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La sphère
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 Article publié le 26 juin 2022.

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-1-

 

En tous sens, j’ai parcouru la sphère, mais comment en être sûr ? Peut-être ne suis-je jamais passé que par le même point.

 

Ceux qui ont sillonné le globe en tous sens, c’est autre chose. Leur passeport conserve les traces de leurs destinations - ils se sont bien rendus quelque part - mais moi je n’ai laissé aucune trace de mes passages, et la sphère - ma sphère ? - étant d’une absolue monotonie, je n’ai retenu d’elle que le souvenir de mes pas tantôt lourds, tantôt allègres. Personne d’autre que moi n’est jamais venu la fouler ni en troubler les aspérités cachées.

 

Rien ne saurait entamer la certitude que l’absolu est une contradiction en soi - l’impossible frontière repliée sur ses bords qui ne communiquent pas avec le dehors - contradiction que l’illusion de l’absolu porte à son comble dans son procès de régénération mené à travers le démenti formel que j’en suis, pas après pas, pas censés me rapprocher des autres, quand je fais le premier pas, puis l’autre et ainsi de suite, car enfin la frontière invisible que je ne suis pas est sans cesse reconduite à la frontière par autre que moi qui ne puis éviter d’être moi aux yeux des autres.

 

Mes voisins ne peuvent ignorer mon existence, même s’ils ne veulent rien savoir de moi. C’est en ne voulant rien savoir de moi qu’ils reconstituent l’invisible frontière de l’absolu qu’ils ne peuvent être tant pour eux que pour moi.

 

Je ne dis ni oui ni non à la sphère. A sa manière, elle me constitue, mais il y a un reste, et ce reste, c’est moi, ni heureux ni malheureux, qui parcoure la sphère en tous sens à la recherche d’autrui.

Fasse qu’autrui, las de se chercher, me rencontre enfin.

-2-

Le ventre rond avait dit cela à la femme assoupie. Elle s’était endormie sur son ventre. Elle rêvait encore à l’enfant qui serait peut-être un jour le locataire de son être, et plus tard encore l’heureux propriétaire des lieux qu’elle habitait, cette vaste demeure dans le Sud qui lui venait de ses parents. Cette plénitude nauséeuse cesserait à la naissance de l’enfant rêvé pour faire place à un tout autre bonheur. Pour l’heure, l’enfant présent en pensée dans son ventre était au centre de toutes ses pensées, mais quand aurait lieu le séisme de la naissance qui verrait la sphère se contracter dangereusement, alors, alors seulement, une issue nouvelle apparaîtrait qui délivrerait l’enfant de la sphère de velours qu’il habitait. Mais le rêve retors s’emparait de cette pensée flottante pour faire d’elle à travers sa pensée la sphère de soie fraîche qui l’habitait, sphère, par conséquent qu’elle ne pouvait habiter que de l’extérieur. La rêverie ne tournait jamais au cauchemar éveillé. Rien d’hallucinatoire dans ce qu’il fallait bien appeler une démarche objective, car elle était bel et bien extérieure au processus d’enveloppement qu’elle vivait de l’intérieur, comme si les lèvres de son sexe avait démesurément grandi jusqu’à envelopper le corps de sa pensée devenue la matrice de l’enfant à naître. Au moment critique, la rêverie s’inversait à nouveau doucement : elle était cette sphère qu’elle parcourait de l’extérieur en tous sens à la recherche d’un point fixe qu’il lui fallait chercher sans cesse en se déplaçant constamment. C’est cette constance de l’emprise de la sphère omniprésente qui faisait d’elle un être double qui se laissait sphère, au point qu’elle finissait par s’imaginer être l’enfant baignant dans le liquide amniotique, celui-ci étant alors présent en tous points de l’espace sphérique, c’est-à-dire absolument nulle part. L’enfant qu’elle était devenu pour un temps parcourait la sphère en tous sens à la recherche de sa mère, mais cette mère qu’elle n’était pas, pas encore, à son tour ne pouvant être et se dire mère qu’à la condition expresse d’attendre un enfant, était seule à pouvoir dire intimement à l’enfant qu’il était enfant, son enfant, le chair de sa chair. Forte de cette pensée, il lui fallait alors, pour échapper au vertige de la sphère, faire douloureusement retour sur elle-même. Une pensée glaçante s’imposait alors : ayant cessé ses enfantillages, elle devait admettre qu’elle n’attendait pas d’enfant, que personne ne l’attendait et que personne au monde, absolument personne, n’attendait d’elle qu’elle mît au monde l’enfant de ses rêves, hormis elle-même. Redevenu extérieure à elle-même, elle pouvait alors entendre l’aveu initial par lequel elle basculait à nouveau dans la lucidité : aucun homme, jamais, ne désirerait la connaître intimement.

 

 

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