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I - ante meridiem
Fab Fab - Fabrice (chapitre V)

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 Article publié le 8 mai 2022.

oOo

L’Arabe était mort. « Me dis pas que c’est un Européen qui l’a… et qu’il sera… » Elle fit « couic » avec l’index sur le cou de Fabrice qui frémit. Jeta le livre (de poche) dans l’Oued. « Flotte, maintenant, » dit-il et il se mit à parler de Beton, Boufarik, Trigo… C’qu’il peut être savant ! En tout cas il passait pour tel auprès de leurs amis /fréquentations /elle se sentait si seule, la pauvrette ! Tourna les pages du lazare comme à Grenade /et les descriptions lui venaient dans la langue de Goethe. Comme si l’ennemi… tourne. Papier glacé des beautés andalouses. « Jamais entendu dire qu’un Européen ait eu à subir ça pour avoir tué un… » Il n’en savait rien. Mais ce n’était pas le sujet. Elle se contenta de secouer la tête, chevelure noire sans reflet, un peigne en travers ou de travers /Tárrega trille encore écoute le cœur se brise et tout recommence parce qu’on n’est pas mort, dit-elle.

— Je ne sais pas si je me souviens de tout… et toi… ?

— De tout… c’est difficile… Nous ne saurons jamais si…

Mais elle n’écoutait pas. Ils étaient couchés sous le noyer et plus loin la feuillée jacassait.

— Jusqu’où retournerons-nous ?

Comme ils avaient vieilli ! Le passé cherche à habiter le présent. Seconde critique. Elle laissait venir les larmes. Mais il n’osait plus les cueillir « la joue a perdu le lissé d’antan » /larme choit dans des plis imprimés, « nous ne sommes pas où nous sommes » — Monts de Saida à l’Est et les Monts de Daïa à l’Ouest. La nudité signe de beauté ou de douleur. Il s’enferma. On s’enfermait beaucoup dans ses romans. On agissait derrière les portes, les rideaux, les murs-temps tapisseries déchirées des fenêtres et elle occupait les couloirs .brassées de fleurs arrachées aux plates-bandes. Et les jours de pluie elle déclarait son ennui : le dernier chapitre n’avait pas lieu. Observa un milan à travers les persiennes de la chambre d’enfant. Une heure d’observation, imaginant le stream-of-consciousness du rapace noir celui-là et non royal comme il le vérifia par écran interposé. Plus une heure à se lamenter parce que l’inspiration ne lui venait pas. Et elle sirotait sous la vigne encore vierge, agacée par les insectes ou les rayons fusant des feuillages secoués par le vent. Le Saint (écouté l’oreille collé au tronc) lui avait révélé qu’elle finirait par s’ennuyer et qu’alors elle songerait à la mort comme elle ne l’avait jamais envisagée. Le moment était venu. Il descendit. Sa limonade était servie, la cruche rutilait de gouttes vivaces encore, le torchon pendant à une branche. Il humecta ses. Eut envie d’une cigarette. Comme au combat. Dans l’attente de la douleur. Du cri. De la terreur inévitable. À Grenade (non, à Tolède) il avait offert son sexe à une colonne vieille de. « Tu me feras un enfant et ça ira tout de suite mieux… tu verras… » Et en effet il voit. Les tortillements incessants de ce paquet de chair en formation, étoile venue d’ailleurs, mais certainement pas de chez lui. C’est peu après cette naissance attendue (tant attendue) qu’il rencontra l’extraterrestre. Dans un bar. Ça sentait l’Amérique et le cinéma. Il y avait des filles qui auraient pu être (les) siennes. L’alien buvait du sang et fumait un os. Il se regardait dans le miroir, entre le barman et le percolateur. Les doigts dans les cacahuètes grillées salées gratuites. Leurs regards se rencontrèrent. Ils ne cessèrent pas de se regarder pendant tout ce temps (décrire le temps avec les mots de la chusma) /le barman crut à la naissance d’une idylle /deux naissances dans la seule journée qui avait une chance de prendre de l’importance : l’extraterrestre venait de si loin que ça n’avait pas de nom. Le barman fit un geste. Puis un autre pour signifier que c’était un cadeau de la maison et le visage de l’extraterrestre se colora (colorín, colorao, el cuento…) « ensuite nous sommes allés aux toilettes pour éjaculer l’un dans l’autre »

— T’es dingue ou quoi ? Qu’est-ce que t’as pris ?

Mais ça ne s’était peut-être pas passé. Ou pas comme ça. Elle n’avait aucune chance de comprendre ça. Pas faite pour ça.

— Vous aimez le soleil… ?

— L’extraterrestre voulait savoir si j’aimais le soleil…

— Le beau et divin soleil d’Al-Andalus.

— C’était le nôtre ! Tu m’avais promis…

— Oui, mais le Désir…

— Il n’y avait pas de majuscule à…

— Je viens de si loin que je ne me souviens pas… Avez-vous une idée de l’oubli qui… ah ! je parle pour ne rien dire, che !

— Mais non. Mais non, dit le barman. Pas pour rien. Vous n’êtes pas venu pour…

— Laissez-le parler !

— Tu écouterais n’importe quoi, mon pauvre chéri…

— Il avait une voix…

— …venue d’ailleurs ! (ellerit au parfum wasserfall)

— Le barman l’aimait lui aussi, mais il n’était pas d’avis de se battre…

— Avec toi ? Mon pauvre… (chéri)

— Il proposa une tournée…

— Je ne te vois pas boire du sang (chéri)…

— Sang. No quiero verla.

— Ce sera demain dans les journaux, dit le barman.

— Je n’ai rien demandé. Vous avez demandé quelque chose, vous… ?

— Quand il est entré, dit le barman (en parlant de moi), j’ai tout de suite vu qu’il était en demande… J’ai l’œil… Vous pensez : trente ans de métier. Je ne connais même pas son nom.

— Et je suppose que tu le lui as dit (chéri)…

— Fa… Fa… Fab…

— C’est un Vermort, dit l’extraterrestre. Nous en avons aussi chez nous.

— Vous ne dites pas comment ils sont… fit le barman en [me] toisant.

— Comme vous et moi, mais sans elle…

— Je ne comprends pas…

— Heureusement qu’elle n’est pas là ! Si elle vous entendait…

— Tu n’as pas dit ça de moi… Tu ne parles jamais comme ça de moi… même quand tu as bu plus que de r.

— Tu as r. Je n’ai pas parlé. J’avais la bite dans le miroir, grandiose !

— Alice !

— Ensuite le barman a consulté son oignon et il est sorti.

— On ne le reverra pas, dit l’extraterrestre. Pas ce soir. On pourrait en profiter pour…

— Salaud !

Quel drôle de nom pour une servante ! Octavie. Elle plia le torchon encore humide, frais, soumis aux torsions qu’elle lui infligeait et renversa la cruche heureusement vide. Des guêpes se battaient sur le terrain d’une tache rouge. Sangria qu’elle acheva aussi. Restait des galettes mais Octavie les emporta « elle a un enfant » /parle-moi d’un extraterrestre qui ne remue pas quatre bras et trois jambes, avec queue et toute sa tête parce que je perds la mienne. Fonds baptismaux. « Comment pouvez-vous croire à ces histoires d’éternité ? »

— Viendrez-vous cet été… ?

— Nous emmènerons Lazare. Il a l’âge…

— L’âge des vacances ! Je n’y avais pas pensé, nom de…

— Oh ! Je t’en prie ne dis pas son nom !

— Je me retiens…

Rit. Voisins rient aussi. Guêpes mortes. Tache effacée. Des miettes huileuses. Une carte sur l’écran. Les pouces actifs. « Nous irons là. Vous nous suivez… ?

— Nous vous accompagnons !

— Lazare n’aimera pas ça… »

Ils écrivent des bouquins si simples ! Et ici, au pied du mont Valier (2838m), nous buvons des vins aux fleurs de sureau et ça nous rend aptes à la conversation avec l’extraterrestre que j’ai rencontré dans un bar (Roswell).

— Chez moi (nous), nous mangeons de la chair d’enfant.

— Vous avez des enfants… ?

— Comme s’il y avait de quoi s’étonner ! Bien sûr que nous n’en avons pas ! Nous ne savons pas en faire. Et même, nous ne sommes pas faits pour ça.

— Macarelle !

— Ainsi, nous descendons sur la terre pour…

— La Terre est plus bas que…

— Certes ! Sinon nous monterions. Nous descendons et…

— Vous voyez des enfants et ça vous donne envie de…

— Pas ce que vous croyez ! Nous sommes en mission.

— Vous êtes combien… ?

— Quand je dis « nous » je parle de moi, cela s’entend.

— Je comprends…

— Vous ne comprenez rien du tout !

Le sang (que nous buvions) avait un goût d’enfant, maintenant que j’y pensais. Et je n’y aurais pas penser si l’extraterrestre ne m’en avait pas parlé, de son point de vue qui est (je le précise) assez différent du mien, comme chacun (et même toi, chérie) peut le constater en examinant leurs petits anus en fleur et la surface de leurs glandouillets.

— Chez nous, dis-je sans cesser de boire…

— Vous voulez dire : chez moi…

— Si vous voulez… mais comme on est plusieurs… et même beaucoup…

— La couleur de peau nous importe peu. Blanche, noire, jaune, verte…

— Le vert manque à notre… arc-en-ciel… ô Seigneur que je n’ai pas créé !

— Dites-le tout de suite : je vous fais peur.

— N… non !

— Je vous en mets un autre, té ! fit le barman.

Sous le soleil des Pyrénées. Rêvant d’Arabie et de poésie. Octavie donnait le sein. Dans la vitre indiscrète. Petit sein d’adolescente.

— Tu as fini ta limonade ?

— Et toi… tu as fini ta… ton… ah ! et puis j’en ai… j’en ai…

— On voit bien quand tu n’as pas pris tes médicaments… Et c’est moi qui prends !

Voui. Elle prend. Dans le parc, le petit Lazare ne sait encore rien. Il ne connaît que le mot des choses. Il fait d’ailleurs ce qu’il veut avec son lexique en phase anale. Baisons ces boucles saines que le soleil sait mettre en valeur sitôt qu’on ouvre une fenêtre sur un monde pas si lointain que ça. Un noir milan s’était figé dans le clair-obscur.

Ça vaut mieux que le hibou de tes…

Sitôt que je sors, expliquait-il à l’extraterrestre, le monde (vous voyez de quoi je veux parler) s’accroît, mais je ne saurais pas vous dire de quoi...

— Vous pouvez me tutoyer... Entre amis…

— Et fiers de l’être !

— De même !

Le barman dit « à demain » mais je crois que je l’ai déjà dit et la nuit est tombée alors que je n’étais pas rentré chez moi. Bras dessus, bras dessous.

— Vous avez un enfant… ?

— Lazare.

— Le pauvre…

Fab ne sait pas quoi dire alors il dit « nous l’aimons beaucoup…

— Elle l’aime… ? Le contraire m’eût…

— Cette année, nous l’emmenons en vacances avec nous… L’été dernier, Octavie (les seins nutritifs) mais ça ne vous intéresse pas…

— Au contraire, mon ami ! Au contraire… Les enfants, nous les aimons aussi…

— Mais pour les manger !

Le barman entend ça avant de sortir et il sort. Son béret disparaît dans la foule du soir. Fabrice a peur de ne pas rentrer avant la nuit. Il a un fils maintenant.

— Ça change tout, en effet, dit l’extraterrestre.

— Je ne vous le fais pas dire !

Les enfants adorent les extraterrestres, même s’ils leur font peur au point de se pisser dessus. Voilà une pensée que je me charge d’élever à la hauteur de la littérature de mon pays. Mais on revient des Colonies un jour de tempête. Non pas de sable. D’eau. Et il y a un noyé. Qui est une noyée. Et depuis il n’arrête pas d’y penser et ça lui pourrit la vie. Il venait de l’enculer. Le verbe venir mesurait une heure. La mer était encore d’huile. Tu te souviens. C’était il y a tellement de temps !

 

*

 

Soirée pas fraîche, ni tiède. Je dis ça comme ça. « Tu montes ? » La chambre (nuptiale) est à l’étage. Ses pas, malgré le tapis. Interstices poussières vieille de. Allume une cigarette. Remplit un verre. Fais de la lumière. Enfonce le coussin. Au loin, les pierres d’une église, ruisselantes. Il a plu. Il en frissonne. Croise ses jambes aux genoux arthritiques. Les parfums du jardin virevoltent avec les mouches. On entend le vent. Il pense qu’il ne se passera rien. Et pourtant : comme on va le voir (lire), il va se. Tourne le bouton du potentiomètre. La nuit revient. Ses ongles brillent. Le livre est refermé. La cigarette se consume dans le cendrier. Il ne se passe rien et tout arrive, par bouffée. L’angoisse naît de la douleur ou la douleur de l’angoisse. Il aimerait entendre la mer, mais elle a choisi ce jour pour. Lazare dort-il ? Est-il même né ? L’extraterrestre n’a pas voulu entrer. Il habite les bois, plus loin, en bordure du sentier peuplé de ronces. Il scrute le ciel des fois queue. « Nous irons à Roswell et je vous monterai ce qu’on ne montre à personne.

— On… ?

— Je n’en dirai pas plus ce soir, car c’est le soir, n’est-ce pas… ? »

Disparu dans le noir. Feuillages secoués puis silence des animaux cachés. Le sentier sentait le bois pourri. Il voyait la fenêtre du château, la même et même la seule éclairée à cette heure vespérale. Comme un phare dans la brume. Car il n’y voit goutte. Et pense mal. Ou peu. Ses pieds souffrent. Bientôt il sent sous la plante les poils durs du paillasson. Le décrottoir est crotté. L’enfant n’a pas joué avec. Quel homme l’a crotté ? Il la trouve sous la treille. Plongée dans une sinistre obscurité. Elle effeuille un mille-feuille. Secoue sa chevelure, yeux fermés. « Tiens ? Tu es là…

— J’ai rencontré un extraterrestre…

— Ça ne m’étonne pas de toi !

— Alors nous avons perdu du temps…

— Et le temps vous en a voulu… Je connais la chanson, Fab.

— Je ne vais pas me coucher de suite.

— Moi si. D’ailleurs bébé dort.

— Octavie… »

Elle monte. Beau fessier. Au début il la prenait par là. Puis. Le temps. Les inachèvements. « Finalement, je n’ai rien achevé, confessa-t-il à l’extraterrestre.

— L’enfant, dit l’extraterrestre qui pensait à autre chose, se mange tout entier, comme le cochon des Terriens. Nous n’avons pas encore trouvé le moyen de le reproduire. Mais nous n’en concevons aucune tristesse. Et nous compatissons, voilà ! »

Mais elle montait. N’écouta pas. Pieds nus sur le tapis aux contremarches barrées de cuivre étincelant sous la Lune. « Je ne voudrais pas que tu croies… » mais elle n’est plus là. L’odeur de l’anis l’entête. Il croque une miette en forme d’écaille de poisson. Pourquoi pas un extraterrestre ? Un mangeur d’enfants. Ne mange rien d’autre. Vient sur la Terre pour la cueillette. Ainsi Lazare disparaîtra si le roman le veut. Il sera mangé. Il ne connaîtra pas le bonheur que je n’ai pas même soupçonné dans ma propre enfance. Pourquoi n’en avons-nous jamais parlé, elle et moi ? À Saïda ou ailleurs du temps des Colonies. Tellement d’eau a c. s. l. p. (notes griffonnées à même la nappe) Il trace une ligne verticale qui scinde la dentelle aux taches sombres maintenant. « Souvenez-vous de moi. » « Je vous ai tellement aimé(e) ! » « Revenez quand ça vous chantera. Nous avons un enfant si jamais vous avez faim. » Autant de chapitres de ce monde destructeur de l’humain (et non pas l’inverse).

— Roswell !

Pas de réponse. Il vomit un peu dans un angle d’obscurité. « Je ne suis jamais venu ici. Je n’ai jamais mangé d’enfant. C’est la première fois que…

¡No me digas !

— Si je bois, je vais en enfer…

— Ou vous en sortez et ne retrouvez plus le chemin du retour…

— C’est loin… votre…

— Écoutez ! »

Nous montons. Curieusement, nos pas sont sonores, alors qu’elle. « Ça ne peut pas se terminer comme ça ! » Monte. Seul maintenant. Sans planète en guise de boulet. Elle est assise dans son fauteuil de couseuse sous la lampe familiale. Sa bouche écume. Langue dehors. Yeux clos.

— Elle en a avalé combien ? (secouantle tube)

— Comment voulez-vous que je le sache !

— Téléphonez donc ! »

Heureusement que l’extraterrestre était là. Sa civilisation est beaucoup plus avancée que la nôtre. Des siècles ! Je vous dis pas. Ah ! s’il n’avait pas été là ! Mais il était là. Et sa connaissance du phénomène l’a sauvée. C’est mieux pour l’enfant, n’est-ce pas ? Imaginer un enfant sans sa mère… oh ! non ! Je n’y arriverai jamais. Bien sûr il y a Octavie. Les enfants d’Octavie. Le mien. Le docteur regardait l’extraterrestre comme s’il ne l’avait jamais vu. Et je me suis dit qu’en effet c’était peut-être la première fois qu’il en voyait un.

 

 

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