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Une dame de l'ancienne halle
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 Article publié le 5 septembre 2021.

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Des grands-parents sardes

Et napolitains,

Des femmes poissardes,

Des hommes, certains

 

Les vents les ballottent

Sur les flots amers,

Fantomaux pilotes,

Jouets de la mer,

 

D’autres sont, mistoufle,

Pégots ou maçons,

Quelques uns essoufflent

Leur boîte à frissons.

 

Des cons à la voile,

Des macaroni,

Des cueilleurs d’étoiles,

Beaux parleurs finis…

 

 

J’ai de la crevette

Rose, des bouquets !

La pleine cuvette

Et le grand baquet.

 

Venez dans ma caque

Comme des harengs,

Je passe à la caque-

Rolle les marrants !

 

Treize à la douzaine !

C’est de la Belon

Venue, sauve et saine,

Pour en dire long.

 

Ce qui me désole,

C’est l’indigence, or

Je vends plus de soles

Que de harengs saurs.

 

Schubert, j’ai ta truite…

Non, mes illusions

Ne sont pas détruites,

J’ai des occasions :

 

 

 

Un gardien de phare,

Un gars de Paris,

Un de la fanfare,

Un mari marri…

 

Je fus la chérie

- C’est dans mon journal –

D’un de la Mairie,

D’un de l’Arsenal.

 

J’ai de la limande ;

Quand je n’en ai pas,

Ceux-là m’en demandent

Et louent mes appas.

 

J’ai de la bonite

Et des poissons d’eau

Douce et d’eau bénite,

Approchez, badauds !

 

De la mayonnaise

 Et de l’aïoli

À la toulonnaise…

On en mange au lit !

 

 

 

J’étais dans la raille

Du port de Toulon,

Les gobies de brailles

Rêvaient de galons.

 

J’ai de la girelle,

Du bar, du barbeau,

Du loup… Macarelle !

Reluquez vieux beaux !

 

J’avais, potachienne,

Des petits béguins…

Au bout de mes chiennes

De vie, des regains.

 

Et l’adolescente,

Le dimanche au banc,

Encore innocente

Rêvait de forbans.

 

Tout passe, tout lasse,

Que de cœurs vaincus.

Celles de ma classe,

Qu’ont-elles vécu ?

 

 

 

Dame de la halle,

Ma voix de Stentor

Affole le hale-

boulines retors,

 

Le gouin des gabies,

Le mousse au long cours,

La garde ébaubie,

La roue de secours…

 

Les perches se tendent…

Merlans aux yeux bleus…

Les clients attendent

À la queue leu leu.

 

Anguille à la pelle-

Ça frétille encor -,

On écorche, on pèle,

On se tue le corps.

 

Matez ma barbue,

Ma raie, mon pageot,

Toute honte bue,

Parmi les cageots.

 

 

 

Et ma morue sèche,

Et mon banc d’anchois,

Mon poulpe, ma seiche,

Du tout premier choix !

 

Je suis faite au moule

Pour la pêche au gros.

Venez voir ma moule,

Voir mon maquereau,

 

Voir mes écrevisses

Fuir à reculons.

 Si c’est pas du vice,

Je me teins en blond !

 

Sachez que dans cette

 Mer, tas d’hameçons,

La soupe de Sète

Nous noie le poisson !

 

De toutes mes pêches,

La pêche au mari,

À l’amant, empêche

Les étés pourris.

 

 

 

J’étais bien campée,

Rude et doux Jésus !

Mon temps de poupée,

Je ne l’ai pas eu.

 

J’ai de la friture

- ables, éperlan,

Des roussailles, ture-

Lure, rataplan !

 

Daurades, sardines,

Rascasse, mérou,

Thon, saumon, pardine, 

Vous fassent bon prou !

 

La plus belle rade

Donne ce qu’elle a,

Ses désespérades

Et ses tralalas.

 

Passez sabres blêches,

Scintillants gardons,

Narquois sans un flèche,

Couards Cupidons…

 

 

 

J’ai eu ma belle âge,

Les boîtes de nuit,

Des rencards, la plage,

De charmants ennuis…

 

Paniers de langoustes,

Bourriches d’oursins…

Mauvaise langue, ouste,

Ouste, matassins !

 

Là, je me dessale

- Au bal tout n’est qu’heur -

Dans les pattes sales

D’un bourreau des cœurs.

 

Mon étal rouscaille,

C’est ça la fraîcheur !

Couvrez-vous d’écailles,

Mes pauvres pécheurs !

 

Poutine, poutargue,

On mange sans faim.

Chez nous, on se targue

D’avoir le bec fin.

 

 

 

Lits d’algues piquantes,

Pieuvres, calamars

Géants, coelacanthes,

De vrais cauchemars…

 

Espadons, baudroies,

Turbots, piranhas…

Ce monde guerroie

Et crie : Hosanna !

 

Des rougets de l’île,

Des mulets du port,

Des flétans débiles

Qui perdent le nord.

 

Ormeaux, clams, tellines,

Palourdes, tourteaux…

La grande maline

Ouvre ses couteaux.

 

J’ai praires, clovisses,

Coquilles de Saint-

Jacques qui ravissent

Jusqu’aux assassins.

 

 

 

Gailles de salmare,

Vous tirez mes chars

Sur la grande mare

Aux goûteux pilchards.

 

Hydre hospitalière,

Hippopes perliers

Et carpes parlières,

Je suis à lier.

 

Des combats de crabes,

Des loups sur le gril,

Des vols de pirabes,

Des poissons d’avril…

 

On a eu la guerre,

Tout recommencer…

Les vieux de naguère

L’ont senti passer.

 

Je suis la cadette

De deux gars flottants,

De ma sœur Odette

Morte à dix-sept ans.

 

 

 

J’ai des pyramides,

Des haies, des buissons,

Un empire humide

Semé de glaçons.

 

Cachalot, lamproie,

Carrelets, hadocks,

Je suis une proie,

Au fond d’un paddock.

 

J’ai battu des brèmes,

Grondé des grondins

Devant des carêmes-

Prenants, des gredins.

 

Pour vous, poisson-scie

Et marteau-requin !

Murène endurcie

Et goujons taquins !

 

Léviathans, sirènes,

Vieux monstres marins,

Dans mes eaux sereines

Vous brisez mes reins !

 

 

 

La conque, Amphitrite,

De ton rejeton

N’est pas sans mérite.

N’est-ce pas, Triton ?

 

Décampe, décampe,

Homard Thermidor !

Tirez, hippocampes,

Mon carrosse d’or !

 

Léchez ma saline,

Loupeurs poivre et sel,

Cuculs-la praline,

Glabres jouvencels !

 

Trois pour le prix d’une !

Deux pour le prix d’un !

J’aurai vu des dunes,

Des ports opportuns.

 

Je jacte bigorne,

Tas de bigorneaux

Et plante des cornes

Au front des fourneaux.

 

 

 

Dans mon coquillage,

Entends-tu la mer,

Mataf au mouillage ?

Orgues, dulcimers…

 

Ma dernière lotte !

Des morceaux divins

Pour la matelote

Au cidre ou au vin.

 

Apprenez, bedoles,

Que j’ai un métier,

Que je suis l’idole

Des chats du quartier !

 

Morutiers d’Islande,

Plutôt mal lotis,

Racontez la lande

Liquide aux petits.

 

Un songe… On y joue

À la mourre en rond,

On y couche en joue

Traînées et tendrons.

 

 

 

Qui pêche à la ligne,

Qui au lamparo…

Une enseigne cligne

Au front d’un bistro.

 

Les soifs ne s’étanchent ;

Jette, Robinson,

Aux flots tes boutanches

Pleines de chansons.

 

 

 

Robert VITTON, 2021

 

 

 

 

Notes

 

Loupeur : paresseux.

 

Bigorneau  : ancien sobriquet moqueur des soldats de marine.

 

Fourneau : injure appliquée à une personne, imbécile.

 

 

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