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Quelques entretiens avec Patrick Cintas
Marta CYWINSKA

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 Article publié le 14 février 2008.

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Marta CYWINSKA
Le rêve en action

Ta poésie, c’est la surprise au bout du texte. On est frappé par ta facilité à dire différemment ce qui pourrait se dire beaucoup plus longuement.

En commençant à écrire en français, je me suis fait emprisonner dans un enchaînement de surprises, en sortant du cocon de ma langue maternelle, je me suis laissé déchirer, battre, souffrir, provoquer pour pleurer, mais c’est une des plus sublimes souffrances. J’éviterais peut-être de chuchoter le mot « facilité », car d’après moi, il n’y a aucune facilité dans le fait de « crisper » les mots : mais par contre, cet acte a une dimension thanatologique et annonce la peur devant la fragilité constante des mots qui les mène vers la mort. Dire de trop, c’est maltraiter les mots, leur donner un coup de pied vers les temps du Marquis de Sade. Et puis, pour revenir à cet aspect thanatologique de l’acte de la « facilité » poétique, je dois avouer qu’écrire en raccourci, c’est mourir chaque fois qu’un poème se met au monde. C’est une confusion quasiment fanatique entre l’acte de mourir et de naître.

Tu écris directement en français. D’où tires-tu cette richesse ? T’arrive-t-il de rêver en français ?

Écrire directement en français, ce n’est pas une question de choix, mais un élan qui me domine. Un de mes maîtres, Émile Cioran, a dit que si un texte n’existe pas en français, il n’a aucune valeur. Cette richesse m’a appris à m’éloigner des biens matériels… donc il ne s’agit pas d’une richesse, mais d’une soif constante des mots, d’une gourmandise presque maladive qui me mène de plus en plus vers une boulimie verbale. J’assume des mots en ruisseaux qui sortent de moi en cascade. D’ailleurs, tous les surréalistes jouent aux personnages borderline, à condition que l’Autre respecte les règles de jeu en interdisant l’entrée de la poésie dans la vie quotidienne. Mes rêves… ils semblent sortir d’un dictionnaire onirique franco-polonais, d’un bestiaire des êtres revêtus d’une énorme peau de loup parlant français et de la tête d’une licorne en pourpre…

Qu’est-ce qu’un livre pour toi ? Une réponse à l’homme ? Il ne semble pas que tu t’en prennes à l’homme comme on jette un livre.

Un livre constitue toujours une partie de moi et chaque fois je me fonds dans un livre… Je ne fournis pas intentionnellement des réponses aux hommes, car leurs questions annoncent souvent des réponses intégrales. L’accomplissement a complètement remplacé l’attente. Chacun de mes livres est une preuve de mon angoisse devant les limites – totales et définitives. Pourquoi ne pas cacher qu’un livre est à la fois une double vie ? Une mise en lumière de l’Ombre « attrapée » par Carl Gustav Jung. Puisque la mort impose toujours une nouvelle forme, la vie, chacun de mes livres me donne un (faux) espoir de savoir enfin distinguer la fascination de l’amour, de savoir continuer à être scientifique et poète ; qu’on peut salir la mémoire en tachant de la nettoyer, de piller une image idéale de l’Homme en se vengeant — en littérature. Ce sont les hommes qui jettent les femmes-livres dans la poubelle, ayant lu seulement leur couverture…

Comme la plupart des femmes qui écrivent, c’est l’héroïne qui se dessine page après page dans tes livres. Quelle est la part de ressemblance avec toi-même ?

Je n’ai pas envie de faire semblant de jouer au martyre de Sylvia Plath, d’autant plus que Ted Hughes était en tête de mes premières lectures conscientes de la poésie. Et même si un jour j’essaie de dire que je ne suis pas Première nudité ou Astrolabe, ne me croyez pas, je brûle d’émotions à chaque mot écrit. L’expression « part de ressemblance » n’existe pas dans mon vocabulaire personnel – je suis au noir où je subis une cécité momentanée en pleine lumière, quoique – pour rester dans les émotions de l’oxymoron — la pleine lumière en poésie n’entraîne jamais une illumination (rire).

En France, nous ne connaissons pas tes livres publiés en Pologne ? Peux-tu nous en parler ?

Je ne cesserai jamais de souligner en moi ce dédoublement franco-polonais que je ressens parfois comme de plus en plus traumatique. En Pologne, une suite de mes recueils de poèmes a vu le jour entre 1991 et 1997 et cette période représente dans ma vie ce que j’appelle la « tentation de la maturité », donc des poèmes purement autobiographiques où me voilà en flammes (rire), inaccomplie, prête pour une éternité entière d’esclavage pour se faire aimer, puis mes premiers désirs néosurréalistes n’ayant rien de physique, plus un roman poétique intitulé « Collage » accompagné déjà d’un long poème sur la Bretagne en français. Les années 2002-2007 apportent trois livres suivants avec une révérence devant les archétypes et les symboles « épinglés » dans le langage pur de la science (« Boulimie émotionnelle  » — un recueil d’essais inspirés par la littérature, la psychanalyse et l’anthropologie culturelle, « Manufacture des rêves » - étude de l’influence du surréalisme français sur sur la poésie polonaise du XXe siècle et encore «  Les ailes au-dessus de la Transylvanie » situé dans les années 20 entre un Hôtel Ritz faisant semblant de se transformer en une Tour Babel contemporaine et la Transylvanie des poètes, des Tziganes, des vampires énergétiques que j’ai rencontrés dans une autre incarnation.

Quels sont les écrivains contemporains que tu fréquentes, par tes lectures, tes rencontres, tes recherches ?

Je m’interroge toujours sur le vrai sens du mot « contemporain » et je pense que mon cas poétique s’installe plutôt dans la modalité « hors temporel »... Plusieurs de mes amis poètes, je les nomme troubadours ou trouvères, en « veillant » à l’influence de la culture du nord ou de la culture du sud dans leur création. Je mène surtout les disputes avec les poètes-Hommes, ennuyée par le narcissisme féminin dont je suis une des victimes (rire). Mais si je cite à cette occasion des noms de poètes enragés dans la discussion, d’autres que je n’ai pas cités vont se mettre en rage, car les poètes gaspillent des mots sans s’attacher à leur matière, mais en même temps un seul mot suffit pour leur faire du mal (mais avec les mots qui, eux, ne tuent jamais, non - rire !), donc par les lectures je reste du côté des surréalistes polonais Jan Brzekowski, Aleksander Wat, Malgorzata Hillat, Jozef Czechowicz, Halina Poswiatowska, des « autoanalystes » étrangers - Guillaume Apollinaire, Paul Eluard, René Char, Blaise Cendrars, Gisele Prassinos, E.L.T. Mesens, Anne Sexton, Gherasim Luca.

Dans la vie réelle, mes rapports avec les poètes et les écrivains sont souvent orageux, voire... boulimiques, donc je continue mes recherches plutôt sur les poètes et écrivains décédés...

Le surréalisme est manifestement pour toi un grand moment de la poésie. En quoi cette pensée, car c’en est une, agit encore sur le monde et plus particulièrement sur toi ?

Paradoxalement, le surréalisme me donne un sens de sécurité, le sentiment d’une présence réelle du rêve en action, d’être réveillée en plein cauchemar, de passer par une psychanalyse de deux sans présence d’un psychanalyste, de tomber sur les aiguilles rocheuses sans aucune intention de se jeter, de lutter contre une lassitude fondamentale qui passe pour un état pur de création. Pour moi , le surréalisme est un état d’âme très personnel, indéfinissable, las d’être trop défini et redéfini par les créatures qui n’ont jamais vécu même un instant de vie surréaliste, un engagement pour l’inaccomplissement, une ordonnance avec un omnimédicament contre tous les maux du non-vécu et sur le plan réel, je suis toujours tombée amoureuse du côté surréaliste des hommes... (rire)

Que souhaites-tu à la poésie ? Que souhaites-tu aux langues, à la tour de Babel, à l’Internet, à la femme ? En te lisant, j’ai l’impression que ta richesse, c’est le souhait plus que le désir. On te sent amoureuse sans instinct de possession et surtout sans intention d’être possédée par les… mirages.

Je souhaite à la poésie qu’elle soit encore désirée, aimée, attendue à l’heure de l’Internet, que les Poètes sachent maîtriser leur narcissisme et leur inaccomplissement, que la tour Babel se déconstruise patiemment, que les femmes soient plus féminines et que les hommes soient plus masculins, qu’ils sachent tous s’anesthésier avec les mots piqûres pour ne pas confondre l’amour avec l’obsession...

 

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