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De la Sardine au Fluctuat Nec Mergitur
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 Article publié le 14 septembre 2004.

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DE LA SARDINE AU FLUCTUAT NEC MERGITUR

 

Toulon. Un port. Une rue qui devait son nom à un petit canon servant de chasse-roue. Une rue rebaptisée en 1945. Une rue qui tonne toujours dans ma cabèche. Une rue de perdition. Une rue interdite au garnement, au galopin, au page effronté que j’étais, que je suis encore.

Dans l’ancienne rue du Canon
Je tangue comme un soûlographe
Ma tristesse n’a pas de nom
Dans l’ancienne rue du Canon
La nuit qui ne dit jamais non
Sème des bouchons de carafes
Dans l’ancienne rue du Canon
Je tangue comme un soûlographe

Dans l’ancienne rue du Canon
La troupe tire à boulets rouges
Sur les chants que nous entonnons
Dans l’ancienne rue du Canon
De coups de rame et d’alganon
Ces artilleurs que ne les roue-je
Dans l’ancienne rue du Canon
La troupe tire à boulets rouges

Dans l’ancienne rue du Canon
Ma mie rapièce ma misaine
Tandis qu’au son d’un tympanon
Dans l’ancienne rue du canon
Se déhanchent des fées qui n’ont
Jamais eu quatre sous de veine
Dans l’ancienne rue du Canon
Ma mie rapièce ma misaine


J’avais un sarrau de toile grise tachée de fleurs d’encre violette, des fonds de culottes merveilleusement rapiécés, un ciré avec des ailes, des croquenots qui mordaient la poussière.
O ma bécane aux roues pleines, au large guidon qui faisait les cornes aux banderillards, à la sonnette enrouée, nous allions à voiles et à rames.
Et ces semaines des sept jeudis et leurs théâtres d’ombres quand je trouvais midi à quatorze heures.
O mes cyprès si noirs, si beaux...
Je parlais mathurin, si tu veux, l’argot des matelots.


Déjà sur les bancs de l’école
Harcelé par un barbacole
Je compris que ma vie durant
Je serais à l’écart des rangs

La rue de mon enfance se jette dans la Mer.
Mon drap est une vague.
Je taille des habits dans une vieille misaine.
Les portes étaient toujours ouvertes, nous toussions avant d’entrer.
Nous mangions plus d’anchois que de soles.
Et la morue des vendredis, et l’aïoli...
Nous étions tous dans le même bateau.

Dans ma rue
On y voit des coques des grues
Des mousses des marins
Qui tanguent dans un verre
On y loue des trouvères
Qui moulent nos chagrins

Les ouvriers du port tapent sur leur gamelle et vendaient les mèches des poudreries, des poudrières.
Les sirènes des Chantiers crèvent le tympan des homérides.
Le mistral et ses félibres me fêlent le ciboulot.
Les langues de ma crique me racontent en mètre de longues histoires d’Ys, de Porpiscan, de Nazado, du triangle des Bermudes...

Je suis resté ce mousse abécédaire des remparts d’orichalque, des barcasses désossées, des ancres rouillées, des casemates meurtrières, des terrains de vagues, des marais salants...
Je suis resté ce matafian frotté d’ail et imbibé d’huile d’olive dans les bourrasques d’un champ de lavande.
Je suis resté ce cabotier et ce cabotin de cette mer planche entre les seins des Néréides.
Je suis resté ce naufragé du radeau de Géricault.
Je suis resté ce navarque d’une armadille en rade.
Je suis resté ce corsaire -œil d’émeraude et jambe d’acajou- des quatre coins et du milieu d’une carte.
Je suis resté cet armateur des mille cargos cinglant vers la Misère, au nez et à la barbe des pétroliers qui se moquent du tiers et du quart monde.
Je suis resté ce bagnard de 1748 à 1852.
Je suis resté ce maître à danser d’une escadrille de coquilles de noix.
Je suis resté ce Vasco et cet Adamastor du cap des Tempêtes.
Je suis resté ce Colomb de la Santa Maria et de deux autres caravelles chargées d’œufs.

Je me souviens d’une carène sur le flanc, ma cache où je passais le plus clair et le plus sombre de mon temps, où j’étais Robinson, Vendredi, Jonas, Panurge, Sinbad le marin de Bagdad...Sur le côté droit on pouvait lire en lettres blanches majuscules :
LA SARDINE.




Les musiques aboyantes qui flaquaient contre les quais, sous le regard des Atlantes de Pierre Puget retirées saines et sauves des décombres de 1944, sous l’indifférence de bronze de Cuverville -le cul vers la ville, le doigt pointant le large, les ciels d’étain, de cuivre, de bois, de fonte verte troués de gabians-, roulaient toutes sortes d’équipages jusqu’aux chaudes entrailles du quartier borgne et beso(i)gneux, et les laissaient pour ivres-morts.

Lâche la barre, mon loup. Tu la reverras ta mer et ton île au trésor !
La Vierge à l’Enfant de Pigalle, tu connais ?
Pitaine, pitaine Némo, gare un peu ton sous-mar, mon Jules est à vingt mille lieues de se douter de ta visite.
Hé ! matave d’eau douce -col bleu et pompon rouge-, viens ramer dans mon écume, tu auras ton bâton de maréchal et du galon.
Général, me voilà avec mes trente-six étoiles, et filantes par-dessus le marché.
Et toi, l’ami-l’amiral-la-rime-à-rien, t’en auras pour ton grade.
Dis, ça te dit de jeter ton encre, vieux calamar ?
Pendant que je me mets sur la paille, que j’allume et que je fume du caporal, mon maquereau roux et rose, comme le chante Guillaume, mon maquereau au vin blanc se les roule sur son pageot d’oseille.
Un jour, l’équipage, je rendrai la clef de ma carrée, je partirai à l’île de Pâques ou à la Trinité-sur-Mer.

Les poètes, les peintres, les sculpteurs, les photographes, les cinéastes, les architectes, les inventeurs et qui sais-je encore m’ont mis Paris, Paname, Pantruche en tête. Paris des pages, des toiles, des livres, des chansons...

Le Cap Fréhel, le Cap Béart, le Cap Ferret, le Cap Ferrat, le Cap Martin, le Cap Brassens...

Déjà le vieux Paris taillait mes quatre veines
Mon sang d’encre coulait sous les ponts de la Seine
J’allais fidèle au noir un foulard rouge au col
Les cheveux en bataille et dans la poche Alcools

Paris, ce miracle, ce mirail au bout des rails.

Je suis le lamaneur de la gare de Lyon.
Méditerrannée-Lyon-Paris.
Un coup de Mistral.
J’ai mon caban et ma boussole.
Je débarque.

La marée rouscaille bigorne jusqu’à Rungis -ô camions amphibies-, jusque sous les lames des écaillers, jusqu’entre les jambes des dames de la halle.

Avec tous ses misérérés
Avec ses chevaux de salpêtre
Ses blancs moutons qui viennent paître
L’herbe de Saint-Germain-des-Prés
Ô mes neuf sœurs ô mes neuf âmes
Où sont mes bottes mon ciré
La mer la mer vient de la femme



Tout le monde sur les ponts !

Je croise Verlaine, Descartes dans sa rue, Rétif de la Bretonne sur le pont Rouge, Guillaume sur le pont des souviens-t’en, François de Montcorbier à Montfaucon, Nerval dans ma grille des mots croisés, Neruda rue de la Huchette, Prévert, casquette et mégot, dans l’autobus, Zazie dans le métro...

Je paie en monnaie de singe et de songe les musiciens du Pont-Neuf.
Je bois dans les mains en conque d’une fille de Samarie à la pompe du puits de Jacob.
Sama, Sama de cocagne !

J’ai mon capingot et mon sextant.

Tour Saint-Jacques, tour Montparnasse, colonne Vendôme, ô mes amers !

J’ai toujours un calepin à cacher entre ma peau et ma vareuse. Je griffe, je griffonne des pieds de mouches, des vers prosaïques, des proses vermoulues, des croquis croustilleux...

Ciné, ciné, cinéma de cocagne !
Un peu de vaisselle de fouille, d’argent de poche, quoi !

Je m’habille de poésie
Sous le sévère domino
Je prend des verres d’ambroisie
Des cafés crème des pernods
Sur les vieux zincs de montparno

J’ai des pétrels dans ma mémoire pélagique, dans mes rêveries atlantiques sur l’embarcadère de Montparnasse et de la Gare du Nord.
Je m’embarbouille.
J’ai des idées qui viennent et qui partent avec les hirondelles.
C’était hier, c’est aujourd’hui le printemps de l’âge.
Je jette mon grappin dans la mesure de l’impossible.
J’habille en vers mes plus secrètes pensées.
Je confie l’écume des choses à mon papier-carbone.
J’apprends par cœur les onze enfers d’Aragon, j’écris des ballades sur les quatre murs de celui de Marot. L’enfer, c’est les apôtres !
J’ai la cape et le chapeau de Debussy.
Claude, tu l’as dit : L’artiste est par définition un habitué du rêve et qui vit parmi des fantômes.
Je vague, je divague à longueur de nuit dans un poème symphonique.

Je suis le gabier de la nef La Notre-Dame, perché dans ses mâts de cocagne, dans ses voiles de pierre, dans ses orgues barbaresques, sous ses croix et ses bannières.
Je suis le mataf aux écoutes de la Plateforme beaubourgeoise, avec ses aunes et ses aunes de boyaux parcourues de borborygmes et de coliques.
Je suis le nautonier, le trafiquant d’âmes des Champs-Elysées.
Je suis le passeur de mots et de morts de la Cité.
Je suis l’ange de grève de la Maison aux Pillers, place de l’Hôtel de Ville.
Je suis le batelier et le bateleur de la Place d’Enfer, Denfert-Rochereau après 1879.
Je suis le fantôme du Vaisseau Opéra avec Chagall et des araignées dans le plafond.
Je suis le prisonnier de la Forteresse Opéra Bastille.
Je tape le carton avec les carabiniers d’Offenbach dans les soutes du paquebot Opéra Comique.
Je suis le matelot des ronds d’eau du Jardin des Tuileries.
Je suis le gardien du phare Eiffel.

Je sors souvent en charmante compagnie. A mon bras une créature en vogue, c’est Clio, la muse de l’Histoire qui ne parle qu’au présent.

O barricades de mai -je mouille mes lèvres dans un cocktail-, ô plages dépavées -et ce rafiot ivre-.
Je descends le Boul’ Mich’ à la godille.
Je fouille les épaves gothiques.
Je rime, je rame dans la galère Poésie.

Quand Paris m’éclairait ses lanternes tragiques
Que la mer me poissait sur les pavés magiques

Je cassais des décors des styles des sabots
J’emmenais mes béguins sur le pont Mirabeau

Je démâte !

Il était un petit navire,
Qui n’avait ja-ja-jamais navigué,
Ohé ! Ohé !

Ohé ! Ohé ! Matelot,
Matelot navigue sur les flots.

Il partit pour un long voyage,
Sur la mer Mé-Mé-Méditerrannée,
Ohé ! Ohé !

Robert VITTON

 

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