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I - ante meridiem
Lazare I - chapitre IX

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 Article publié le 5 juin 2022.

oOo

Passa le bras sous son cou, entre le cou et le coussin, l’œil sur ses lèvres, parlait de ce qu’elle avait vu, entendu, partagé aussi le temps de s’en lasser puis elle avait harcelé un employé à cause d’un billet périmé selon lui, payé en liquide, nouant et renouant le foulard sous le menton, « des heures à attendre que ça s’arrête » et pendant ce temps il avait suivi le procès de chaîne en chaîne, serrant les dents chaque fois que son nom était prononcé, « nom changé » car à cette époque il était (lui) encore un enfant. La chambre était illuminée par un printemps précoce.

— Nous ne savons plus ce que nous disons, dit-il pensant conclure ainsi le récit de sa folle après-midi de chargée de mission.

— Je hais cette guerre !

Il observa les effets de la lumière sur ces lèvres, rouge et or d’un couchant qui, chaque jour, représentait pour elle le commencement de son existence nouvelle avec elle-même. Il n’avait pas travaillé aujourd’hui. Aveu à demi-mots. Avait attendu l’heure du programme en fumant sur le balcon, fenêtres aux vitres couleur de rideaux agités par la brise tournoyant entre les façades. Elle reprit le récit, l’homme qui l’avait interpelé, les frôlements au passage, odeurs cachées, conversations tronquées, la fumée d’un incendie parcourait les couloirs, transparente et tiède, l’homme consultait sa fiche, la compara à une autre puis ses doigts tracèrent un numéro sur l’écran et il attendit.

— Ce n’est pas la compétence qui étouffe nos contemporains, dirent les lèvres et la langue passa.

Pas un soir sans récit, circonstances et sentiments éprouvés puis revécus avec encore plus d’intensité, jamais question du bonheur autrement que par polarité décrite « avec preuves à l’appui » et pendant ce temps, il est couché sur le même lit, toujours défait, retendre les draps avant qu’elle arrive, et de temps en temps il sort sur le balcon et tente de voir à travers un rideau que le vent, personne au-dessus, la génoise en ruine, traces d’oiseaux dont il ignore le nom mais ce ne sont ni des pigeons ni des hirondelles.

— Tu as regardé la télé, dit-elle (ses lèvres le disent), on sent cette chaleur d’ici, derrière le mur noirci…

— N’exagère pas !

— À trois heures le sujet était : Procès d’un pédophile et tu attendais, je le sais, comme si j’avais été là, des années à essayer d’en écrire quelque chose que personne n’a encore eu l’idée de mettre sur la table,

— Je n’y pensais plus, justement, quand

— Pendant ce temps je ne trouvais pas ce que je cherchais et tu sais parfaitement que c’est exactement le genre de situation qui me rend

— Si tu étais malade ça se saurait

— Je n’ai pas dit ça d’ailleurs

— J’avoue ! Là !

La veille ils avaient dîné avec les « Cérastin », elle n’avait aucun atome crochu avec ses beaux-parents, elle savait se montrer agréable sans toutefois adhérer aux « idées familiales » sur le sujet : Ben Balada croupissait dans sa cellule, il n’écrivait plus, il n’en parlait plus, et la psy lui avait rendu visite et elle était ressortie de la cellule en pleurant dans son mouchoir, récit d’Octave Cérastin qu’Anaïs Cérastin écouta comme s’il s’agissait d’un prêche, Lazare avait déjà consulté le programme de la télé, un ami l’avait informé que le sujet de l’émission en question était. Ce soir-là (hier) elle était rentrée plus tôt, ravalant son récit et le rouge avait reçu la lumière du soleil couchant, disant « on va être en retard » et ses voiles parcoururent le couloir jusqu’à l’ascenseur qui sentait la pipe froide du « monsieur d’en bas ». Lazare tordit le cou à son angoisse, sans toutefois ne plus y penser, ils arrivèrent à l’heure prévue, comme d’habitude. Anaïs était plongée dans une lecture « ardue » et son visage avait à peine souri, le dîner venait tout juste d’arriver, Octave éteignit la télé, embrassa son fils avant de tendre la main à sa belle-fille, sur le bahut les photos côtoyaient les bibelots qu’on voyait sur les photos. Il en avait toujours été ainsi, le temps. Lazare ressentit encore un pinçon au cerveau, le gigot se réchauffait dans le four, une bouteille était débouchée, il se regarda encore une fois dans la face concave d’une cuillère, Octave dit :

— Vous avez l’air bien triste, ce soir, les enfants…

— Si vous saviez… lèvres si rouges le soleil toujours à la tangente mais les persiennes étaient closes (à cette heure) et Lazare savait qu’il ne dormirait pas. Ils s’attablèrent. Et maintenant il pensait à cette conversation de trois heures autour de la table et les odeurs de l’ail et du vin, le café, la vanille, Anaïs accepta les félicitations, même si le repas n’était pas son œuvre, elle cuisinait « assez chez les autres ! » L’ami (celui qui avait lu le programme) savait que Lazare avait connu Lazare, même âge et proximité relative mais bien réelle, en tout cas à prendre en considération comme l’avait souhaité le juge, c’était écrit sur le programme, « un jour vous me remercierez » Une photo ancienne de Ben Balada en haut de page, en noir et blanc, ombres faussées par la mauvaise qualité du cliché, un regard qui pouvait appartenir à n’importe quel homme, une symétrie parfaite malgré le rendu imparfait, la tignasse était encore frisée à cette époque, mais la photo datait de dix ans avant le procès, c’était au sortir d’une adolescence dont il avait été longuement question le deuxième ou troisième jour, je ne me souviens plus, pourtant j’étais là. Que savait-il que personne ne savait ? Rien que cette question faisait de lui un personnage. Il était enfant. Il y avait d’autres enfants. Et la lourde porte s’était refermée sur ce silence cataleptique, du frisson à la grimace, les culs ayant trouvé l’appui finalement. Lazare, le petit de Vermort, commença par une longue description du bonheur, qu’il avait connu, et n’acheva pas sur celle du malheur, qu’on attendait. Dans le box, Ben Balada sourit, provoquant la seule interprétation possible, pourtant contraire à ce que Lazare venait de dire, de chanter presque, « vous vous appelez aussi Lazare ? » et son père s’interposa pour expliquer la coïncidence, « comme si c’était le sujet »

Au lit il dit « je crois que tu ne comprendras jamais »

Elle n’avait pas achevé son. La lumière baissait en même temps. Il aimait ce corps. Ce n’était pas celui d’une fillette et il n’avait aucun rapport avec ce qu’il savait, par expérience, de celui des garçons. Elle lui demanda si le documentaire de l’après-midi avait révélé des « choses » qu’on ne savait pas. Il savait tout, mais n’avait pas tout dit. Il reconnut que « quelques angles ne manquaient pas de pertinence

— Du nouveau ou du déjà vu ? On a tellement ressassé tout ça depuis…

— Nos visages étaient floutés. On se ressemblait. Je veux dire

Que c’était le même enfant mais que le procès en voyait deux, et tout le monde était d’accord là-dessus, il y avait deux enfants, un qui savait tout et l’autre qui n’en savait pas autant qu’il le prétendait. Octave Cérastin se souvenait de ce moment de valse-hésitation, la Presse parlait aussi de deux Anaïs mais on ne pouvait pas les confondre car. Les pères, par contre, portaient deux prénoms bien distincts : Octave et Fabrice. Fabrice de Vermort ne put s’empêcher de sourire ce qui fit rougir la présidente, Octave nota ce détail sans importance immédiate, mais ne collectionnait-il pas les doutes depuis avant même d’avoir un enfant lui-même ? »

— Tous les enfants descendaient…

— Tu veux dire : jusqu’à la rivière… ? Et à quoi jouiez-vous… ? Au ballon ? Avec les filles ? Vous pêchiez ? C’était jour de fête… ?

— Nous voilà tous les deux sous un arbre, un noyer, parce que quelqu’un a crié notre nom et que ce quelqu’un était dans l’arbre ô culotte !

— Ce n’était pas monsieur… Balada… dans l’arbre… ?

— Jamais je l’ai vu dans un arbre… et toi… ?

— Jamais de la vie ! Et je sais ce que je dis.

— Et cette personne, qui était-elle ?

— C’était… Oh ! je sais pas si je peux le dire… Dis-le, toi !

— C’était ma mère !

On s’étonna. Une comtesse dans un arbre ? Vous suivez ? Elle était montée dans l’arbre, sans pantalons, en culotte et en jupe, et elle cueillait des noix et les jetait dans nos casquettes sans jamais les manquer.

— Et que faisait monsieur… Balada… pendant que vous… les noix… casquettes… ?

— Péchait.

— Pêchait quoi ?

— Qu’est-ce que j’en sais moi ? Demandez-lui...

— Rien de particulier…

— Pourtant, que je sache, on ne pêche pas le goujon comme la carpe… Mon père s’y connaissait… Et j’ai bien vu… à l’époque… (ici la présidente rougit et veut allumer une cigarette)

— La grosseur de l’hameçon, le bas de ligne, même le bouchon… On connaît ça, elle a raison.

— Il n’était pas là pour pêcher.

— Elle non plus n’était pas là pour cueillir des pommes.

— Des noix.

— Vous êtes dingues !

Il les traita de dingues chaque fois qu’ils interprétaient les scènes rapportées par les uns et les autres. Elle se plia à l’équerre et jeta un regard fatigué en direction des persiennes. Elle se souvenait du noyer. Elle ne savait pas que sa belle-mère y montait pour. Les casquettes. Plus loin elle jouait avec les autres filles. Ben Balada portait un chapeau de paille. Il ne pêchait pas. Il était assis sur une souche et regardait l’eau et le pont plus loin et il entendait comme tout le monde le moteur du tracteur dans le champ jouxtant l’aire de jeu. On le voyait souvent, mais jamais il ne pêcha.

— Qu’en sais-tu ? Personne ne t’a demandé de témoigner. Tandis que nous, on est entré dans cette salle, grande salle tu t’imagines, on y jugeait les criminels, sans fenêtres, des lustres poussiéreux au-dessus de nos têtes, une lumière sale et des insectes nous agaçaient. Tu ne manquais pas. Personne ne t’avait demandé de…

— J’en avais envie. J’en ai toujours envie. Ceci explique peut-être cela.

— Ton comportement hier soir après le repas…

— Ton père délirait… Ta mère…

— Oh ! Cesse, veux-tu ! Nous n’étions pas venus pour…

— Nous ne venons jamais pour…

Ainsi. Et pourtant, il l’aimait. Il aimait ce corps. Elle était nue sous le drap. Les persiennes changeaient le vent. Comment le changent-elles ? Tu es fou.

— Si nous cessions de… J’ai sommeil…

— Ou tu as envie de rêver… C’est comme penser à autre chose. Ça me ferait du bien de. Mais c’est là. Et je n’écris rien qui vaille. Regarde cet écran…

Elle se tourna vers la ruelle. Dos nu et vaste maintenant. La chevelure sur l’épaule. Il lui arrive de fumer une cigarette dans cette position, tenant le cendrier hors du lit, et il observe la fumée qui monte vers le plafond comme on cherche à savoir dans le marc de café. Tu étais là. Pas moi. Je sais. Et ça nous éloigne l’un de l’autre. Suffit de pas grand-chose pour. Et nous continuons. Pas le même chemin. Se croisant. Au soir de préférence. Je reviens de la ville avec mon récit. Elle revient. Ayant sans doute eut le temps, pris le temps de peaufiner certains détails. Il y a toujours un détail au moins un, qui n’a pas sa place dans ce récit au fond sans intérêt. Profil de garce. Octave avait failli la gifler. Autre récit. Le sien cette fois. Et il ne ressentait pas le besoin d’en changer les détails qui le rendaient improbable.

— Savais-tu au moins où tu mettais les pieds ? On ne sait pas ce genre de chose à cet âge. J’avais le même…

— Mais personne ne t’avait rien demandé.

— Pourtant j’étais là, le noyer, les casquettes, la cul…

— Tu n’étais pas là au bon moment !

— Parce que le moment était bon ? (ellelui fait face de nouveau, ayant pivoté en soulevant le drap pour ne pas le découvrir) Tu finiras bien par avouer des choses que…

— Pas moi ! Non ! Pas moi !

Il avait crié. Elle se figea. Me souviens pas si elle avait une cigarette dans les doigts. Elle était échevelée, voilà ce que je voulais dire. Il faudra que j’apprenne à écrire ce genre de chose. Jamais personne ne m’a autant demandé d’écrire. C’est pour ça que je l’. Achève d’y penser pendant qu’elle revient à sa position dos tourné vaste nu la fumée montait en volutes grises vers le plafond rougeoyant.

— Tu ne sais pas ce que tu dis.

— Je sais ce que j’écris !

— Ce que tu écrirais si…

— Si je t’écoutais… ?

Il vit la tête hocher sur le coussin. Octave n’avait pas aimé cette idée. Il n’avait pas expliqué pourquoi cette idée lui paraissait nettement idiote. Et elle avait répliqué que cette idiotie avait peut-être un sens. Et il s’était réfugié dans son vieux fauteuil à bascule pour rétorquer qu’elle n’y connaissait rien parce qu’elle n’avait rien vécu d’important.

— Qu’est-ce que vous en savez si j’ai jamais vécu… ce que vous dites sans savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas ?

— Lazare se confie à moi, vous savez… dit Anaïs.

Lazare : Maman !

Ce qu’il me dit de vos… voyages en ville… en quelle compagnie ça il ne le dit pas mais on peut avoir des doutes…

— Lazare ! Tu doutes de moi… ? (elleva pleurer)

Il n’écoutait plus. Il n’entendait plus. Il ne comprenait plus. Il n’avait jamais compris. Demain après-midi, à trois heures pétantes (avait précisé son ami) il pourrait en savoir plus, en tout cas pas moins, ils ne sauront pas plus que ce qu’ils pensent…

— Ça va, dit-elle, je ne recommencerai pas.

— Tu ne peux pas comprendre…

— Je n’ai pas envie ni besoin de te comprendre, mon pauvre Lazare…

— Pourtant… cette existence promise… Tu promettais…

— Je n’ai jamais rien promis (elle se retourne encore) et tu sais pourquoi ? Parce que je ne possède rien. Toi tu…

— Je voudrais bien savoir ce que je possède…

— (se retournant) Tu le sais bien… Cette histoire. On ne saura jamais ce que tu y joues.

— Nous jouions avec nos casquettes. C’est tout !

— Ben Balada ne jouait pas à pêcher.

— C’est ce que tu dis et personne d’autre que toi le dit… ou l’a dit… quand il était temps de le dire… mais tu n’étais pas invitée à dire ce que tu…

— Cette histoire nous pourrit la vie, oui.

Cette fois, elle allume une cigarette. La fumée est bien réelle. L’air venu des persiennes en joue puis le plafond éparpille ces jeux. Tu ne peux pas savoir ce que c’est de…

— Et Lazare ? Qu’est-ce qu’il en pense lui ? Après tout, c’est lui qui…

— Il y a bien longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de lui parler, je ne sais même pas si…

— Qu’est-ce que tu ne sais pas, Lazare… ?

— Comment savoir si je suis incapable d’en écrire la première phrase ?

Elle est sur le dos, remonte le drap sur les seins, plie les jambes, souffle la fumée vers le haut, ne pense pas, ne pense rien, ne trouve pas le sommeil, maudit cette existence, il n’en dira pas plus.

— Éteins, chéri.

— C’est diablement éclairé dehors.

— Qu’est-ce que le diable…

— Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça… comme ça…

— Tu écris trop, chéri…

— Je n’écris pas comme je sens. Un jour…

On ne sait pas comment ça arrive ni jusqu’où ça va et on est là au milieu à se demander ce qu’on y fait, dit-elle. Ou quelque chose dans le genre. Pas les mêmes mots l’un et l’autre. Octave Cérastin, malgré la modestie de son savoir essentiellement acquis sur les bancs de l’école, voyait comme je vous vois ce qui les différenciait et Anaïs ne se couchait jamais, à ses côtés, sans en parler au moins un peu. Il aimait cette conversation. Ben Balada ne cachait pas qu’il l’enviait. « Il est absolument nécessaire à l’équilibre mental que quelqu’un vous parle comme vous avez envie qu’on vous parle et non point comme ce quelqu’un d’autre s’imagine parler d’autre chose.

— C’est un peu compliqué pour moi, mais je note…

— Jamais de mots que le commun des mortels ne connaît pas comme il connaît ses défauts, c’est… heu… c’était ma règle d’or du temps où je… vous savez…

— Je comprends pas vraiment mais je vais y penser.

— Vous savez trop de choses sur votre fils et pas assez sur elle.

— Faudra que je creuse le sujet…

— Vous avez des nouvelles de Lazare ? »

Tout le monde sait ce qui l’a rendu malade comme un chien, mais personne ne fait rien pour que ça change, vu que Ben Balada ne sortira jamais de cette prison, en tout cas pas comme il faudrait. Le chapitre suivant (crise) n’a rien à voir avec la réalité, mais son auteur espère avoir atteint un certain de degré de vérité telle qu’on se féliciterait publiquement de l’avoir écrite.

 

 

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