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Seriatim 3 - [in "Seriatim"]
Seriatim 3 - Ça va me faire drôle de continuer sans toi...
[E-mail] Article publié le 16 mai 2021. oOo Le rideau s’entrouvre et Río passe devant, hésitant toutefois. Il entreprend la descente par l’escalier. Il est à mi-chemin quand Blanco apparaît dans le rideau, disant : Je suppose qu’on ne te reverra plus… (un temps) Je m’étais habitué à toi, depuis le temps ! Ça va me faire drôle de continuer sans toi. Je ne sais même pas ce que je vais continuer. Comme si ça n’avait jamais commencé, vois-tu ? Je me sens dépossédé, pauvre même, sans rien. Hé ! Ne cours pas si vite : je ne te suis pas ! Je ne suis pas fait pour quitter les lieux. Je ne sais même pas ce que je rencontrerais Si je sortais de ce théâtre où je ne joue plus Depuis que je sais jouer : envoie-moi une carte Postale à ton arrivée : en admettant que tu saches Où tu vas : pas sans un détour par le passage À niveau : toute trace effacée : les feuillages Sont mouillés à cette époque : puis l’hiver Appelle un printemps sans nouveauté en Attendant que l’été bousille ces rêveries ! Mais tu sais déjà tout ça : pour l’avoir vécu Plus d’une fois : tel est ton personnage : fleuve Sans estuaire : à marée basse les roches noires. (se souvenant) Ah ! Tu oublies le sauvageon Arraché à la forêt de la qasida. Ce peu de terre Enracinée dans la chair sépulcrale : tu chanteras Si la musique t’inspire : aux tours des moucharabiehs Les pétales envolés comme autant de lettres. Que la terre est ancienne si on y revient ! Ne m’oublie pas, Río. N’oublie rien de cette eau. Tu nourris l’anguille musclée ainsi que la sèche Trompée / des couteaux s’ouvrent sous la vase / nous sommes de retour et pourtant c’est la mort Qui arrive avant nous : comme autant de pétales Emportés par le vent ou les possibles ruines d’or Fin : je ne te retiens pas : j’ai mon job ici : peur De tomber plus bas : en coulisse les fruits amers ! Parlons pour ne pas agir contre ce que le soleil Éclaire de sa lente extinction. Parlons d’écrire Sans faire d’histoires : terre vieillie de trouvailles ! Heureusement que tu n’es pas un personnage ! Traverse l’orchestre en son milieu vaguement Oblique : les battants immobiles frémissent : Qui empoigne la poignée pour te laisser passer ? Tu ne verras pas ces yeux comme tu n’as jamais Vu les miens : ni ceux qui se souviennent de toi. Dehors, c’est la nuit : et la nuit, ici, c’est le jour Ou sa promesse : selon le spleen en vigueur / Je vois ça d’ici : ta lenteur de récit en attente De chute : les animaux te suivent à la trace : Tu rencontres le fleuve pour la première fois, Toi : fleuve sans terre : quel village se nourrit De ton œuvre ? (un cri) Attends, Río ! Je n’ai Pas fini : ne t’en vas pas avec mon ébauche ! Mais Río descend encore quelques marches. Il a la tête baissée. Comme il n’y a pas de rampe, il oscille. On entend son murmure, mais rien de plus. En haut de l’allée centrale, la porte cliquète. « Ce n’est pas la bonne clé, je le sais bien… Je pars pour ne pas en dire plus. » Il atteint le plancher. Blanco continue : BLANCA Les sentiers de jadis sont devenus des routes D’asphalte et de panneaux ; mais l’âne suit Son âne sous le ciel blanc ; une rose tache Le vert entre les murs ; nous étions heureux ; La vieille poésie cheminait en poussière d’or ; Les enfants suivent ; ni silence ni voix, l’amour ; Je ne te retiens pas ; je ne reviens pas non plus ; Planches disjointes pour l’œil ; dalles aux joints De sable ; le seuil se creuse encore chaque jour ; Mais je ne connais plus ces nuits ; trilles têtus ; Quel chemin de la mélancolie à la tristesse ! Monte puis descend ; souffle aux angles morts ; Rature de la pointe de son bâton ; une figue Éclabousse ; l’or des surfaces conquises par La copla ; qui revoit qui en ce moment ? Je Suis ce que le refrain veut de moi ; n’oublie Pas ; l’Arabie plus que tout autre sainteté ; N’oublie pas que tu es venu ; personne ne T’attendait ; fleuve des lits, histoire des nus ; Aux rayons se partitionne ; tu ne sais plus Qui est qui ; mais il n’y a plus de personnages ; Cousins et cousines du vieil horizon couchant ; Ni pleur ni même douleur ; comme si l’esprit Possédait les lieux ; rien n’est joué d’avance ici Bas ; rien ne se joue à deux ; de l’impression Nulle trace savante ; quelque chose entre Plaisir et douleur : sans nom par l’entremise D’une poésie acquise et non pas retrouvée ; N’écoute que les possibilités de mes formes ; Le jardin recueille les tons ; coule cette semence À la tangente des escaliers ; si j’écrivais, Río, Au lieu de jouer, la mer ferait de toi un nouvel Ulysse ; nous attendons l’automne et ses pluies Torrentielles ; la terre une fois encore ravinée Jusqu’à l’os de la vieillesse ; racines visibles Enfin ; puis ta main lisse la terre des châteaux ; N’oublions pas ce qui se perd autrement ; Ta vague déferle contre le parapet ; sel des Os ; nous avons aimé une fois ; éternité. Et c’est signé : Blanca. Classiques accords comme la pluie, dit Río En réponse / il remonte l’allée avec l’ouvreuse / il la tient par la taille / « ne soyez pas triste » « si le public était là, mon pauvre ! » Blanco chante ce que Blanca joue sans lui. « vous oubliez la conduite » « je ne sais pas ce que j’oublie » « rien ne pousse ici ! on se sent seul ! » Après l’horizontalité, l’écriture essaie la verticale Des planchers. « je ne sais pas si je pars… si ça se fait : je sors. » Il la tient toujours par la taille Et elle se laisse conduire, agitant sa lampe. « par ici » La clé inexplicable autrement / dans la main. N’ouvre qu’une porte lointaine, oubliée. Elle pousse avec le pied la porte du présent. Il ferme les yeux comme si la lumière… « mais il n’y a pas de lumière » « on ne sort pas à n’importe quelle heure » Voix autour de soi : en représentation. « je ne sais plus ! » Et se jetant sur ses genoux, il enfouit sa tête entre les cuisses. C’est ainsi qu’il étouffe son cri. « qu’est-ce que je fais maintenant ? » Elle agite sa lampe. Les fresques s’animent. Les statues de plâtre. Les mains courantes. Le velours des seins. « je sais que je vais mourir avant de savoir vivre » « je ne me suis jamais senti aussi seul » « et moi donc ! » Dès que l’image s’anime, elle appauvrit le sens, Dit quelqu’un au passage. Et Río dit en réponse : Combien de fois ai-je pensé avoir atteint Le bout du chemin, à l’endroit où plus rien Ne dit son nom ? Une fois l’an, en hiver ? Ou autant de fois que je suis sorti de chez moi ? Rien ne ressemble moins à l’intérieur que l’extérieur ! J’aurais dû choisir un autre métier ! Mais Je n’ai pas choisi : il faut être dedans pour Regarder dehors, plate tautologie de l’être Qui n’a pas encore trouvé les moyens d’existence. Penché comme à la fenêtre, ne voit pas Que la vitesse est relative : s’imagine Qu’il est déjà venu : avec d’autres temps. Un métier d’homme. Des outils d’encyclopédie. L’odeur de l’atelier. La sueur des autres. Vivre ! Au lieu de hanter les lieux. Entre au théâtre et N’en sort plus : « tu joueras ou tu seras joué ! » Pas d’autre choix après l’éducation en croix / Et une fois dehors, l’intérieur est bourgeois : Tiède comme l’eau des fontaines andalouses ; Lent comme ce qui ne se raconte pas ; exsangue Mais de chair ; avec un enfant en guise de clé !
Jette les pierres par-dessus son épaule, À l’aveugle : devant le temps ouvre ses Cuisses / qui installe les crépuscules si Ce n’est Dieu lui-même ? Mais Dieu n’a Pas de nom : l’homme en a un / femme En puissance : prisonnier de son sang.
Pierres empruntées ou volées aux chemins. Au passage des seuils et des propositions Commerciales ; j’ai appris votre langue Pour ne pas vous perdre : comme si l’or D’un scarabée avait de l’importance !
Ces arrachements laissent des traces ! En filigrane une véritable histoire d’homme. Si l’homme est la femme et l’enfant L’homme lui-même : j’aime la poésie De vos clôtures / nous autres herbes Des prés et des sous-bois : animaux Pris au piège du cercle infini, infini !
Que l’aphoristique l’emporte sur la voix ! Si ça vous chante et si c’est là que vous habitez. Je passe mon chemin sans m’oublier. Jusqu’où ? À quel endroit qui ne soit pas Une chambre d’hôpital ou la place du mort ? De quelle chandelle me parlez-vous ? BLANCA Gémissante Nous n’étions pas loin de connaître le bonheur. Encore une trace infime et le fleuve se jetait à l’eau ! RÍO Seulement voilà je n’étais pas fait pour me jeter ! BLANCO Tu le reconnais enfin ! Il a fallu attendre ce moment Heu… tragique : pour que tu admettes la… chose ! Mais je n’en dis pas plus : de peur d’en dire trop. RÍO Qui était-elle alors que je ne savais pas qui j’étais… ? BLANCO Récitant Le voilà plongé dans son lit de verdure ! Ô cresson justiciable ! Eau potable des maisons possédées par actes notariés. Nous étions amis autrefois. Et nous le sommes restés longtemps. Mais les rêves nous ont séparés. J’étais ce que je suis Et il n’était pas là. Voilà toute l’histoire. Nous n’avons pas fait la guerre, Pas pensé une seconde à notre pays Et à ses filles de terre et d’os. On perd son domicile dans ces conditions. Le gendarme se méfie de vous. On vous empêche de voter comme les autres. Les vitrines deviennent des théâtres chinois. Les portes redeviennent cochères. Les jardins se peuplent de chats morts. Qui hulule n’a pas de hibou en tête. (se reprenant) Le voir presque mort, À une porte près ! Si c’est pas triste ! Après tant d’années communes ! Moi la fille et le garçon ! Le joueur et la jouée ! Et lui sur le devant de la scène, appris par cœur Par on ne sait quel lauréat ? Qu’est-ce qui tient encore debout après ça ? Nous étions trois si je suis double. C’était son bonheur, cette trinité. Sa voix en dépendait. Sa voix de fleuve tout juste en partance. Moi comme jardin d’Alhambra Et elle comme chant profond. Quel comédien mieux servi ? Et il s’en va maintenant ! Il est à la porte. Le tapis est éclairé. La rue s’annonce par ses affiches. Son dos immense est perclus de douleurs. Inscrivez la douleur comme graffiti ! Les bons textes s’écrivent sur les murs, À la campagne comme à la ville ! Bientôt l’oxygène de Mars sera respirable et utile. Nous ne savons pas où nous allons mais nous aimons notre passé. Il y a toujours une fille pour le dire.
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