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Seriatim 3 - [in "Seriatim"]
Seriatim 3 - Vous exigiez un théâtre populaire... (Patrick Cintas)
[E-mail] Article publié le 7 mars 2021. oOo Sifflement du train. L’air bouge, comme à Venise Sous l’influence des cheminées. Le Westinghouse décomprime plusieurs fois. Les attelages se détendent puis se rapprochent. On entend les caténaires comme sous la pluie. Quelle poésie le chemin de fer ! Soudain le sycophante se réveille d’un sommeil Vieux comme la guerre : « Alerte rouge ! Alerte rouge ! Quelqu’un (je dis bien « quelqu’un ») Est descendu du train alors que LE CHEF DE GARE …un arrêt technique est en cours ! RÍO Hilare Vous exigiez un théâtre populaire Si vivant que la Mort n’y reconnaît Plus ses petits / et bien voilà il arrive Au moment où on ne s’y attend plus. Nous passions vous et moi dans la rue. Il était nuit ou elle allait tomber / mort Tranquille du jour après le gagne-pain. Votre bras était nu et vos cheveux au Vent, car il ventait ce soir et nous étions Pressés de rentrer / soudain : illumination Comme si on venait de réinventer la Poésie / « On entre ? » / pourquoi pas pénétrer Dans cette ombre ? On y communie De pain et de vin comme ailleurs / Et au passage nous saisissons d’autres Mains :: : nous avons l’habitude d’être Seuls quand l’heure n’est plus l’heure. Tout le monde est d’accord là-dessus. Mais quel désespoir installe les substances À la place de la pensée ? / nous entrons Entre les autres / nous trouvons notre Place / nous nous excusons un peu avant De nous asseoir / quel lieu ! quelle vie ! « Et ça ne coûte pas cher ! » ô voisine Qui connaît le texte par cœur ! Pas cher Et souvent / « je les adore » / nous adorons Avec une telle facilité ! / tu as dit : « théâtre ? » Autour de nous : la communion en cours De formation stellaire :: : « jamais venus Avant… ? » / « initiez le nouveau venu car il savait avant de venir » / chaque Chose à sa place :: : plus complexe qu’un Livre qu’on ouvre et referme / « on entre et on sort :: : mais c’est plus :: : complexe / — sans doute parce que nous sommes plusieurs et non pas deux — ou seul des fois :: : le désespoir aux mors :: : vieux cheval sans jeunesse ni enfance / qui vient ? » / peut-être un auteur en va Drouille / qui sait ce que nous réserve La mort ? / interminable glissade sous La pluie des avenues / trottoirs des pas Et des attentes / « jouons maintenant ! la mémoire du texte n’attend pas ! » — vous le vouliez tellement, ce théâtre ! Nous sommes tombés dessus, ensemble. Entre la chambre et la chambre, carré Limité par ses affiches racoleuses / Métier de perroquet / le décor descend Du ciel avec les sacristies de la douleur / qui a la chance de rencontrer son Semblable ? Entrez et sortez au lieu d’aller et venir ! Entre rien et beaucoup / cette similitude Que tout le monde n’a pas la chance De trouver en chemin :: : « je te reconnais » Chroniques préparatoires du roman À venir / faute de poésie tu sors pour Ne pas rentrer / au bras nu plié comme L’équerre d’une branche qui a porté Ses fruits en un temps plus dur encore / tu voulais un spectacle et même Le renouveler autant de fois que la vie Dure / un soir de promenade digestive / incapables de martyriser le corps / Au contraire fuyant les jeux de rôles / de quels dés le poète se sert pour Compter les jours et soustraire ses Nuits ? / « comme la poésie serait belle si je ne l’étais pas avant elle ! » — Nous entrons dans la crypte ou Adyton — fragment d’un sanctuaire Revu et corrigé par le Ministère / « avant, j’étais… oh ! tu sais très bien ce que j’étais ! » / je l’étais moi aussi / donnez aux enfants les moyens du Suicide / dites-leur : c’est possible / Un jour (tu verras) la vie deviendra Insupportable et tu t’en prendras À elle plutôt qu’à toi / et vice et versa / avec ou sans enfants à la clé : mal Engagés dans la serrure du temps / « qui est derrière la porte ? » / signe D’un lieu / où se signer / singes faux Des portails monumentaux / le soir, À la tombée du jour, les avenues Ruissèlent de bonheur / la vitesse Acquise est un paramètre à saisir Quand il est encore temps / glissades Entre les feux / courbures perspectives Des ponts / « j’écrirai un poème sur ce qui arrive au théâtre à cause du texte » / je sais que tu l’écriras : vitrines closes Avec illuminations en découverte noire / instruments et rejets au bas des murs / des flics veillent / des témoins gisent / de l’orteil aux cheveux l’exploration Constante de la douleur changée en or Par le miracle des crépuscules / « un jour tu sauras :: : mais il ne sera plus temps / disant ah merde si j’avais su » / l’œil Aux aguets / la chair tremblante / sang Pour sang / territoires avant rideau / « comme la poésie devient difficile quand on ne l’écrit plus ! » / tu étais Là :: : pourrais-tu dire en entrant dans La chambre du mort / « quelle famille de suicidaires ! » / en quelle époque Distincte de l’enseignement de l’Histoire ? Ainsi les petites tragédies bukowskiennes / en trois vers trois secondes / une de trop / « si c’est là que tu veux entrer, entrons ! » Boniche pour commencer :: : ou jardinier « ça tourne rond ou ça ne tourne pas / rien entre Racine et Bukowski / rien passé ni à venir / vous pouvez sortir d’ici si ça vous chante :: : ou attendre que ça arrive / le texte n’est pas un théâtre :: : le théâtre n’est pas un texte / le vers se tortille en prose / (sérieux et sec) je vous aurai prévenus ! » (un temps que le sycophante met à profit pour se plaindre) Assez de théorie ! Passons à l’acte ! En effet (dit le chef de gare) quelqu’un Vient d’enfreindre la consigne pourtant Clairement exprimée par ma propre Voix ! Il faut toujours que ça m’arrive ! Et ça n’arrive qu’à vous (dit le sycophante un peu chatouillé par d’autres occupations) ajoutant si je ne me trompe pas… Quelqu’un, c’est vrai, quelqu’un que je connais (continue Río) De longue date :: : remontons à l’enfance près De la mer, avec le pied des montagnes au cul. La terre s’arrête là, constata plus d’une fois L’ami qui voulait toujours aller plus loin, pieds S’enfonçant dans le sable et la marée montante. « mais nous sommes au théâtre, Río ! tu ne peux pas fuir par la porte :: : la seule issue est dans le texte ! » / comme si je ne le savais pas / mais Ton bras est nu : sur l’accoudoir nu comme un vers Que la prose revisite en étrangère au pays : quel Toxique me dispensera d’y penser et d’agir En conséquence ? / qui, malchanceux, n’a pas Rencontré son semblable (à un poil près) ? Un soir de lune et de soleil / un de ces soirs Sans inspiration / tenant ferme le bras nu Qui ne s’oppose pas :: : entrée des artistes :: : un cupidon salue bien bas / jambes aigres D’une hélène / « vous poussez la mauvaise porte :: : tirez plutôt celle-ci » / et en effet : Nous entrons / nous prenons place / orientés Dans le sens du spectacle / « sinon à quoi bon ? » Comme la vie est légère quand elle ne pèse Plus rien ! / — « un jour, je dis bien : un jour (or, il est nuit à cette heure divertissante) tu me remercieras… » / « suçons ensemble la pastille prémonitoire » / « tu le reconnais ? » / « ? » / « hier… chez Blanco… Nera… tu l’aimes bien :: : ne dis pas le contraire ! » / Or :: : je le disais / mais ce n’est pas le sujet De ce spectacle Oh ! vivant ! Oh ! qu’il vive Tant que nous sommes de ce monde / Oh ! comme j’aimerais être et exister Ailleurs ! / d’ailleurs j’y vais si tu n’y vois Pas d’inconvénient / « moi ? inconvénient ? moi si seule ? moi abandonnée ? théâtrale dis-tu / personnage plus que l’énigme qui tue son passant / Oh ! tu me connais si mal ! » (ici, le sycophante actionne l’aiguillage) Quelqu’un descend (ânonne-t-il) Alors que la consigne est claire (n’est-ce pas, chef ?) et le Temps (avec une majuscule) prend la place De l’action et de ce qu’elle prépare Pour y mettre fin (à elle-même) / (s’adressant au chef de gare) Qui descend, d’après vous… ? LE CHEF DE GARE Distrait Je devais le savoir… ? Je ne sais pas ce que je sais. Sinon à quoi servirait les consignes ? LE SYCOPHANTE La consigne dit : « Personne ne descend du train… LE CHEF DE GARE Joyeux …car ceci est un arrêt technique ! » Je connais la leçon plus que par cœur (en bon comédien que je suis) LE SYCOPHANTE Mais la consigne ne dit pas pourquoi On s’arrête sans descendre sur le quai Pour prendre l’air ou autre chose… LE CHEF DE GARE Ce n’est pas le travail d’une consigne De dire pourquoi elle est ce qu’elle est ! LE SYCOPHANTE Et pourtant, elle est bien ce qu’elle est Et pas autre chose… LE CHEF DE GARE Circonspect Vous visez quelqu’un en particulier… ? LE SYCOPHANTE Hou ! Le voilà qui arrive ! Et en effet, Tandis que la brume revient installer ses approximations humides, Quelqu’un s’approche, Sur le quai déambule sans cesser de s’approcher, Noir de moins en moins, Sans lenteur ni le contraire, Sans tranquillité ni autre chose, Quelqu’un qu’on connaît ou pas : Il est trop tôt pour le savoir Avec certitude. Río recule. Le chef de gare et le sycophante campent sur leur position. BLANCO De la fosse Le moment serait bien choisi (et Dieu sait si choisir est exister) Pour composer, à la baguette, Une ouverture comme à l’Opéra, Histoire de signifier que rien N’est encore arrivé, rien de bon, Rien de dur à cuire sans l’athanor Cher aux poètes municipaux, tous Militants. Je propose une musique (si on peut appeler ça musique) Aussi proche que possible du cœur Même de la terre (car n’oublions pas que nous avons les pieds dessus et que rien ne dit que le ciel en est un) avec ses fusions, Ses magnétismes, ses voyages Au centre et ses peuples encore Possibles / une musique sans Mesure ni limite de souffrance, Une façon de s’infliger le plaisir Au lieu de le donner, une musique À soi, comme si on était seul Au monde, sans passé ni futur, Une seconde infinitésimale, nette Comme le tranchant d’un couteau Que la Gitane impose à l’amant D’un soir, soir d’été dans la sierra Qui se voit dans la mer à la Lune. Il soupire. RÍO Exaspéré Mais qu’est-ce que tu racontes, pauvre accessoire ! Ceci est un théâtre, pas un livre ouvert à la fenêtre. Cela n’est pas un ciel tout d’azur composé à la va-vite. Nous n’avons le temps que de l’action, pas de savoir Ce qui se passe et ce qui n’arrive pas de toute façon. Pendant ce temps (perdu) on attend un personnage. On l’attend parce qu’on a besoin de lui ! Sans lui Pas de tragédie à imposer au couteau de la Kalé. LE SYCOPHANTE Intervenant Et il nous faut aussi un lieu ! Sans lieu (je veux dire sans lui) Le personnage en question N’habite pas / je connais La question / moi aussi j’ai Écrit quand j’étais jeune / Et je savais d’emblée que Sans lui ni sa maison à Tanger Ou ailleurs : aucune histoire N’entre dans l’écrit pour ô Pour l’habiter / c’était avant Que je devienne un salaud… LE CHEF DE GARE Pas convaincu Parlez pour vous ! (citant) « Un arrêt technique est… » (regrettant amèrement) Mais personne n’écoute… RÍO Sûr de lui N’écoutez pas le temps qui passe. Mais voyez comme il passe, seul Sous les ponts ou dans un verre.
Ne serrez pas vos dents fragiles Ni ne sortez la langue pour la pendre. Tout est chanson si on y pense.
N’en voulez pas aux suicidés ni Aux morts des champs, parlez Plutôt d’oiseaux sur les branches.
Évoquez le matin si c’est le soir. Et s’il fait nuit (déjà) pensez à elle, Les fleurs de la rosée seront fidèles Au rendez-vous, croyez-moi sur parole. (il s’interrompt ou a fini, et précise que) Je ne sais pas ce qui m’a pris, De la Gitane ou de l’amant ! Ça m’est venu comme ça vient Quand on ne s’y attend plus.
Ma fenêtre n’entend pas les avions. Mes murs ne tremblent pas de peur. Mes coussins me reçoivent aussi nu Qu’au premier jour de cette existence Que je n’ai désirée à aucun moment De mon être, avec ou sans exemple.
Qui inviter si personne n’entre ? Qui racoler au niveau de la rue ? Que marchander en signe de soi ? Les dealers sont de bonnes gens, Mais le ras des murs extérieurs Est à l’intérieur de nos tombeaux. (il soupire comme entre Grenade et Motril) La vitesse est acquise ou la modernité N’est qu’un attrape-couillon, Blanco ! (se soumettant, échine ployée) Va pour un concert de fusions ! Notre Gor Ur veille au grain. Sa hune traverse l’immensité Verticale / Que la loi soit le seul principe ! Accords divers des instruments dans la fosse. Une soprano exerce son influence sur le mode. Puis se plaint de l’humidité. Alterne ainsi vocalises et plaintes. Blanco heurte son pupitre De sa baguette « magique » / Il dit Que personne ne prend plus le temps De danser dans la rue pour danser Dans la rue comme si le temps N’avait rien à voir avec les mathématiques. LE CHEF DE GARE Agitant son drapeau Ça devient compliqué, c’te histoire ! Je ne vois ni Gitane ni amant… Ça ressemble pourtant à un théâtre… Ou alors c’est un music-hall… On ne sait pas d’où on vient, À part de chez soi, Mais pour ce qui est d’aller On y va ! LE CHŒUR Con la barba de los Moros… Zim boum boum général ! Le silence s’impose. La baguette tapote la paume. Blanco songe à un cul. Il le tapote d’abord, Puis la fesse se contracte Sous l’effet de la douleur. Il entend le cri (de plaisir) Et un en pousse un autre D’une voix de stentor. La soprano apparaît enfin, Dodue sur un nuage peint. LE SYCOPHANTE Hypocrite et jaloux Moi aussi j’ai chanté Quand la chanson Était à la mode. (il se souvient) Papa et maman dans le jardin De Federico García Lorca, Près de Grenade avec des roses Dans le ciel (car j’étais couché dans l’allée Que le poète arpenta si souvent) « Nous aimons tant nos fruits ! » Et que penser de nos couleurs ? Des hommes en armes surgissent (peut-être aussi des femmes) Et le sang se met à remplacer l’eau. (prenant les autres à témoin) Imaginez l’enfant que j’étais Avant de devenir ce que je suis. « Nos fruits ! Nos fleurs ! Nos balcons ! Nos allées d’ombre et de lumière Comme dans l’arène. Et maintenant il faut mourir ! Abandonner femme et enfant. Ne plus rien espérer de l’écriture. N’être jamais revenu sur le seuil. Comme le ciel est ciel ! Et comme la terre est mer ! Je savais que sans poésie La vie n’est que le manche du couteau. » Papa dixit. LE CHEF DE GARE Admiratif Je ne vous connaissais pas sous cet angle. LE SYCOPHANTE Maintenant vous me connaissez mieux… Est-ce que cela vous fait du bien… ? LE CHEF DE GARE Malheureux Ma foi je n’en sais rien… Quand je ne suis plus chef de gare, Je suis un cheminot comme les autres. Mais je n’habite pas aussi loin que vous. LE SYCOPHANTE Souffrant vraiment Mon chef-d’œuvre mort-né ! À l’État civil cette notation : « N’a jamais eu lieu, personnage Inventé par la mort elle-même. » Il me restait, comme à tout le monde, Le temps et l’écriture, par ouï-dire. Mais qu’en faire nom de Dieu ! Vous êtes-vous à ce moment-là Posé la question du chef-d’œuvre ? Je suppose que non… LE CHEF DE GARE Interloqué C’est une question… ? LE SYCOPHANTE Je n’en pose jamais, Mais j’y réponds souvent… LA SOPRANO Soudain ! Quel poète parle de moi ? Quelle voix imite la mienne ? Est-ce que je peux commencer ? Elle s’avance vers la fosse sans y tomber. Le public fait « oooh ! » car il y a cru, À la grande satisfaction du metteur en scène. On voit nettement le « personnage » qui est descendu Sans permission expresse De la part de la seule autorité LE CHEF DE GARE Solennel Moi ! compétente en matière de décor ferroviaire. « Comme le monde est petit Vu d’ici ! » Passage du mode mineur au majeur. Le cœur retrouve de sa vigueur. Applaudissements, discrets toutefois. Puis place au silence qui précède Les grandes interprétations. RÍO Angoissé Ils veulent du spectacle et Ils ont de la poésie avec L’attente qu’elle suppose. Elle aime se suspendre Aux lèvres cependant. « Chuuuuut ! » (singeant) « Qu’il se taise à la fin ! On n’est pas venu pour ça ! On a payé ! On en a mal ! Mais ne sommes-nous pas Ce que nous sommes ensemble ? Tellement différents de l’autre ! Si proche de l’idée de Dieu ! Qu’il se taise à la fin ! Nous n’en pouvons plus ! » Mais qui peut en ces temps De bonheur à la clé ? Rêvez de posséder Et vous perdez un proche. LE PUBLIC D’une seule voix C’est nous qui décidons ! L’Armée n’a pas de sens Si on n’peut plus chanter En goguette ou ailleurs.
Puis nous avons le temps. Et Dieu entre avec nous Dans le temple associé Au meilleur de nous-mêmes.
Voilà qui est bien fait, Bien pensé, bien à nous ! Nos enfants seront fiers, Mêm’ quand nous seront morts !
Héritez la maison, Prenez meubles et joies ! Nous somm’ venus pour rien Mais ça valait le coup !
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