Avec le courage qu’elle maintient à subir Ce monde sans répondre sans soupir.
Car c’est peut-être un être extrême, Sans doute très spirituel. Si elle le savait Qu’au recoin de son âme son silence joue.
Le monde est encombré, voyez. Il n’y a plus de place pour l’inhabiter. Je me suis déshabitué à m’absenter. Je serai toujours avec vous.
Vous m’ordonniez de m’en aller. C’était aussi mon vœu. Et s’il avait fallu vous obéir, J’aurais cessé sur l’instant et surtout
J’aurais voulu me taire Ou qu’on me taise, que l’on taise Ce qui parle en moi Et qui se répond sans contredit.
Vous seule cependant Avez mis tout cela à bas. Si je vous crois un seul instant, Je veux y rétrécir l’éternité.
Le testament spongieux de cette multitude, C’est le soir, c’est la fraîcheur Qui précède la nuit. Dans un nœud palpitant on entend le silence Dévorant.
Ci ne gît jamais le poète. Précipité par les flux de l’espoir, Il aura endigué sa lourde sueur.
Le vaniteux et l’incrédule Se rencontrent Et arrachent au sol une page d’histoire. Ils ont la médiocrité inventive Et l’alchimie ouverte des squelettes.
Et ce que gémit le poète Dans un lit qui n’est jamais le sien Est une serpe de hasards Déchirés aux murs d’ombres Insinuée de mouvements.
En vain, on cherchera La rumeur d’escalier qui évoque sans doute Un périlleux intestin grêle.
La vérité était alors D’embrasser des rivières de remords Dans les sourires clos de fenêtres blessées.
Qu’un éclair nous rendit à l’évidence C’est le petit jour du monde Et il nous sépara.
Nos mots tombèrent dans le vaste écho Qui s’emparait des brumes de ce temps.
Joviale et contiguë, sa parenté à part entière d’elle séparée, La mare vaillante creusait notre pain quotidien, Amaigrissant ses reins, revêtant la sinistre fosse De son équivoque profondeur.
La vérité était alors cette autre rive qui nous opposait. Son cadastre douteux. Nous emboîtions le pas à l’eau morose. Nos regards plongeaient plus bas que terre.
La plaine était au-dessus des demeures Un territoire sain, fluctuant sans remous.
Tu inscris ton passage D’un retour équivalent. On te verrait à travers soi Et tu n’en saurais rien.
Ta discussion est un flambeau. Sa transmission – un artifice. Qui ne croit y vit et qui s’y précipite Sait parfois qu’il n’en est rien.
D’autres moments pèseraient mieux Qu’un mot de transparence inassouvie A soumettre ce calcul improbable : Ton apparition au remous des feuillages.
Mais la lumière s’est avachie. L’horizon a déteint Sur cette pierre que je croyais enserrer.
Le volume du jour est pareil à celui de la masse invisible qui reste inégale. Parmi la nuit je ressens son absence dense de ma perception correcte : celle qui me dit, avec son incroyable certitude, ce qui s’abolit. Le nombreux néants, diffus de rencontre, à travers cette porte qui frappe inlassablement, qui fait tomber sur moi des lampes qui explosent. Mon plancher de moire aussi prend feu. C’est le spectacle grésillant des flammes, la rotation intransigeante de ce qui s’oublie, comme sous le joug de sa propre volonté. Il n’y a pas de volonté. Il n’y a qu’un miroir aux formes révolues, un miroir plastique, insensible et creux – et qui vacille pour enfin paraître – ressemblant.
Neige naissante, neige qui gémit, Qui s’inscrit pas à pas, Qui éclot lentement, Ruisselant à mes pieds. Neige toujours vierge des saisons de l’âme, Scintille dans l’ombre, n’éclaire que toi. Fends cet arbre aussi.
Linceul fragile des confins, Timide danse, déchire la terre. Dévore mes pieds. Tu suintes de printemps précoce.
Inquiétante nuée, Tu calmeras ce maint remord De ne jamais te voir fondre.
Le jour continuera son rêve inaccessible Dans la tradition optique de la scène. Qu’il n’y ait ni seconde ni même - la foule du temps - Ce qui vacille sous nos pieds.
Ne conçois aucune tristesse Au jour de mon départ. Elle ne t’en voudra pas. Mais si tu la voyais, Si tu lui prêtais attention, Parle-lui seulement, avec douceur. Va jusqu’à feindre l’affection. Je voudrais voir vos mains se joindre au-dessus de ma tombe Et vos corps se pencher d’un élan mutuel. Il ne faut pas que tu l’invoques. Elle viendra d’elle-même. Et tu ne pourras la manquer, elle est si vive, Si aimante. Tu ne la connaîtras pas. Mais encore et encore Tu reviendras au désir impossible de m’y voir.
C’est la méchanceté des propos qu’il tient qui étonne. Chaque mot – un tombeau. Car ce n’est pas un Christ. C’est un charognard plein d’apparences Qu’il a dérobées au jour De sa naissance et depuis lors Il erre et renifle les corps Tout chauds encore des combattants. Ils seront d’hier, dit-il, de son perpétuel hiver. Mais il entend un bruit. On ne voit plus rien, lors Sinon la plaine désunie Et un ruisseau mouvant de sang Pour absorber la terre ivrogne sous ses pieds.
C’est un toit vague qui m’endort. Mais moi je scrute son semblant Car de mes deux yeux apparents Je sais.
Et si je ronfle, qui m’entend ? Si je ferme les yeux... Je rêve avec ce corps qui me le dit Et me répète : « Tu n’as rien à craindre »
Alors je crois, je dis, je sais Que tout cela est vrai Et quand bien même... Il n’y a pas à en douter.
Soupçonne-moi, ma tendre amie, de t’avoir toujours ignorée. Tu me croiras peut-être ensuite. J’étais amoureux et je ne pouvais pas savoir Qu’il me fallait fermer les yeux.
Sombre avec moi dans la mélancolie. Nous y trouvons un jardin pour y enterrer Ces veuves que tu es, dans un temps détesté.
Nous avons pu nous y frôler, d’ailleurs. Mais ce fut notre peur, j’aurais voulu te rassurer. Et j’aurais voulu donner mon corps à tes vœux. Il n’y a plus d’yeux amoureux.
Tu me pardonneras mon absence d’hier. En écho celle d’aujourd’hui Apaise celle de demain. Il n’y a plus l’obtuse nuit. J’ai rabattu […]
C’est une impasse, à peine un corridor. Un sommeil lourd de chahuts tour à tour Ennuyeux et instables. Si l’on veut s’y voir, c’est mort. Mais c’est avec la peine d’un pas devant l’ombre, D’un parquet sans doute dangereux Qu’on y revient, toujours, A son premier amour.
Tu abattais les saisons de mon rêve avec un tel désastre. Je croyais te voir, t’amusant à flétrir, Bourgeonnant sous mes pieds. Je courais, je criais pour te rattraper. C’est donc ton étendue, ce crime.
J’avais une révolution pour toi. Plutôt qu’un grand tour d’univers, je voulais tourner autour de toi. Tes saisons sont imperméables. Ce que tu écrases, ce n’est pas nos alentours.
Mais lorsque le soir s’inscrit sur mon derme, Avec les gouffres que tu creuses, Sache mon amour. Préserve-le comme une plaie en toi. Il est violent comme un crachat.
Le hasard des chemins n’inquiète plus personne. Ce n’est vraiment qu’une grand-ville.
Si moi je marche d’un pas lent, Aveuglément, C’est sans espoir. J’ai résolu tous mes espoirs avec ce macadam.
Un jour ici et l’autre là, J’y reviens, c’est certain. Il n’est que la foule du temps pour me perdre.
Le lendemain du monde
Nous étions les gardiens sans clé d’un mystère honteux. Nous l’affamions, par dérision, par peur des anges. Nous avions faim, aussi. La pitance à nos pieds n’était qu’un pas destinée à nous ensevelir. En premier lieu, ce n’était qu’un jardin. Un jardin pour y cultiver des monts et des rivières. Un jardin pour y procréer A satiété La rêverie avortée de nos Dieux.
Et puis, devant nos yeux ouverts Par la clarté aux suicides mouvants, Nous fûmes les infimes de ce monde. Nous ne pouvions que nous y perdre.
Moi qui me suis vu naître, lentement, j’avoue. Je n’aurai pas de mots assez cruels pourtant et je devrai me taire. Et cependant, je veux tout dire et d’abord la douleur Et ensuite un amas de chair. Mais ce n’est pas assez Ce n’est jamais assez Peut-être beaucoup trop déjà, pour seulement la vérité. Si je me suis vu naître, indépendamment de ma volonté même, Je dois aujourd’hui narrer les mécanismes qui m’auront tiré vers vous. Il est possible, malheureusement Que j’aie tout oublié.
Ce ne sont pas des éveils successifs. Il fallait que je rétrécisse. Un moment ou un autre me serait fatal. On m’avait prévenu, je ne croyais jamais Tous ces mots ! Qui tombaient Que pouvaient-ils me dire ? Mais voilà, je suis tombé, c’est bien Ce que j’imaginais, aussi. Tout cela est bien nu, et moi donc ! Et j’ai froid, ah mon Dieu. J’ai bien froid et j’ai faim. Mais j’attends avec calme Ce qui ne peut être un lendemain Et qui n’est pas un lendemain.
J’ai pas mal transpercé la croûte Sous laquelle on se repose, souvenirs. A présent je veux mieux vous voir. Au pas, ruisseau, il vous faut scintiller. D’une vermeille moire je veux m’abreuver A m’étrangler, peut-être à me noyer. La sécheresse de l’instant qui me déjoue Est bien plus dure à supporter.
Je voulais me désaltérer, revenir autrefois. A présent je ne vois Que l’éclat pâle et unanime du passé.
Entre dimanche et nuit Un fœtus volontaire Une expédition polaire (4) Ma journée dans un puits (3)
Prétexte : « La démolition »
Le sens des réalités Un roman réaliste, vertical, etc.
« Coming soon ! »
Nos remarquables nuits dans ce trou à figures. Feignions d’ignorer nos malheurs, salvations, discours. A se croire au-dehors des salvations hideuses Et du mortel ennui la vapeur.
Ce pouvait être le voyage. Il menait, disait-il. D’un galop, mais toujours vraisemblable.
Et sortir dans la rue, aller se pendre aux lampadaires, A tous, pour se donner à voir.
Tu m’as donné mon plus beau jour Pour que je m’offre avec tes ailes. Calme aussi bien la marche Et l’azur.
Aux heures extrêmes de la solitude, Aux heures où nul n’attend Qu’un festin conversant Où s’abdiquent fortune et mœurs,
Quelqu’un, venu de loin A dit frapper à notre porte Pour se reposer, pour nous narrer Son repos passager.
Mais qui l’eût cru ? Il fallait voir Ces oripeaux improvisés, Ce regard coutumier, l’envie Dessinait chacun de ses traits.
Cet autre qui vivait Depuis toujours, se vantait-il Pour n’être qu’une apparition, S’est rué parmi notre table
Nous faire entendre un verbe Et un remord lointain. Et c’est le monde qui bavarde Alors, sous les légumes qui crient.
Vers les spasmes, La raison arquée, mise à mal. Enfin, l’apprentissage du désert Sous une chape parcellaire solide. Un rideau silencieux de messagers Annonce d’abord leur révolte.
Puis, Un miracle surprend. Là, surtout, avec l’espace. On ne se compte plus. Mais il semble probable Et se préserve
Alors...
Tu ne peux croire un mot de ce qui signifie ! Contemple aussi ta déité.
Je ne suis pas venu pour me prostrer contre ton heure. Ni pour te voir, vraiment. Ni pour t’offrir un salut dérisoire.
Mes vœux pieux, enfin, tu ne les entends pas. Qu’importe ! Il ne pouvait s’agir de rémission. La compassion me manque, je te vois, vieillard...
Je souffre toujours mieux que toi. Une falaise, un lit. Ce pourrait être toute ton aînesse.
Il faut que j’imagine, devant toi à l’agonie Ce chant immonde qui est le tien A naître et à mourir de peur A l’infini...
Ce peu est un filet de voix Bien calme, bien certain Admets en toi le chant des invécus.
J’esquisse une prière sous le regard du monde. Un face-à-face improvisé Au démon du petit matin.
Puisqu’il me faut bien vivre, c’est certain, J’esquisse au creux du verbe mon maintien. Admets, Seigneur, que tout se paie.
Et dans un bus comblé, Dans une odeur de sueur matinale, Avant de m’oublier, J’esquisse une prière. Ce n’est pas un vœu.
Cette évidence neuve, Un instant lui suffit Et la tombe.
Enfin, c’est lorsque tout s’écroule, avec cette facilité que nous envient les dieux.
Nous mourrons sans famine. Et c’est mieux La famine.
Si c’est ce cœur qui bat, Si c’est lui que j’entends, Je comprends cette chair. Au moindre mouvement je sais.
Procréateur indésirable, Respirant la réclusion des rues, Le pavé séminal te veut. Ta réponse violente et l’amour te conduisent.
Avec une incapacité de porte close, Il dit apporter la réponse. Qui regarde un tel fardeau ?
Ses fenêtres glaciales Qu’il pose à même le sol Certain de voir au travers sa miette.
Son rubis passager, Contemplation de suspension Avec l’angoisse en son milieu.
Et tout ceci n’est qu’un instant Qu’il brûle et qu’il maintient Soi-même, afin de rencontrer son âme.
Il faut qu’il soit ivrogne. Il faut qu’il montre la douleur Arrachée d’un fœtus.
Il a fallu qu’on s’y reprenne. Et qu’on a dû souffrir, c’est vrai ! On se réjouit, dès lors, d’avoir préservé ses plaies vives.
Enfin, voici où l’on parle. Un corridor qui ne s’arrête pas Et des milliers de chaises pour tomber. Mais voici où l’on se raconte.
Il n’y a plus quiconque Pour me raconter la nuit Tombée sous le toit résonnant De milliers de cordes.
Tout ceci me concerne Beaucoup moins qu’hier. Et pourtant je vais m’attacher A l’histoire des milliers d’imbéciles
Séance tenante.
Voyez le jour d’un imbécile. Il a plongé son arme, pourquoi faire. Il s’est forgé un néant dérisoire. Et à présent il se consacre à ses incorruptibles soubresauts.
Voyez encore l’histoire qu’il vous narre Et il a tout perdu pour l’acquérir. Si chère, A ses yeux pauvres.
Sa fin fanfaronnait, c’était un peu du jour et de la nuit qui s’en allait Avec son air de foire.
Et d’ici je l’entends ! Voyez ! Il l’a défenestrée. Qu’importe ! Avec un rire Car ce n’était pas elle.
Jamais ! Il ne voulut de cette fin, La seule A ses yeux pâles et sans regret. Il aimait le regret.
Un désespoir sans cause l’y aida, Projetant son désir à la racine. Et bien des fois il crut mourir Heureux, aux genoux de sa mère.
Mais on dut l’éveiller, un rituel flagrant l’attendait. Nul mur autour de lui ne semblait attendri Par sa posture imperméable, Passionnée.
Il dut vivre en prison car il avait (Mais c’est ce qu’il chantait) Une ou dix clés de l’âme. A vivre un drame serrurier, il revint anuyté.
Par flots, cela ne lui suffisait plus du tout. Il lui fallait un soleil sombre. Nul ne pouvait défier ces yeux. C’est le combat suivant qui le fit obséquieux.
Mais ça ne changeait rien, au vrai. Ça ne changeait qu’un œil. Alors il fermait l’autre Et se jouait la grande comédie.
Un maintien dans de l’ombre A s’avouer menteur que ça ne se médite pas. La perception, mondaine, dévouée, Riait de ses invités silencieux, Un bain de boue.
Et c’est ce qu’il faisait Parfois, de plus en plus souvent, Toujours peut-être, en fait. Impérities de la distance.
J’aurais pu la voir qui s’écoulait sur lui Sur son imaginaire, grand ouvert. Mais j’avais peur, aussi, et je croyais Alors me défier de tout savoir.
Écris-tu sans espoir ? Vers quoi postules-tu ton abandon ? Sais-tu comme on devient ?
Si au matin j’écris, En quête malgré moi, j’avoue, D’une sagesse intérieure et sans âge,
Au soir, tout me revient. Je ne suis rien, je sais Et j’anticipe mon sinistre.
A toi, en vain, de dire Au silence qui suit Quels sont ces mots que tu délies.
Deux êtres vifs En quête de rencontre Se dénouent pourtant.
Je l’ai vu hier soir. C’était un abandon.
Une nuit d’ocre m’est tombée sur les genoux. Je n’ai su la bercer. Elle m’a dorloté le pourtour du cou.
Ce n’était rien, pourtant. La trahison postale est de nos jours Un face-à-face grimaçant. Mais moi, je pleure De ce lointain qu’un jour j’ignore Et qui me mord, toujours.
Dans un vestibule immémorial
C’est bien le bruit qui me convient. C’est vrai, j’entends, la nuit Un jardin de frontières Expatriées, en parfaite expansion.
La mort. Ce destin fut d’entendre Un bruissement de clés. Gamin, je rêve d’attraper les papillons.
Mais je m’angoisse, vespéral. Je définis, on rit. C’est toujours derrière, Ces claques qui se perdent.
Je les pressens. Ce sont des rivalités qui m’obtiennent A travers l’épais voile d’alchimie d’extinctions.
Il donnait du linceul Qui le couvrait A chaque passant qu’il voyait, A chaque jour qui déclinait.
En lui, C’était des abeilles sans fleur Qui tournaient autour d’une vasque Dénuée de fond.
Et je mentais, abominablement A toujours refuser sur mon passage Un tissu arraché à ma sérénité.
Un jour, tu parles. Et l’autre, il faut bien voir le jour Comme il se lève, il n’y a plus qu’à le regarder. Mais là encore, tu parles.
Et je voudrais aimer, crois-moi, Ce rêve au cynisme si pur. Je porte des tisons à fleur de peau. Je ne puis me défaire que de toi.
Si le vent est glacial, tes mots, Je les entends, l’un après l’autre, Ils ne mènent ni aux pôles Ni aux portes des abysses.
Un peu, je demande pourquoi. Mais tu me répondras, je sais Et ne sais que me taire.
Un champ qui s’embrase sous moi. Je regarde les flammes. Un ciel bleu – calme et une échelle de corde. Mais je ne sais où, l’échelle de corde. Alors je bondis, traversant les flammes Pour me retenir D’un cri, car il crépite Lui aussi, au tréfonds de ma gorge. Sauver la face, m’embraser tour à tour.
Croirez-vous ? Car si je me vois, Me rassois, suis-je fou ? Dans la chaleur d’un cinéma. Et parfois, si je suis Sans image, mes lèvres De joie, je me meurs pas Moi-même et pourtant Confortable, je m’ouvre A ce froid intestin. Je ne sais Si toujours je serai Ce parfait spectateur.
J’ai choisi une laisse Et c’est le ciel qui m’y astreint.
Tu ouvres le journal. Combien de plaies en toi s’animent ? Alors tu te confrontes, sans le moindre doute, Aux fusions arrachées au jour le jour Parmi ta vaste mascarade.
Un mort, tu ne vois, ce n’est rien. Ce n’est qu’une fissure sans derme. Et tu cries sans figure. Tu ne naîtras jamais, Bousculé par ce miroir ascendant.
Chirurgien, tes mains sur mes yeux M’éveillent. Ce n’est pas que le jour naissant m’émerveille. Je voudrais me mentir, m’endormir à tes frais.
Tu sculptes dans mes rêves Tes croyances, j’ai vécu. Tu me le dictes ainsi Et je veux bien te croire.
Tu te feras à cette chair Comme je me fie à ton instinct. Cher chirurgien, mon riche partenaire A genoux abusé par ton scalpel
Assis Avec nos pieds engloutis par la mer, A contempler les rives Anuytées d’un autre jour.
Sur un visage qui n’a pas de nom, J’ai greffé âme et souvenir. Visage qui devint le chant le plus absent de ma conscience.
Tu serais donc un visage antérieur, Grimaçant par moi-même. Et moi, je voudrais au moins te convaincre que ce n’est que l’âge qui t’a abîmé Mais je n’y parviens pas. Je constate l’absence que tu creuses. En aucun cas je ne te laisserai parler.
Visage tout de plaies, visage laid Pour qu’on le reconnaisse, Aggravé du bonheur qu’on le sache.
28 08 92
Voici peut-être une semaine que je n’entends plus que Jean-Sébastien Bach. Les cantates, l’Offrande et les Brandebourgeois, voilà tout ce que je daigne écouter. Peut-être suis-je à l’abandon. Qu’il me suffise de jeter un œil sur mes travaux les plus récents, ce cahier même, pour me le prouver. J’écris et me refuse à relire, à préférer, à réécrire et même à recopier ce que j’écris. Car tout cela est faible.
En moi, les conflits se sont toujours succédé, ne m’ont pas laissé le moindre repos. Hier, j’hésitais entre l’écrit et la musique. Il m’a semblé tardif de revenir à la musique, je ne sais. Depuis, j’écris et c’est à peu près tout. Mais voilà que prose et poésie se jalousent. C’est ainsi, je crois n’y pouvoir rien. Et puis, c’est mon rapport à l’écriture qui me travaille. Pris en étau entre Artaud et Mallarmé. Pourquoi donc ai-je voulu les lire ?
Il m’arrive souvent de regarder d’un œil mitigé mes antiques écrits, la « Suite cérémoniale », les Cinémas antiques ou Le sens des réalités. Pages blanches ou jaunes mais muettes, surtout. Si je les interroge, elles se froissent. Il n’y a rien à faire. Je ne sais.
Mes travaux plus récents sont plus inquiétants. Et je ne puis les lire. Je ne parviens à les critiquer. Ont-ils la moindre raison d’être ? Je ne vois pas laquelle. Je faiblis.
Je lis trop, j’en suis sûr. Et surtout, je lis mal, avec empressement. Je cherche en d’autres ce que j’ai en moi, mais où ? Celan, Michaux, Artaud, Kafka – et même Morrison ! Se taisent. Ce qui me trouble, en fait, ce n’est pas tant que j’écrive peu. Si je ne sais quoi écrire, je dessine – mal, mais il me vient à mesure des traits que je grave une idée. Et puis d’autres la suivent. Souvent, il n’est que la première pour me satisfaire vraiment. Et encore ! Il me semble avoir déjà tout écrit de ce que j’avais à écrire. J’ai beau me dire que cela passera, je doute.
A une heure d’affreux cris pleins d’espoirs boursouflés, un tintement se faufile à travers la blancheur du vacarme, à la fois d’un jaune froid et très vif, comme une étoile d’hiver. Un tintement se crispe et plie l’éparse barre de ma conscience : une chute d’infini qui me foudroie. L’effroi, qui se déverse pas à pas, en plein milieu du monde, évidant une sorcellerie d’antérieurs informes, exulte aussi dans mes veines. C’est une affirmation, la fraction d’un instant, de l’absolue absence, vers midi éveillée.
D’incroyables saisons gorgées de verre Te remémorent par toi-même. Tu sais, au fond, qu’il n’y a rien.
Et le puits creuse, qui l’entend ? Toi, tu remues la tête, tu te caches parmi l’herbe. Pour semer tes pleurs, tu t’y connais. Est-ce bien là l’obscurité ?
Vitrines dans les rues, au soir d’un Noël sans Ève. Et l’amour sans pareil, ce sentier incertain Voulu, d’herbes séchées, toujours à crépiter Sous une absence de soleil. Noël, ce rêve d’un automne Et les rues chaudes. Mais tu marches sur ces mêmes chemins.
Ta civilisation s’effondre. Un matin, et c’est un drap A la fois pâle et sale Qui revêt le carrelage. Je voudrais réchauffer ton ventre Contre tes genoux, Ta tête dans tes bras, Ta chair contre ta peau, Tes ossements.
Ton âme s’y est réfugiée. Parfois, lorsque tu dors, tu y entends Le chant des flûtes qu’on y creuse Et tu te blottis à la flamme De ses danses toutes nues d’hier Et tu voudrais y revenir. Mais tu n’es plus qu’un drap trop loin.
Sentier, enfin, tes lèvres S’élargissent. J’attendais de toi Un mot ; ton souffle m’enivrait. Et puis je suis tombé.
C’est une courte histoire. Une parcelle de chemin. Des grottes sinueuses. Tout se parle à rien n’entendre.
On ne s’apprête jamais à partir. Afin, peut-être, de se rencontrer, On peut du moins s’acheminer vers l’ignorance, A commencer par sa répétition.
Il s’agirait alors D’un pavé de répétitions
Un sac de sel pour entendre la mer, Un coquillage devant mon abri. Je me suis réfugié, la cuisine est pratique Pour ce vaillant exercice.
Un bruit de frigidaire et l’œil blafard d’une autre lampe. Un courrier abondant m’informant de nos cieux. Ma bonne volonté, on ne l’a jamais sue : Combien je demeurais prostré.
Si j’ai fermé la porte En espérant d’abord ne plus revoir La mer, les heures s’écoulent. Bien généreux qui me les donne ! Et vaniteux qui me les octroie.
Il me faut, vers minuit, la pluie, Un plafond qui s’effondre Et une charpente qui branle.
Alors je puis blêmir Sans peur des rires qui me bercent, Sans un bruit qui me transperce. Je veux un sommeil de tempête.
Je suis celui qui chauffe ses amis Au bois de barque sans chemin. Navire vers les pôles. Je nourris la confiance au feu du désespoir.
Créatures somniaques, danses corporelles, Vous vous noierez avec une impossible écume. Moi, je vous invoque sous la pluie. Aboutissons avec vos discrépances.
Murmurez sombrement. A moi, il me suffit d’un souffle.
Et puis le calme. Il me faudrait plus d’une main Alors je l’ouvre jusqu’au jour.
Vos visages voilés, Vos sensuels regards m’attireront toujours.
Vous êtes comme un train de nuit Pour que je dorme sur vos rails. Je veux d’abord entendre les hiboux.
Toutes les nuits je marche Ainsi, pour m’assurer de ma tristesse A la lune et aux lampadaires. C’est encore votre rêve qui me suit.
Ce sont parfois des visages en forme de licorne qui me viennent. Sommeil ! Pourtant, t’ai-je rien demandé ? Tu parles, toi aussi. Je chercherai toute ma vie le havre Anachronique et toujours plus pressant.
J’ai cette histoire devant moi, j’ai tâché de la lire. Une histoire d’avocat, et une histoire d’amour. Autant dire la distance. Et puis le stratagème : pauvre lecteur !
C’était une histoire d’adultère et le héros, si héros il y a, était un avocat, mais aussi député, dans une région de province. Réactionnaire, paysanne. Une région où tout se sait, vraiment, où la morale, une certaine morale, solide et vieille, se fait respecter. Le député l’oublie, un temps mais surtout l’avocat. Et le voilà qui fait l’amour, qui parle d’autre chose. Sous lui il y a une femme, non la sienne, qui lui donne à jouir.
Et puis j’ai sauté bien des lignes. Aperçu de la fin : il retrouve sa femme, surtout par dépit, plein de rancœur. Il va écrire un livre.
J’ai devant moi les premières pages d’un livre quelconque, retrouvé au fond d’un grenier, fameuses. Dans un style très sec, très stimulant.
Et puis la glaise. La glaise d’une histoire d’avocat, de député. J’oublie. J’oublie ce livre sans en prendre un autre. Je ne veux rien dire. Et les meilleurs ouvrages, je les bâcle tout autant. Il n’y a rien à faire : l’empressement... Bientôt, me dis-je, mais bientôt...
C’est le hasard qui dicte mon travail. Et je ne ferai rien en-dehors de lui. J’’attends, c’est vrai et je suis impatient. Et c’est un peu pourquoi j’écris, à ce moment. Il faut qu’une lumière jaillisse du début, qui dicte chaque mot que j’écris, de sorte que je n’y puisse rien changer (ajouter, retrancher).
Ce que j’ai pu écrire, jusqu’ici, c’était encore trop mitigé. Il me faut abolir le sens, la signification. Il faut que j’arrive à un terme. Si j’échoue, je ressusciterai. Ce ne peut être que cela. J’échoue, je ressuscite. Alors, écrire, apprendre et réfléchir le cahot de ce monde, dans un élan suicidaire. Tel est le travail auquel je me soumets. Fin de citation.
J’ai vraiment été rassuré quand j’ai compris qu’ils reviendraient. Ils étaient obligés de revenir. Et quand bien même ! Il n’était pas possible de douter. Non, pas à ce point.
Alors, je suis sorti. J’ai pris la première rue à droite et puis la seconde rue à gauche, la troisième à droite, ainsi de suite. Et je me suis perdu.
Mais j’étais assuré, et pourtant équivoque, au sujet du foyer. Car d’un instant à l’autre, j’y songeais ; il pouvait prendre fin ou disparaître et laisser peu de sable aux dernières vapeurs. Un foyer volatil, où nul n’avait accès. Et rien ne résistait.
Puis, une affirmation grave :
Tu renoues avec l’ombre pour un dernier spasme Et puis tu bruisses et à ton tour, tu disparais. Voici ce que ne devient pas le monde A jamais installé dans le fauteuil du spectateur.
Il ne fallait pas que j’apprenne à lire. C’était un tort. J’aurais dû me lever, j’aurais dû vendre. Alors voici, voici ce qu’il advient d’un être dévoré de peurs, d’un être qui les aime, qui voudrait oser les regarder de face. Peurs qui se dérobent tout à fait. Et le son impalpable, omniprésent de l’inquiétude. Alors je vis dans les striures de son rythme.
Il me faut une absence d’œuvre. Un désordre important, d’abord. Et une relative discontinuité. J’ai discuté avec Artaud, hier. C’est lui, ce rire ! Il m’en aura voulu. C’est le regard sévère de Mallarmé, ailleurs. Mais pourquoi ai-je jamais lu ? Il me fallait écrire. Et pourquoi vivre, mais surtout avoir vécu ? J’ai une lourde tête d’homme qui repose sur un lourd corps d’homme ! Et pourquoi la fiction ? Il faut tuer, tuer, tuer un réel carnassier, multiforme et spongieux. Qu’il ne se plie pas à ma volonté, je le déclarerai fantomatique. Un peu du sérieux de ce monde me libérera. Je vivrai d’autres postulats de la souffrance.
Et la souffrance était d’abord la peur et je me suis mis à rêver qu’on m’ampute d’un bras ou qu’on m’enfonce un tournevis dans la main. Je rêvai d’une douleur franche, alors voici. Ce que je ne parviendrai à saisir : le monde, tout ce qui m’échappe : moi, etc.
Dans une nuit pour laquelle on n’a d’yeux, Se précipite un cheval de hasard. Ne récitez ni vos prières Ni le pas que vous faillîtes.
On vous transperce du dehors. Alors vous projetez vos défections. Dans son fertile désir l’esprit Vous encercle de pertes.
Et l’hypothèse du malheur A la voix grave et spontanée. N’envisagez aucun commerce. Il n’y a qu’un tapis mouvant de ruines.
Je voudrais vivre autant de vies Que d’instant aujourd’hui Hier et demain confondus.
Le sablier ignore ses parois Et sa berceuse crie péniblement. Mélismatique étroitesse.
Vous auriez frappé les trois coups. J’aurais joué ma surdité d’acteur. J’aurais brisé les actes, j’aurais divisé les scènes. J’aurais dévoré un mot.
Mais c’est dans ma progéniture. C’est à me fendre, assurément Que je pends à être applaudi.
Je voudrais être autant de vies Qu’’on a brisées à chaque instant Et ignorer la liberté.
Je voudrais arracher ce moment à la vie, Sa multitude et son absence. Un temps, je crois pouvoir. Quel subterfuge m’est venu ? Je voudrais l’ignorer. « C’est très réel, croyez ».
Mais tout se Et la télévision (le disperse Et la radio ciel) et se brise Et bientôt le journal et je ramasse les éclats de mon linceul de poésie
cet œil perpétuel
Bulletin d’information Il faut d’un œil Écarteler le monde Une petite mélodie Vous arrache aux atrocités Survenues cette nuit Bosnie Bosnie-Herzégovine, pour parvenir à Maastricht Il n’y a rien de En Allemagne vrai à s’attacher En Somalie au monde Au tour de France Et cependant je A glisser vis
Il est vrai que j’ai eu bien de la peine à m’éveiller, ce matin et puis à me lever. Ce fut un insolent désir dont j’imagine qu’il restera longtemps inassouvi. Et puis les bris d’un rêve. Et tout cela, parfois était distinct et d’autres fois se confondait. Comme vivre un jour calmement heureux, après cela. Qu’il est parfois bien difficile de se bercer de solitude !
Si je devais me convertir au christianisme, comme l’idée m’en vient parfois, peut-être à l’écoute des cantates de Jean-Sébastien Bach, il faudrait que je pose la plume et il faudrait que je me taise. La prière serait un refuge.
Une prière aveugle, une issue à ce monde. Je cesserai d’écrire. Si j’étais certain d’avoir l’âme en paix, si j’étais bien certain d’être sincère avec moi-même, je me convertirais. Et si la vie n’était que cette musique, alors il me serait possible de croire. Si je pouvais m’approcher d’elle, enfin, m’y rencontrer, m’y fondre, je serais, je crois, heureux. Il n’y a pas d’issue.
Et je suis toujours là, à écouter cette musique. Un amour improbable me tourmente. Il ne dévoile que ma solitude, l’absolue absence qui me terrifie et cependant m’anime. Il ne me sera pas donné de croire.
Une révélation ? Ô très chère et sainte Vierge, si je vous voyais... Mais comment ne pas rire ? Une vision soudaine, abrupte, c’est risible, n’est-ce pas ? Et vous vous vexerez. J’entends déjà le bruit de mes tourments. Et votre voix qui gronde et qui doit déjà être là, en moi, dans ma poitrine, dans mes rêves, dans mon âme si tant est que j’en aie une.
C’est lorsque rien ne me dit cette chose, tout me revient. Et son poids me terrasse. Un désir de berceau, une attirance froide pour un souvenir, un souvenir de solitude. Alors, je marchais dans les rues – pour m’aider à songer, pour aérer mes songes. Il n’y a plus, je crois, que l’air glacial de l’hiver dont je me souvienne, en ce dimanche froid d’été, qui occupe mes songes d’aujourd’hui.
Je me souviens de cette rue si calme, si impressionnante. Cet hiver sans neige. A marcher au hasard, à la recherche d’une issue. Échappatoire ! Tu étais un fantasme. Je t’ai rencontré, c’était dans une revue érotique. J’étais très, très jeune et j’ai mal su te désirer. Depuis, je conçois que j’ignore tout du monde.
Et si je rêve, qui s’en aperçoit ? Je dors, voilà tout ce qu’on voit. Que faire, mon Dieu ? Que faire devant un tel mépris à l’encontre des rêves ? Tous les matins, j’en perds au moins plusieurs. Un génocide, pour le moins.
« Car vous semblez de la substance des rêves, de cette gratuité irréductible, et cette moralité obscène, etc. »
Aux attenances de l’été, j’avais plusieurs amours. Une furie. Nos vierges vies.
J’étais l’amant d’un acte frivole et grotesque. Un acte de croyant, de renégat. Une luxure. Un acte sans sa pièce. Nos passions calmes, teintées d’érotisme A la lueur du jour de son déclin Rencontraient en leurs tourbillons Connaissez-vous ? Les plaintes du sommeil.
Douleur gracile, parle-moi. Calme lombaire, déverse-toi sur mes esprits. Ils ne se parlent plus. Et leur silence, mordant comme un vent d’hiver Sous lequel je m’abats. Je me relève, malgré moi.
A toi, douleur, de me jouer. Tu ne m’ignores pas. Tu ne m’appartiens pas, nous pourrions Le sais-tu ? Nous pourrions nous aimer, ici même. Observe ce couteau, douleur Et dis-moi s’il te plaît.
Palace aux chambres vides. Vastes, vides, virulentes. Je vous vois.
Je voulus m’engager dans le rôle d’un motet de Jean-Sébastien Bach. On me poussa vers la sortie. On voulut me convaincre : « Il n’y a plus, me disait-on, d’espace pour de tels moments ».
Rien, dans leur raisonnement dont j’entendais avec mesure le halètement, comme un écho plaintif, ne me sembla bien sûr. Et je dus entonner un chant secret et poussiéreux, mais surtout qui me paraissait moderne et bien fondé. On le brisa. Mais à présent j’étais tout seul dans l’autre pièce.
Je vis tout cela et un rideau tomba que je ne pus même caresser.
Je renouvelle le plaisir d’écrire, sans aucun but, sans absolument rien à dire sur quoi que ce soit. Je n’éviterai, si le Dieu d’à ce moment me le permet, aucune lacune, avec bonheur je plongerai.
Nous voilà bientôt totalement dévêtus, l’obscurité nous gagne, aux sursauts amoureux. Ébats ? Il n’y a qu’un vent tiède pour le dire, son souffle sans saison, à l’extinction.
Comme il évite de se plaindre, on en quémanderait des litres et leurs rythmes nous enivreraient. Le cœur léger dans l’atmosphère d’une nuit sans saison. Je t’imagine, vespérale, notre union – et je m’endors à cette frémissante expédition, la nuit.
Un couloir nous attend. Et je m’emporte au gré des portes ouvertes.
Musique, encore, à frapper à ma porte.
Je dormais, je vous l’assure. Elle m’aurait éveillé. Elle ne m’a jamais dit.
Elle avait l’accent des folles, Des tendres folles de vivre nues. Amour sans borne, sans destinée.
Dernière nuit, musique. Tu m’éveilleras en cri.
Espace, chante-toi, deviens un arbre de murmure. Écarte-toi des chemins combustibles. Je ressens ce moment de ta plaine, Incertitude, droite et souveraine Et l’érosion d’une promesse de violent dimanche.
Il faut parfois que tu t’insurges. L’ombre se maintient Fragile, et danse sur de chauds candélabres Vifs, la respiration haletante Et un grognement sourd.
J’admets que j’ai parfois rêvé Mais je suis un et ce moment, C’était mes veines, ces échelles de corde.
Reconnais l’arbre qui t’a lapidé. Il est pour toi, et c’est le seul, je crois. Il te suivit jusqu’au terme. Il t’appartient, te veut.
Ce n’est pas l’être, le suprême mais la connexion. On ne le voit pas, l’être, parmi l’arrière-plan d’une scène de la crucifixion (choisie parmi tant d’autres, nous verrons pourquoi).
On voit des caméras superposées projeter des ovules binaires dans le ventre de la vierge dame. Si elle ne se révolte pas, c’est avant tout qu’elle dort. Des ovules qui abolissent, en quelque sorte, le hasard, qui ne se méprennent. Ils savent d’avance et selon quel jour naîtra l’enfant Christ. Ils savent aussi bien ce qu’il en adviendra. Ils ne peuvent qu’obéir.
Ils ne sont pas, comme on pourrait le croire, immatériels mais translucides (en fait, il s’agit du vernis qui recouvre la toile), inexpressifs et remarquablement absents. On les connaît surtout en raison de leurs griffes, qui crispent le visage de la vieille Vierge et c’est vrai qu’elle se tord, derrière la douleur, c’est vrai aussi qu’elle se lamente, sous la chaise du grand metteur en scène.
Et c’est vrai qu’elle se pâme, qu’elle blêmit, qu’elle suinte. A présent, elle dort. Elle ne vit pas, elle se rend à nos jeux. Nos jeux d’yeux, exercés comme des rats. A se nourrir, etc.
Il faudrait que tu sortes enfin de cette tête, Balancier. Tu reviendras, je te promets. Tu seras de nouveau cet éclat de la lune.
Et à son tour s’il disparaît, Il te vient à l’esprit, changeant Comme une steppe un œil de glaise, Un retard sur toi-même, dans ta main.
Mais à présent, je veux Il faut que tu y ailles. Et nous scrutons les cieux et nous nous y dressons. Par quelle promesse avant d’y voir l’abîme ?
Lampadaire, seuil de nuit, Réfléchis sur mon sort, dis-moi Cette rue malade et noie-la.
Devant la chaudière je crie. L’ordre s’installe, et un achat des sièges. Un confort de fauteuil, parle Je ne t’entends pas.
Ta mutité bientôt stridente Est un vecteur de solitude. Un parterre de semblables. L’un au moins se tait.
Appelle vers minuit Mais ne le dérange pas.
Minuit appelle. C’est l’heure des chuintements Et moi, je dévêts.
Mais je devrais me révolter Et je devrais crier, m’enfuir. Les bus m’appellent. Je ne peux pas, bien sûr.
Ce n’est pas parvenu au terme Ni au point de suspension Ni une caresse, je suis toujours vif, Emprisonné, curieux, Certainement croyable.
Avant le jour m’endormira Et je demeurerai bien loin. Mais je deviens, c’est là mon drame Un soir de rêve papillon.
Quelle question t’a posée ce monde ? Avant que tu ne cherches A t’en briser les reins.
Tu suspends tes ébats, c’est bientôt pour apprendre. Et tu attends, c’est vrai, certainement patient. Alors, tu comptes et tu apprends.
Demeure dérisoire et tu verras. Si on t’arrache, ne crains pas ces pleurs Et pour les voir mourir, n’en ris jamais.
Mais ferme-toi, verrouille chaque pore. Abats les portes de l’espoir. Tu en déverses le festin.
Et puis patiente. Il est possible que tu ne voies rien. Possible aussi que tu n’entendes rien.
Pourquoi je vis, ce pourrait être simple. Oui, bien simple si j’y crois. Mais je me vois, le croirez-vous ? Il n’y a rien à voir.
Espoir qui tarde à se rêver. Aussi l’éveil sans compassion Et le pas lourd des rues le jour.
Je suinterai le long de ce visage Tant qu’il n’y aura rien d’autre à faire. Et une nuit, ma brave nuit, ce sera au printemps Et sa splendide érosion, lentement Tout à fait contre moi...
Si à présent je rencontre le froid, c’est par instants et c’est en moi, d’abord, que je le sens.
Une lueur d’espoir brillait que je ne voyais pas. Et puis j’ai entendu un bruit, qui excita mon imagination. Et qui ne se répéta pas.
J’avais déjà couru le long de ces couloirs. Et j’avais voulu fuir. Mais à présent, me sembla-t-il, les portes s’ouvriraient. Et elles s’ouvrirent. Sur d’autres couloirs.
J’ai eu l’instinct de m’en aller, dès lors qu’on ne me laissa plus m’asseoir.
Jamais je ne fus seul. Toujours une idée tout d’abord paisible au pas de l’oie, qui s’approche et fait mine de se parler, de se raconter une histoire, la création. Si je la hélais, bien sûr, elle ne tardait jamais à disparaître.
C’était compter sans la lampe. Un bruit bizarre de métal et de verre qui restait suspendu ; sur moi, l’espace, disait-elle, qui n’est autre. Et tout se rétrécissait alors ou c’est mon ombre qui se tordait dans ma main. A travers elle.
Je demeure prostré.
Interminable scène, on ne vécut jamais que pour y assister. A l’arrière on s’effondre. Une fenêtre peut me dire, pour insister sur mon absence, perméable comme un bruit, à revêtir ce nombre souffreteux, seul que j’entends, et moi, d’un coup je ris et je me tais. Ensuite, c’est le monde. Il n’y a vraiment rien, à froid. C’est cet abîme, qui résonne comme un pas d’hiver. Et je m’oblige, à en croire, à ces racines, en moi, qui se resserrent. Et une peur.
Je finirai peut-être déchiré. J’ai un talent à le prédire, à me prédestiner, et c’est à lui que je voudrais m’adresser. Alors je prie. Et puis ce sont mes mains, projetées dans l’élan, qui se fissurent
Et une fenêtre glaciale pour m’offrir
Si j’avais su Dans un élan de grâce Partager Ce fruit semblable et passager... Mais on ne connaît que ce ver. On ne voit que le jour du monde.
Et toujours, bénis le silex, grotesque vieillard.
Ubiquité qui rit, qui pleure, Que dévore l’ardeur, Ubiquité qui parle, moi J’entends, la nuit, la scission de mes êtres.
Dans un mouvement automatique je peux lire ce monde. Sa genèse, son entrain – et je le précipite. Ne me tiens qu’à ce grand mur Et je me moque de tomber.
Un œil de nuit et l’autre qui voit mieux, Face auquel pourtant disparaissent les offrandes Qu’on me fit, mais quand ? Et j’ouvre dans ma main une fleur d’horloger.
Sur la falaise un deuil de brume Et tu te signes sous cet arbre. As-tu vu l’Étranger, as-tu frôlé Cet instant, aux pieds nus de rêve ?
Ici, où tu as échoué Dans le secret d’une cérémonie que tu te joues, Orchestre Cette patiente inexactitude.
Il faudrait assouplir ce rein et ce regard. Sur toi, ce sont des vagues. Ton intransigeance ? Tu devrais la mordre. Au nombre de tes impressions, et tout cela n’est rien, enfin, Abdique-toi.
Dans la pénombre sans patience Et dans un geste d’orgueil rarissime, Je te vois – et tu te lèves.
Le désir d’applaudir qui pose alors la main Sur cette épaule, plaie, Me surprend et m’obsède, et enfin Me déplaît.
Je m’approche de toi. Je crois, en un geste semblable. Saurais-je rencontrer le sol ?
Une musique nous a éveillés, tu t’en souviens. Tu te maintiens parfois sur cette note Que j’ai oubliée, mon Dieu ! Sans laquelle je me joue.
Déjà le déclin de l’été. Été maussade, cette année. Seuls quelques jours brûlèrent pour nous.
Et nous voici bientôt en septembre, et la pluie a l’odeur d’octobre. Un été s’achève, il est peut-être déjà mort, et qu’ai-je fait ? Fort peu, je dois l’admettre.
Il me faut encore travailler, si je veux voir, si je veux dévoiler ce monde. Et d’abord dissiper la brume de mes mots. Car ce n’est ni la fonction qu’ils occupent ni leur étymologie qu’il me faudrait dompter mais leur essence qui est musicale et sensuelle, spirituelle de chair.
Que l’été me pardonne ! Je l’enterre aujourd’hui. Je voudrais en avoir déjà fini.
Un sommeil m’occupait, je me suis déchiré pour le lui dire. A ce moment, il avait disparu.
Réalité spongieuse, accepte-moi dans ton ubiquité. Je voudrais rire, moi aussi.
Ce que je fais, c’est que je marche énormément. Je voudrais voir ce monde. Au vrai, je n’ai que ma petite ville. Alors, je la déguise. Une imposture peu crédible, en vérité, mais je ne rencontre personne.
Et si à ce moment, tout m’appartient Qui n’est plus là pour me le dénier. Je tombe, et c’est l’écho qui me ramène.
Alors pourquoi, je prie le monde Et c’est une fenêtre qui me dévisage.
Avec son rire de spectateur, Il ne se fige pas, il nourrit son angoisse Et il cherche à restreindre l’ambition qui l’écartèle. Un lointain au-delà Qui l’écartèle sans un mot.
Car ce qui le trahit, d’un élan passager, Ne le tolère plus, le mange. Il ne se recroqueville pas. Il dîne lui aussi, plaisant et confondu.
Mais la rivière, un gouffre de son absolu réveil, Le précipitera en d’autres ahurissements. Ce n’est pas l’heure qui lui convient. Ce n’est pas le travail auquel on se destine.
Il me faut dire que j’ai toujours vécu. Et peu à peu ainsi, dans ce semblant d’aurore, atermoyant inassouvie la pluvieuse saison.
C’est loin d’être un combat. J’allais dire : au contraire, mais ici-bas rien ne s’oppose, rien ne se repousse, on se sent comme chez soi, d’ailleurs.
J’ai trop vécu de l’avoir dit, de m’être dévoilé. Et pourtant le premier venu n’eut jamais lieu. Je me suis lamenté. J’ai regardé derrière. Peut-être trop souvent, au fond, il n’y eut que cela.
Si vous ne pouvez maîtriser vos mauvaises pensées, attendez-vous au pire. Il en ira de votre faute. Ensuite, on ne vous laissera pas y échapper : un flux, c’est drôle, direz-vous, je le sens pourtant autre.
Il n’en est rien.
Vous pleurerez, mais tout sera fini. Un habitacle amoindrira vos mouvements et jusqu’à la résurrection, vous entendrez parfaitement comme elle vous viennent, lentement – jusqu’à la rémission.
La souffrance se lit différemment sur ses deux yeux lorsqu’elle les lève. Autrement, elle reste silencieuse et là encore, à croire, elle mime et elle se tord inconsciemment d’ardeurs déployées, puis ténues.
C’est au chemin d’un bus qu’elle réalise l’espace autour d’elle qui apprend, timide, à l’horrifier. Vision suprême d’un bus plein, l’âcre rasade de la solitude.
Quand je descendrai du bus, bientôt, elle pleurera. A ce propos, probablement, n’en saura rien –
Ces spectateurs qui s’impatientent, C’est la bruine qui les suit. La nuit n’est pour libératrice Qu’une folle, et qui se poursuit à tomber.
Ces spectateurs qui n’aiment pas Ce qu’on leur donne à voir, Parfois, qu’ils guettent, qu’ils étranglent, Ne connaissent rien de leur mélancolie.
Mais ils attendent, et cela ils le savent Jusqu’aux jours de grève. Aux premiers jours ils seront encore là. Puis, c’est la grève qui s’étend.
Un enfant et ses monstres S’agitent Dans une brume d’espérance. Un constat leur futile. Puis, ils se tournent.
(Il avait tant voulu tourner la page, la flagrante déception ! Un tour, un autre, mais bientôt, il n’y aurait plus rien pour le causer le moindre heurt.)
Eh ! Sortez donc du bus Mais du moins faites que jamais il ne s’arrête.
Une lenteur, aux heures de pointe, Hésite la voix d’un enfant
Tandis que volent lancinants les monstres au confort du fauteuil. La multitude qu’il entend. Il intervient. La conjonction inassouvie -
Quelle flatterie peut bien être aujourd’hui Puisque ce ciel ne nous pardonne pas ? J’aimais la lenteur des nuages. Immobile est ton sort, cercueil sans chair.
Tu ne portes pas Et tu n’assouvis rien du tout. Si je t’observe, Je ne te rencontre pas.
Il n’y a qu’un soleil qui désespère Au loin, peut-être, je spécule Un glaive de ses dards qui s’expatrient. Le rêve de leur millier de sommeils.
Ne regardez en aucun cas la nuit, cette érosion. Il faudrait voir, plutôt Un drapeau végétal voué A répondre aux linceuls du monde.
Il n’y a pas d’automne, je suis né. C’est ce qui m’appartient, je suis. A quelle condition, vieillesse, Il me faudrait te pardonner.
Voici (Et une table pour en discuter.) Nous parlerions longtemps, crois-moi, Automne, avec tes larmes sur mon front.
Ici, tout est conforme à ce qu’on croit. Ne pensez pas que je m’ennuie, je dors. Car ici rien ne vit, on croit. Nul chirurgien pourtant ne harcèle la terre.
Ce n’est pas cependant qu’il n’y ait rien à voir. C’est plutôt à un dieu Et pourquoi se détruire soi-même ? J’ai emprunté ailleurs un démon d’injustice.
Crier, bien trop tard, Lorsque la nuit est pour tomber. Crier, pour d’autres. Qu’ils souffrent, eux aussi.
L’été fut pénible, accablant Mais surtout triste à en mourir. Un été de nuages, vomissant leurs flammes. Qui s’en souviendrait ?
Ne regardez pas de ce – côté. J’ai froid, c’est tout, il meurt, Cet été de vacillements. Sans lui, je m’y suis essayé.
J’ai expérimenté l’incandescence. J’étais seul, du premier jour. Je répandis, muettes larmes Vos premiers éclats, vous m’abdiquâtes.
Rien ne me revient, cet été fut Ce que je préférais au monde. Un brasier sur l’instant épié, Puis une absence de crépitements.
Voici celui qui cherche l’or et se perd dans la mine.
Qui peut dire l’âme ? Et celui-là, s’il existait, ne saurait encore dire la douleur qu’un mot cloître, parfois,, religion, prospective.
Qui peut dire la douleur ?
A présent tout s’achève. Espoir ! Tu es bien mort. De quoi parlais-tu ? Je m’en suis toujours douté, alors. Et puis, vapeurs ! Sombrer dans l’inconscience ne m’appartient pas non plus.
Après cela, je te regarde, un goût de mépris au palais. Et puis, qui sait ? Qui peut se percevoir, soi-même s’engouffrer, car tout commence avec la sensation, jusqu’à la plus bénigne. Elle, au moins !
Je sais. Je sais.
Je sais qu’il n’y a rien lorsque j’écris, rien que je puisse attendre. Si je charrie, si je dépèce tant de verbe, c’est bien l’âme que je vise. Pauvre cible ! Et enfin, pauvres spectateurs ! Il n’y a rien à voir. Non, rien à percevoir. Et surtout, rien ne certifiera qu’il y a bien de l’âme quelque part, ici – ailleurs, même nulle part.
On pourrait croire, puisque tout diffère (et même tellement) qu’il se créera des liens parmi la multitude des indices. Tort : il a déjà eu lieu.
Semblant de crainte, semblant de savoir, et pourtant déjà tout vacille. Alors creuser. Non plus à la recherche mais pour soi, oui, pour s’enfuir, croyant de bonne foi, parfois, échapper à la vanité des multitudes. L’ignorance éphémère, c’est le savoir au sol. Et l’attraction ! Nous rend solides. Elle est là pour nous pardonner, nous justifier, je dis, sans trop y croire et cependant, j’écris ces mots. Mais bien sûr, sans espoir.
Il n’y a rien. Tout part de ce principe et voudrait y rester.
Fatale attraction ! Car l’immobilité élève, en d’autres termes, d’autres configurations, des ambitus en escalade, pour percevoir le monde d’un point de vue autre, supérieur, pour l’abolir. Je calme –
Et puis, un souvenir : car tout cela est politique, et c’est un terrain dangereux. On voudrait transformer le monde, n’est-ce pas ? Et on a bien raison, c’est vrai, surtout le dire et même y croire, pourquoi pas ? Ma foi, ce me semble une vie.
Je voulais avoir les idées justes. J’y ai travaillé, c’est vrai, longtemps. En vain. Je dois gagner ma croûte maintenant. Je n’aurai plus le temps de réfléchir à tout cela, j’espère. Alors, comme un dernier bond, avec toujours en moi cet insatiable désir d’abandon, ce relent d’un ultime toujours différé, je veux me souvenir. Que cela ait eu lieu ou non, voilà ce qui m’importe à peine : je songe.
Pourquoi politique ? Il fallait abolir le monde. C’est ce que j’ai su, en néantiste révolutionnaire, et puis j’ai poursuivi de l’ignorer, à feindre de – mais non. Il faudrait abolir. Il n’y a ni à transformer (et quoi encore ?) ni même (et surtout pas) à faire avec. L’hypothèse du suicide ne suffit pas Il faut détruire en soi, car il n’y a rien d’autre, l’idée de ce monde, péremptoire et incertaine et surtout corruptrice et trop croyablement vaine. Il faut s’y résigner.
Parfois, de l’enthousiasme. C’est un parti dangereux, pourtant, car l’enthousiasme tombe. Soi-même, on se fait Dieu. Creuser, c’est tout d’abord s’y résigner, apparaît-il, et sans regret mais surtout sans espoir.
Il convient d’oublier, ou de détruire et de railler l’image de ses souvenirs. C’est un esprit pratique qui n’a rien d’inconcevable. A portée de la main, dirais-je, et surtout au plaisir de se faire souffrir soi-même. A commencer par oublier de se mentir. Et se mentir toujours, d’ailleurs, mais se le dire. Et puis tourner en rond, pour s’en apercevoir. Puis enrager, pour s’escrimer à inscrire sur la mollesse du sol des cercles plus béants. Désespérer. Recommencer. Tourner sur soi, avec l’idée qu’on est un point.
Mais non ! On s’aperçoit que non, toujours – et que toujours on vit, on n’est que chair.
C’est le seul exercice de la politique qu’il me soit donné, après une expérience fade et surtout complaisante. Si celle-là aussi échoue, il ne me reste rien. Je pourrais sortir d’ici, oui ! Mais avec quoi ? Il n’y a rien à croire. Je ne veux plus considérer. Ni l’être même.
Vrai, c’est absolu Une mer sans chemin Et des forts qui poussent sur cet arbre Dans ma main Et tout cela n’est rien !
Je voudrais revenir à la noirceur qui incante le seuil car il me voit et je voudrais me détromper.
Une facilité à inscrire son ombre sur le vierge espace de la page. – Cette facilité qui vous fait perdre votre temps.
Quand tant de jolies filles tournent vos multiples têtes, couloirs du métro ! Il faut que tu sois là, animal décevant d’espoirs, à battre le papier, dans une prostration qui rappelle un fauteuil.
Et le train siffles, tu t’en moques. Tu descendras à ton heure. Fixe, fixe ! A quelques minutes de là. Fixes, à quelques minutes qui seront pour chacune autant d’obsessions.
Tu te condamnes, tu te réitères, tu t’incarnes. Désir de souffrir, d’abord. Le reste, ou non, suivra. J’invoque d’abord le silence. Une nuit l’accompagne.
Je suis tout cela. Tout cela, dis-je, qui m’enferme. Scrupuleux donjon, flexible et perméable. Il convient cependant. Impossible d’en dire quoi que ce soit. Pour l’heure...
Je veux sa nudité. Et je veux le lui dire. Et me refuse à le brusquer.
Je deviendrai, c’est là mon ambition, un silence pénétrable.
Il convient tout à fait d’écrire avec rancœur, voire avec haine. Il n’y a que cela de vrai, en soi, d’irrésistible et d’attractif. Pardonnons à Céline et à peu d’autres, mais à lui du moins car il fut faible. Abolir la raison est un métier dont les risque sont nombre. – Et j’écrivais hier la haine en des termes d’amour. Ce fut peut-être mon premier poème. En tout cas, ma toute première prière.
Et quel émoi, Quand j’y repense !
Je m’arrache à mes songes, dénués de nuit, car ils sont tels à de profondes croûtes inutiles. Je ne me suis jamais blessé, je sais qu’il en sera toujours ainsi : mon incapacité à déchirer mes chairs, c’est tout ce que je me refuse à pardonner, et surtout à moi-même. Aussi je feins de m’éveiller, dans la douleur le plus souvent, désespéré, incantatoire.
Qu’il ne me reste rien ! Je veux broyer du songe à l’aube. La matinale poésie sera déjà mon glas. Je veux accroître son empire sur moi et il n’est jamais tôt, à cette fin. Rien n’est jamais de trop.
Si je veux une plaie bien vive, c’est pour savoir, mais pour être certain. Je veux la voir et, on me comprendra à peine, m’en réconforter. J’ai toujours été tangentiel auparavant. Ainsi, et tout disparaissait bientôt.
Alors, il faut que l’on m’arrache un œil, un bras, j’en rêve et j’en suis incapable. Il n’est pas de douleur plus effroyable que de ne pouvoir localiser son havre.
Si je l’ai cherché, ce fut en vain. Il m’est venu, au terme de ma quête, qu’il pouvait s’agir d’une plaine ou d’un désert. J’avais déjà abandonné la ville, à ce moment, mais j’y suis retourné. En vain, en vain, etc. Je ne sais rien de moi.
Si cette chair que je crois ignorer me parle, il me faut lui répondre – mais comment ? J’ai l’instinct de survivre et, pourquoi pas ? De fonder une famille. Des gosses, oui, des milliers de chiards pour emmerder le monde. Et je leur donnerai l’esprit bizarre, le mien, plus tordu que le mien, plus lointain et cruel. Je rêve.
Il n’y a pas de poésie à tout cela. Si je lis René Char, je pleure car tout cela est beau, car tout cela est vif. Et d’abord tout cela. Mais ici-bas, il n’y a qu’un esprit, le mien, et la projection de tortures que je fais subir, au jour le jour, à des milliers de moi.
Il me faut donc, pour m’excuser, narrer le chant des invécus.
Lorsqu’on me demandait (j’avais trois ans) si je voyais le ciel dans sa grisaille à tout moment et en toute heure, il a pu arriver que je réponde non, ou pis : que je me refuse à répondre. Je me répandrais ailleurs, savais-je, en une forêt verbeuse et ici où je me refroidis les veines, il est possible que l’azur me commette. Je suis sa grisaille.
Le désir d’abolir me vient. Comment m’y prendre. Je ne me résous pas au simple rôle de spectateur. Il me faut mieux – ou pire : c’est la douleur qui noie le monde dans son aile. Je la veux. Je la désire, la quémande. En moi, et nous nous aimerons. Enfin.
Dernière minute
Absolue heure, je t’ai conviée Encore, et tu n’es pas venue A moi, les récifs, les écueils Je veux voir qui se brisent...
Il n’y a plus qu’à se résoudre. On s’y fera, c’est là, entier, que se résume le problème. On a déjà tout dit peut-être et j’y suis pour pas mal, au vrai. Jusqu’à ce qu’il s’avère un ensorcellement. Ce qui arrive toujours très, très tôt, mais non.
Hésitons encore peu, mais sans le moindre doute à ce sujet, revenons en arrière : hier, ce n’était pas, pour peu qu’on y songe, un jour tellement autre. Il s’est vécu, voilà. Et ce jour-ci, qui s’enfonce, qui brûle, que croyez-vous qu’il deviendra ?
Je ne voudrais vous parler que d’hier. Alors je je prolonge à l’infini, voilà car c’était aujourd’hui, tout ce dont je vous parle, et même à cet instant, que l’on vient de passer, que je ramène à moi. On n’en sortira pas. Je voulais vous confier une impression. Ce sera pour demain. Toute une heure est bien lointaine. Etc.
Arrive, à ce moment, l’ultime plainte que ce cahier veuille de moi. Peut-être, à cet égard, restera-t-elle inachevée.
Mais c’est qu’en sortant tout à l’heure (et cela faisait longtemps que je n’étais sorti) j’ai eu l’idée, idiote je l’admets, de regarder ma montre.
En vérité, je désirais me renseigner : je voulais savoir l’heure. Et d’un geste vaillant, j’ai retroussé la manche de ma veste et j’ai eu plus que de la surprise, du dégoût pour ce poignet. Il était nu. Visiblement, il n’en avait pas honte.
Je fus furieux contre lui, ce fut l’espace d’un instant. Et puis, en me dédoublant, j’eus horreur de moi-même pour avoir eu honte de ce poignet qui, après tout, est innocent. C’est plutôt mon vouloir qu’un sien.
Ce jeu de mon horreur dispersée en terreurs m’écartelant de part en part me fit de mauvais tours. Je ne m’en remis qu’à grand-peine. Je pressens un rhume et des douleurs nerveuses. Il faut pourtant que je m’abdique. Un instant, s’il vous plaît.
Mais ce sont déjà les dernières pages qui me pressent. Je voulais vous dire mais il est trop tard. Mon heure, je l’ai laissé passer. Et tout le reste avec. On me bouscule. Et l’on s’excuse avec peut-être plus de méchanceté qu’en se taisant : « Excusez-moi, monsieur ». Mais non. Je n’excuse plus rien. Je mange, oui. Je mange des douleurs, des rides. Mais surtout des ventres, je m’en gave.
Et toi, dernière ligne d’un cahier, si je ne te vois pas encore, je te salue déjà. Ma terreur pèse, je le sais : tu en es responsable. A présent je vous quitte, mots, je reviendrai sans cesse à vos tourments, les leurs.
On me les dictera, je sais : il n’y aura plus rien de moi. Parfois, je m’évanouis déjà mais ce n’est pas encore assez.
L’abolition me ment. Je n’en suis pas fécond. Jamais ! Toujours, je nais.
Démontrez-moi que l’art n’existe pas. S’offrent à vous mes nombreux territoires. Démontrez-moi le reste, aussi. C’est tout ce que je voudrais savoir.
Prédites-moi que j’ai failli Et les chimères, les catastrophes. Montrez-moi que j’ai vieilli. C’est saugrenu, j’ai brûlé mon horloge.
Mais il reste sans espoir un horizon Et tout s’y noie, tout s’y dénoue. Ici je prie, me crispant à son seuil D’y jeter un œil voyant toujours nu.
Coda
Ci-gît la Poésie. Le ciel se couvre et tombe Sur le cimetière. Mais non, répètes-tu, Ce n’est rien d’autre que la pluie.
(Il semble pourtant que le monde tombe plusieurs fois par jour, ici-bas : le Sud se meurt, le Nord s’y ment ; des ruines rutilantes pleuvent comme des portes de prison ; l’espace, apprend-on d’unanimes sources, est une enclave grave et rétrécie)
Etc.
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