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Musardises
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 Article publié le 30 mai 2021.

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Et tes huit sœurs, ma muse ? Elles battent le beurre…

Le beurre ? Garce, mets-m’en dans les épinards !

La Poésie, balourd, que je sache est un art.

J’en parle à Cros, à Fort, à Carême, à Fombeure.

 

Plutôt que de souffrir mon mal de bar en bar,

Je préfèrerais être encore occis tout roide,

Devenir sur-le-champ un tas de viande froide,

Un paquet d’os à moelle à jeter aux clébards.

 

J’ai une tirelire, une boîte à Perrette,

Une grenouille verte, un cochonnet verni,

Un esquipot friable, un tronc de fer béni,

Un chapeau de mendiant et une turlurette.

 

Je tombe de mon poids, sur le dos, de mon long,

De la lune, des nues, de la poêle en la braise,

De Charybde en Sylla, mon nez est une fraise,

Mon habit bariolé, je scie un violon.

 

 

 

La romance à deux liards, t’en as plein ton musette !

Les danseurs ne sont qu’un cœur, qu’une ombre, qu’un corps ;

Tu les envoies valser dans l’envers du décor,

Mon vieil accordéon qui connut la disette.

 

Pour le plaisir, ma muse a cassé son sabot ;

Pour cacher sa rondeur, la typesse se sangle.

Mes petits coups de râpe arrondissent les angles,

J’empoigne rarement la scie et le rabot.

 

On écrase mes doigts, on brise ma guiterne,

On me chante ma gamme, on me hoche le mors,

On me troue dos et ventre, on me laisse pour mort,

On me pend dans la rue de la Vieille-Lanterne.

 

C’est au pied de son mur que l’on voit le maçon

Et sur son échelle et dans les échafaudages.

Guillaume ne veut plus refaire son bandage,

Sous le pont Mirabeau, j’écoule ses chansons.

 

À propos de maçon, bonjour, bonjour gamate,

Truelle, fil à plomb, niveau à bulle d’air.

Nos aïeuls, rescapés de cette der des ders,

Coupent leurs cartes dans un trou de casemate.

 

 

 

Partout des avaleurs de charretons ferrés,

Partout des las d’aller et des dévots de place,

Partout des gladiateurs, partout des lovelaces,

Partout des déterreurs, partout des déterrés…

 

Ma muse, tu n’es pas neuve dans cette tâche,

C’est par flemme que l’on donne dans le godan 

- Nous sommes après tout un peu moins regardants -,

Excelle à me lisser la plume et la moustache !

 

Je peux porter jusqu’à une tonne au pesant,

Une tonne de plomb, une tonne de plumes.

 Je ne veux être ni le marteau, ni l’enclume,

Cela je l’aurai dit depuis mes jeunes ans.

 

Osiris ? Il aurait inventé la charrue ?

À la barbe et au nez de nos tristes catons,

Buvons, buvons le bon vin de tous nos cantons !

Et revenez à nous grues et coquecigrues !

 

Je taquine l’ivoire et joue de l’olifant.

La fille du tabac, elle, avait tout pour elle.

J’ai gardé le caillou des parties de marelle,

Aller au paradis n’est pas un jeu d’enfant.

 

 

 

Je ne suis pas venu pour essuyer les plâtres,

Pour rabattre des clous, pour taper le carton,

Pour filer du joli et du vilain coton,

Ni pour suspendre la crémaillère dans l’âtre.

 

Une perche, une brosse, une seille à empois,

Un pinceau, un grattoir de placardeur d’affiches,

Gobe-mouches, badauds, je vous colle une fiche.

L’échelle… L’attirail pèse de tout son poids.

 

Dans ce quartier, la nuit, des bandes se saboulent.

Je crèche entre des murs barbouillés à la chaux.

J’ai une casserole, une poêle, un réchaud…

La sauce à pauvre homme, eau tiède, sel et ciboule.

 

Mystère, Eugène Sue, je sue dans mon harnois !

Ce n’est pas le moment que Paris nous ramène

Ses chantres, ses sorgueurs, ses faux énergumènes,

Ses marles, ses putains, ses vieux airs à la noix…

 

J’ai voulu rendre hommage à un du mont Parnasse,

Un qui comme mézigue a gâté le métier.

J’ai eu affaire à la veuve et aux héritiers

À cran pour deux andains, trois goulées de benace.

 

 

 

Remettre dans le vent un monde renversé ?

Il s’agit de vouloir que tout cela se fasse.

Si n’en voulez pas, vous autres, je m’efface

Et retourne en chantant dans mes pans de passé.

 

À la saison d’hiver l’Académie défile,

Les vieilles peaux, les vieux pots du quai de Conti

Petit à petit ont perdu leurs appétits

D’ogres, d’écornifleurs et de bibliophiles.

 

Je dis à bout portant ma façon de penser

À ces renouveleurs d’anciennes ritournelles,

Aux chantres à tous crins, aux crincrins des venelles.

Chaque fois, Il me reste à tout recommencer.

 

Une mule et un saint Antoine de Padoue

En face du pucier d’un taudion montmartrois

Où j’abuse de ma muse deux jours sur trois.

La garce me les pèle et me les ramadoue.

 

Je me suis fait écrire aux portes de l’Enfer ;

Chaque fois que je viens, je trouve porte close.

Sont là des pauvres gens d’une Bible sans gloses,

Je ramasse des croix et des spectres de fer.

 

 

 

Je suis né avec un fond de mélancolie

Que je délaie dans des verrées de remontant.

Je m’éloigne un peu des bords herbeux de l’étang

De derrière chez nous et de ses embellies.

 

Je vous revois tous en chair, en âme et en os,

Nous sommes toujours là treize autour de la mense ;

Vous me reprochez mes pitiés et mes clémences

Comme à Rhadamanthe, à Éaque et à Minos.

 

Comment ça va ? Comment allez-vous à la selle ?

Comme ça… Un jour dans l’autre… Ni dur ni mou.

J’ai parfois dans le bide un semblant de remous,

Des épreintes pardi, quelquefois me harcèlent.

 

Je suis un barde, il faut que vous vous y fassiez,

Puisqu’un monsieur Jourdain touche à la Poésie.

Je n’aurais pas pu prendre un nom de fantaisie

Pour tant soit peu cacher ma face et mon fessier.

 

Je rêve… Un coutelas sautille à ma ceinture,

J’arrive chez la mère aux gaines de Moulins,

Il ne s’en faut de peu que les pots ne soient pleins,

Les petits de beurre et les gros de confiture.

 

 

 

De loin, c’est quelque chose. Et de près ? Ce n’est rien.

De loin, que de cercueils, de près ce sont des barques

Que rament un Caron, un Deucalion, des Parques,

Un Noé, des passeurs de mots, des grammairiens…

 

Je gaspille mon temps et mes économies

De bouts de chandelle et de boulets de charbon.

Je ne prends plus la balle entre volées et bonds,

Mon coucou me chante et les quarts et les demies.

 

Pour en finir avec les quarante horizons,

J’ai bouché toutes les vues de ma tour d’ivoire

Et qu’enfin, je déroule en quelques années, voire

En un semestre, toute une vie, ma saison.

 

Ce cécube vieillarde, il est temps de le boire.

 À nos chers disparus ! À nos vivants en mer !

À nous tous qui mâchons doux et crachons amer !

Du bâton à ceux qui calent des attrapoires !

 

Des fleurs, du vin… Flore et Bacchus, je loue vos dons !

Que serions-nous sans vous, sans vos fêtes galantes ?

Des tristes cortégeants, une troupe bêlante,

Des assoiffés errants sans contes, sans fredons.

 


 

D’un poil du cul certains en font tout un chapitre,

Une touffe, avons-nous un épais manuscrit ?

Un bouquet, la forêt ne pousse qu’un seul cri.

Moi, je n’en fais qu’un lai, qu’une concise épître.

 

Une part, une grosse et du mousseux mouillé ;

Elle a eu les santons et moi, j’ai eu les fèves.

Tout un hiver à nous nous inventer des rêves,

À jouer à la reine et au roi dépouillés.

 

Jamais saint de pays a fait un tel miracle,

Changer le pain en pierre et le picrate en eau.

J’ai offert à mes feux, ma huche et mon tonneau.

Je ne suis plus qu’un air que nul archet ne racle.

 

L’une a la renommée, le bruit, prend du galon ;

 On ne voit que par elle et l’autre raccommode,

Lave, repasse, coud, ne sait rien de la mode,

Fait bouillir la marmite et frotte les malons.

 

Tandis que Notre-Dame égrène ses rosaires,

J’ahane sans foi sur tous les chemins de croix,

Émigrant, émigré dans le mauvais charroi,

Je bondis à pieds joints sur toutes les misères.

 

 

 

Je tonne sur les choux, sur les topinambours,

Sur les rutabagas et sur les betteraves. 

Je pète et contrepète encore sans entraves ;

Je suis de plus en plus friand de calembours.

 

J’aurai perdu mon temps à user ma salive ;

Comme Byron, en mes poèmes je me peins

Et ma plume se change en pinceau de rapin,

Ma page est une toile imbue d’huile d’olive.

 

Va, qu’on le veuille ou non, vrai, tout a une fin,

Même les haricots, les choses insensées.

Je crois encore à la violette, à la pensée,

Mais je n’aurai crié qu’à la soif, qu’à la faim.

 

Mon navire en aura charrié de la toile. 

À la poupe, Sinbad, fillasses et garçons,

Saisis de haut-le-cœur, nourrissaient les poissons ;

À la proue, je pestais contre ma bonne étoile.

 

Je suis la girouette en fer blanc du clocher,

Cloche, trompe et tambour de bois de mon village.

Je suis le seul ici qui n’ai pas pris de l’âge.

Je passe pour avoir âme et cœur de rocher.

 

 

 

Mon héliconiade est de moins en moins sorteuse,

De ses débordements, j’en avais la primeur,

Nous nous accommodions de toutes les rumeurs,

Elle était toujours là, attentive écouteuse.

 

La planète a été plusieurs jours sans virer

Au su et au vu des colporteurs de nouvelles ;

Je me suis remis à tourner la manivelle

De mon orgue barbare et à reberlurer.

 

C’est assez musé ! Fi, fi des nices promesses !

Je coiffe le bonnet d’âne de Buridan

Pour feuilleter en rêve un monde décadent

Où tout ce que je dis ne va plus au Permesse.

 

Que de comment, de quoi, de si, de mais, de car !

Je n’en dis pas autant des autres égéries ;

De vous, je n’ai rien à jeter à la voirie,

À la casse, au rebut, aux orties, au rencart.

 

Les sirènes, les seaux, les pompes et les manches

De Paname… On dirait le pin-pon des pimpons.

Le tintamarre était sur les quais, sur les ponts.

Mon échelle et mon pot à pisser ! C’est dimanche ?

 

 

 

Je ne suis pas du genre à plier les genoux

Sous une pluie de riz, d’encens et d’eau lustrale.

Réquiem, Te Deum, bourdons des cathédrales,

Tout ça, c’est vieux jeu, on ne s’en rit plus chez nous.

 

Je relis à voix haute une terrible Vie,

Des gros morceaux mêlés, des verselets badins,

Madrigaux côté cour, bouquets côté jardin.

Je vois sous les lauriers les serpents de l’envie.

 

Je ne suis même pas dans les petits papiers

Ni dans la bouteille à l’encre de la mairie,

Je vais, je vas, je viens, promis à la tuerie

Comme un traîne-potence, un comique troupier.

 

Je dirai haut et fort tout ce qui nous sépare,

Tout ce qui fait de nous autres des étrangers,

Tout ce qui nous rassemble au-devant du danger,

Tout ce qui nous détruit, tout ce qui nous répare.

 

C’est à nous de partir, on a fait notre temps.

Souvenons-nous, matafs, nous sommes de passage !

Je lâche prise avant que de devenir sage,

Rétrograde, ennuyeux et ancien combattant.

 

 

 

Je connais le fourbi, la combine et l’antienne.

Je n’ai plus l’âge bête à me laisser avoir ;

Qu’ils chantent, ces paumés, autour de l’abreuvoir,

S’ils s’y plaisent, ma foi, après tout qu’ils s’y tiennent.

 

On ne voit pas deux fois le rivage des morts…

Que de fois l’ai-je vu mon pauvre Jean Racine !

Pour autant, je ne veux pas y prendre racine,

Je n’en suis pas encore aux regrets, aux remords.

 

Ne vous en faites pas, je paierai par avance.

J’ai ma houppelande et mon masque à faire peur,

Je passe pour un gouin, un goujat, un gouapeur,

Vous craignez pour vos os et pour votre chevance.

 

J’ai déniché l’oiseau rare entre les seins ronds

Et blancs comme du lait d’une nourrice sèche.

De quoi avais-je l’air avec mon os de seiche,

Mes nœuds de vermisseaux, mes baies et mon mouron ?

 

Pasquin ne répond plus aux questions de Marfore,

Je retrouve à tâtons mes chants et mes chantiers.

Pierrot, la lune sait le tracas, le métier

Des hiboux, des loups et des chiens lanterniphores.

 

 

 

Pour épater ma muse et ses sept doctes sœurs,

J’allais jusqu’à porter, comme Atlas sur l’échine,

La voûte céleste et notre ronde machine,

Mais jamais un retour, un semblant de douceur.

 

Pour une pièce ou deux de savon de Marseille,

Une grosse, lourde et grasse pièce de chair,

La chevaucher fut l’un de mes vœux les plus chers.

On ne se la faisait à l’os, ni à l’oseille.

 

Mes rues, mes carrefours, j’y goûte des Vénus,

La Vénus hottentote et la manchote amène,

La Vénus callipyge et l’anadyomène.

Je ne pense plus à dire mon in-manus.

 

Vous êtes des douillets, vous êtes des mauviettes,

Bambins élevés dans une boîte à coton ;

Nous, les pauvres Poulbots, glaneurs de rogatons,

Nous en bavons des ronds de chapeau, de serviette.

 

Mil huit cent soixante et douze ! Ton chassepot…

Des boîtes de conserve et des oiseaux d’argile,

Des gueules de massacre et le groin d’un vigile.

Charge, épaule, vise et tire ! Manqué ! Repos !

 

 

 

Je n’aurai fait chanter, ni provigner ma vigne,

Même les miens ont cru me tenir en aboi ;

La soif, la faim, l’amour me font sortir du bois,

Sur l’épaule un fagot, au dos le sac de pignes.

 

J’affronte le haro, les huées, les hourras,

Les chevaliers du lustre, une clique, une claque,

Les piafs et les pigeons se saucent dans les flaques.

L’opéra a ses rats, ses petits pâtiras.

 

Tout nouveau tout beau, c’est plus tard que ça se gâte.

Après une semaine, on ne supporte plus

Le temps qu’il fait, l’ami, l’ange qui nous a plu,

Vérone et ses amants, Venise et ses frégates.

 

La pivoine, je lui préfère le pavot.

Qu’ont-ils, ces jardiniers, à vénérer les roses ?

S’ils ignorent mes vers, ils auront de ma prose !

Tous, nous ne tournons pas sur les mêmes pivots.

 

Je ne suis qu’un gratteur de papier et de lyre,

Je ne me lasse pas de retourner mes chants,

Quitte à fouir et refouir la terre de mes champs,

À labourer la mer, à être tout à l’ire.

 

 

 

Et voici venir ses pas sur notre chemin,

Celle-là vient toujours comme mars en carême.

Nous avions jusqu’ici remaquillé nos brêmes,

Rêvé du grand amour et de beaux lendemains.

 

Je pousserai jusqu’à la fin ma sombre histoire,

Allant tant bien que mal défricher mon roman.

Et puis, enfouïssez mon corps sans vêtements,

Mes plumes, mes Gradus, mes dés, mes écritoires…

 

J’apporte sans faillir de l’eau à mon moulin,

J’en reviendrai chargé de sa bonne mouture,

Une belle à mon bras, un banneau de friture,

Sur nos pas, une cagne et un fringant poulain.

 

 

Robert VITTON, 2021

 

 

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