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A une parole
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 Article publié le 18 juillet 2021.

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Petit cœur malade s’adonne à des addictions douces.

Petit cœur s’émeut encore parfois, pense à la mésange blessée recueillie dans la paume d’une main d’enfant et qui palpite d’angoisse. La douce chaleur dans ce creux douillet n’atténue en rien la vive douleur de l’aile brisée, et dans cette paume qui se veut salvatrice ce n’est pour elle qu’effroi.

Aimer, mais pour quoi faire ? Aimer n’importe qui ?

L’élue de petit cœur malade n’a pas les dimensions adéquates ni la surface requise.

Sur bien des points, dans le domaine des idées, par exemple, elle est toute racornie, elle fait songer à un vieux vélin chiffonné, tandis que la surface sociale et professionnelle de l’élue, en revanche, ne cesse d’enfler comme la grenouille de la fable.

Maintenant que tout le monde ou presque sait lire et écrire sans trop d’efforts, la parole se veut libre, et la majorité des écrivants écrit comme elle parle. La chose est entendue, c’en est fait du vidimus.

Audivimusrègne en maître incontesté désormais.

C’est le règne de la parole tous azimuts sur tous les sujets possibles et imaginables. Fautes d’orthographe, fredaines et métaplasmes abondent dans ces salmigondis parallèles et hostiles les uns envers les autres.

Difficile d’affronter ces ennemis qui courent parallèlement les uns aux autres. Croche-pieds et coups de coudes sont de rigueur pour faire trébucher les adversaires.

C’est dans ce contexte affolant que petit cœur malade se débat dans les mots avec soi-même. Par les mots, dans les mots, il s’adresse et fait appel aux autres, conformément à leur vocation première, mais à ses mots ne répondent que d’autres mots employés par d’autres dans d’autres sens.

De ce pauvre terreau commun si riche en lieux communs, il n’y a rien à attendre.

Au seuil de ces terres désolées, il ne faut s’attendre qu’à un affaissement de la pensée et à un affadissement de l’expression. Aucune reculade possible, il nous faut résolument marcher et avancer en terrain hostile.

Petit cœur malade n’aime pas son époque. Il y est foncièrement mal à l’aise.

Tout ce qu’il a cru être appelé à prospérer dans sa si brève jeunesse fut de longtemps mis à mal par la médiocrité ambiante.

Au lieu d’élargir son horizon, il n’est parvenu qu’à devenir le propriétaire d’un petit lopin de terre. Certes, il y cultive son jardin mais il n’a pas la candeur de penser que la marche du monde ne viendra pas, tôt ou tard, marcher sur ses plates-bandes, détruire ses patients ordonnancements et ruiner ses récoltes.

A force de fadeur, une décennie durant, il est resté muet de dégoût, avant de se ressaisir.

De l’élan puissant puissamment retombé, il fait jour après jour un arc dont la corde vibrante est la terre qui s’étend à l’horizon.

Le corps de l’arc, plus noueux et plus puissant que jamais, composé de tant et tant de souvenirs de culture qu’il est, et la corde, qui l’accompagne, si souple qu’elle chante à tous les vents, figurent l’un et l’autre, unis-désunis, ce que petit cœur malade attend encore de sa hauteur de vie et de vue.

Ne manquent plus à l’appel que quelques flèches acérées qui attendent leur heure dans la parole de quelques-uns.

Aile brisée, élan retombé induisent un fléchissement de longue durée auquel les flèches du désir patiemment trempées dans le miel et le fiel des jours sombres viennent prêter main forte au poète répudié par son époque. 

Chaque flèche décochée semble jaillir de sa main droite, tandis qu’archer sûr de ses fins il bornoie sans relâche.

Quelques poètes à la nuque raide, pris de vertige, font le dos rond, tandis que s’affaire et se prépare au loin la ronde des temps nouveaux qui verra la terre et quelques-uns de ses habitants se soulever d’un seul et même élan appelé à se briser encore et encore.

D’arc en arc, ami, tu bâtis une arche, puis une autre et une autre encore sous laquelle coule d’abondance le grand fleuve de l’oubli dans les courants duquel, arcanes connus de ceux-là seuls qui savent écrire, inlassablement viennent à courir les sables blonds ou bleus, blancs ou noirs provenant de l’arène mythique du monde transformée pour la bonne cause, et joyeusement encore, en un délicat sablier d’une densité extrême que tu retournes à l’envi chaque jour que les dieux font.

C’est ainsi que tu tempères tous les climats, qu’en toi l’humide et le sec s’adoubent mutuellement. Ce mince filet de sable dans ton sablier charrie des fleuves entiers.

Les mots zigzaguent dans ta mémoire comme autant de flèches changées en éclairs de chaleur qui s’attardent dans ton ciel nocturne.

La flèche et la mer, la vague houleuse et le sable humide, la plage, l’estran et la forêt toute proche, les roches, les rochers et les torrents des montagnes cévenoles, le ciel azuré, les buses et les busards, les aigles, les milans et le soleil de midi, les coursiers, le marcheur infatigable et la fontaine sur la place du village, tout cela coexiste en toi depuis que tu parles et mieux encore depuis que tu écris.

Ton visage composé des mille et uns visages de tes ancêtres et tous les mots qui en passèrent par eux depuis des millénaires affleurent dans tes rêveries depuis ta plus tendre enfance.

A eux seuls, se dévoilant peu à peu au détour d’un chemin de mots, ils sont ton avenir et le présent sans cesse renouvelé qu’ils te font.

 

Jean-Michel Guyot

16 juillet 2021

 

 

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