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Hypocrisies - Égoïsmes *
Supplément - Manitas VIII

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 Article publié le 11 septembre 2022.

oOo

Oui, oui ! L’industrie pornographique m’a approché. Mais de trop près au goût du système qui m’a métamorphosé. Il y a eu des tractations dans mon dos, lequel ne connaissait que le matelas pneumatique qui me servait de compagnon, souffle si régulier que je pouvais le croire aussi mort que l’étaient tous les autres. Personne n’avait survécu. La Main de Dieu lui-même. Il n’y a pas d’autre explication. Même le mathématicien le plus doué et médaillé ne peut envisager sérieusement de contenir ce phénomène dans un ensemble qui pour l’instant et pour des raisons qui échappent à l’esprit est impossible à concevoir. Pensez si ça m’a obsédé ! Je cherchais comme les autres, mais avec les moyens de mon angoisse, ce qui me démarquait nettement du commun des analystes spécialisés ou non. Ça m’a rendu presque méchant. Violent en paroles. Peu enclin à me laisser dominer au cours des conversations qu’on tentait d’imposer à ma confusion constante. Je voyais ces visages complets… Rien n’y manquait. Ils prétendaient me séduire, mais sans orgasme ! Ça ne leur a pas paru tout de suite impossible. Ils avaient de l’espoir, expectation de ceux qui n’attendent de l’existence que le progrès, tant pour eux-mêmes que pour ce que les autres pensent de leur travail au chevet du malheur en boîte. On m’avait promis une date d’achèvement desdits travaux, mais cette distance à franchir ensemble demeurait aussi vague qu’un ciel d’orage que le soleil crève d’en haut. Et dans ces histoires de contention, saperlipopette ! il y a toujours une fenêtre ! Une ouverture sur le monde — même limité à un parc ou une aire de stationnement provisoire… et personne pour l’ouvrir ou vous confier les secrets de la manœuvre. Le lit pouvait rouler, mais pas à l’intérieur de la chambre pour un voyage qui eût été limité à la circularité. On le poussait jusqu’à l’ascenseur où m’attendaient les conversations oiseuses d’un personnel rompu aux tâches d’accompagnement les plus éprouvantes pour l’esprit et ce qu’il contient de fragile et de facilement détourné de sa mission. Ça montait, mais le plus souvent ça descendait, parce que les machines attendaient leur heure en sous-sol. L’odeur du ciment frais remontait des cages vides d’escaliers. L’écho transportait les nouvelles, mais dans un fracas de pas précipités comme le sel dans l’acide. J’en avais les testicules réduits à la dimension minimale. Et il y avait toujours quelqu’un pour me dire que je n’avais pas à m’en faire : ils connaissaient leur boulot pour l’avoir déjà fait. Et plus d’une fois… !

Alice Quand m’écoutait, gratouillant le cul de son verre où rutilait l’or d’un soleil en déclin. J’avais craint des jambes squelettiques ou/et poilues sous la robe qui lui arrivait aux chevilles quand elle est descendue de la voiture, mais maintenant qu’elle les montrait au-dessous d’un slip à peine visible, j’étais aux anges. Le bikini l’avantageait. Et non pas ses fringues de puritaine qui cultive en secret les déserts de la perfection romaine. Nous étions descendus à la rivière et maintenant nous nous prélassions sur le galet jaune du rivage, à proximité des joncs réduits au silence. La vieille avait conservé son peignoir en coton bouclé, vert comme le printemps, mais ceinturé plutôt deux fois qu’une. Kol Panglas, qui ne se séparait pas de son cigare, lui faisait la conversation comme si c’était ce qu’elle attendait des autres. Je commençais à la connaître, la vieille ! Elle n’était pas aussi jeune qu’elle voulait le donner à penser. C’était du vieux, lourd et lent. Elle ne se déplaçait pas sans hésitation, sans cette fraction de seconde qui annonce la fin, le mouvement étant alors affecté d’une espèce de procrastination dont la paresse est l’élément moteur, si je puis dire, la paresse que l’existence finit par injecter dans les veines même du plus dissimulateur des praticiens de la comédie humaine, comme si la divine n’était au fond qu’une manière distinguée de jouer avec les autres, ceux qui un jour ou l’autre tiennent les cordons en préparant déjà l’œuvre posthume. Je cite Alfred Tulipe sur son lit de mort. Mais j’ignorais alors qu’il était à l’article de la mort. Curieuse agonie que cette fin bavarde…

Bref, Alice avait trouvé l’eau un peu froide et n’y avait trempé que ses pieds, des pieds soignés jusqu’à la beauté, et mon regard remontait jusqu’aux genoux, descendant ensuite la pente des cuisses jusqu’à la hanche traversée du lacet qui retenait le triangle du slip. On lui avait expliqué pour ma queue. Et elle ne semblait pas s’en inquiéter. Je jouais, en attendant une meilleure occasion de me donner en spectacle, avec les galets les plus plats qui ricochaient avec art sur cette eau sans vague qui se déplaçait en un seul bloc vert et compact, sans signes de poissons ou d’autres existences aquatiques. La fumée du cigare nous était offerte par la brise qui avaient d’abord traversé les feuilles en fin de processus. Et rien ne répondait à la voix de Kol Panglas. J’avais trempé ma partie métallique, mais sans oser aller plus loin. Je connaissais la mécanique de l’eau pour en avoir subi les forces lors du naufrage du Temibile. Alice avait entendu parler de ça aussi. Elle savait un tas de chose sur moi. Elle savait aussi que je n’avais pas réussi à convaincre un éditeur alors qu’Alfred Tulipe les aurait tous mis dans sa poche s’il avait joué le jeu qu’ils lui proposaient « en toute honnêteté ». Elle ne desserrait pas ses genoux, même pour prendre appui sur les galets et chasser le moustique d’un revers de la main. Une fois qu’elle était assise, ses jambes se collaient l’une contre l’autre et il ne se passait plus rien. Son buste pivotait de temps en temps quand elle m’adressait la parole, le soleil jouant avec l’humidité de ses seins. Les mains décrivaient des abstractions relatives à mes propres hypothèses. Pas une carpe pour briser la surface impeccable de l’eau ; on était aux antipodes du printemps.

« Je dis qu’il ne doit pas être désagréable de pousser le bouchon, répéta Kol Panglas.

— Alfred pêchait ici même, dit la vieille.

— Je ne te vois pas en train de surveiller un bouchon, fit Alice sans retenir aucun rire.

— Tu ne me connais pas vraiment, ma chère…

— Et il en attrapait de gros ! Je me souviens qu’une fois…

— Excusez-moi de vous interrompre, mais il me semble que votre téléphone est en train de sonner…

— À moins que ce soit le tien ! »

C’est moi qui décrochai, après un sprint dans l’herbe rousse. Primabor était au bout du fil.

« Mais je vous croyais partis… dit-il comme s’il s’était attendu à entendre la voix de crécelle d’Alice.

— Le voyage est retardé pour cause d’attentat…

— Il va falloir s’y habituer ! Je me demande combien d’années seront nécessaires… L’esprit humain est si inattendu !

— Je ne vous passe personne…

— Ah bon… ? Pourquoi ? Vous êtes seuls… ?

— Nous sommes descendus à la rivière comme je l’écrivais plus haut.

— L’eau est un peu fraîche à cette époque de l’année… Mais le soleil est-il au rendez-vous ? »

Il raccrocha en cours de conversation. Je ne l’écoutais plus. Il dut me croire absent ou occupé à autre chose. Il avait l’habitude de mes impatiences. Pourquoi cet appel ? N’était-il pas au courant de l’attentat qui… ? Nous en avions été informés par l’agence le matin même de notre départ. Nos bagages étaient déjà dans la voiture. Kol Panglas avait insisté pour nous « recevoir ». Alice… je ne sais pas. Elle n’avait pas commenté la nouvelle, ni celle de l’attentat, ni celle de notre attente indéterminée qui allait se passer dans la maison où elle avait d’autres projets à affiner. Avec ou sans Kol Panglas ? Il paraissait le double de son âge. Elle était à peine sortie de l’enfance. Du moins quand elle se débarrassait de ses fringues de citadine pour ne retenir que les deux morceaux de tissu qui servaient respectivement de slip et de soutien-gorge. Elle ne commenta pas non plus l’appel du docteur. Je n’en avais pas tout dit. La vieille s’était inquiétée :

« C’était long, dit Kol Panglas à sa place. Charlotte s’attendait à de mauvaises nouvelles… Je ne sais pas… Un mort… On ne sait même pas où ça s’est passé… Vous le savez, vous… ?

— Tu ferais bien de te taire, Kol ! »

Ça ne gazait pas entre eux, ouais ! Et la vieille me regardait comme si j’avais comploté pour retarder le voyage. On ne savait même pas combien de temps ça allait durer. Kol Panglas déclara que nous étions de bonne compagnie et qu’il fallait prendre la vie comme elle vient, loin de tout combat entre les hommes, avec une seule idée en tête : en profiter tant que c’est possible. Il ne répondit pas à la question, posée par Alice, de savoir comment il se conduirait quand ce ne serait plus possible ce qui arrivera un jour parce que tel que je te connais… Curieusement, une carpe nous observait, centre d’émission d’une série d’ondes qui atteignirent le rivage à nos pieds nus. Alice les recula. Les galets en savaient plus que moi.

« C’est à vous qu’il téléphonait, dit enfin la vieille.

— Non… bredouilla Kol Panglas. Je ne vois pas… Nous le connaissons, certes… Mais sans intimité…

— Il voulait savoir qui vous êtes… fis-je sans quitter l’eau des yeux.

Alice  : Il vous l’a dit… ?

— N… non… Je ne sais même plus de quoi nous avons parlé… Je n’ai pas dit grand-chose… à part : heu… mmmm… voui… mais… ah…

Alice : Vous badinez, Julien ! »

Je pensais à l’avion qui devait nous emmener au bout du monde la vieille et moi, son fils ! Alice croyait-elle à cette absurde hypothèse de vieille ronchonne qui ne m’a rien dit de son rôle alors qu’elle me force à jouer avec elle !

« A-t-il explosé ? dit Kol Panglas qui rêvait de bouchon. Au sol ou en l’air ? Je n’aimerais pas mourir comme ça… Heu… Je ne parle pas pour vous, Julien…

— Dieu… »

Mais je ne terminai pas la phrase qui retourna d’où elle venait. La carpe n’avait pas cessé de nous observer. Les ondes nous parvenaient intactes ou à peine brisées par les herbes qui émergeaient.

« Il a dû vous dire quelque chose et, comme d’habitude, vous n’avez pas écouté parce que vous aviez autre chose en tête… !

— Quelque chose d’important… ? »

Comme de me méfier d’Alice… ? N’était-elle pas en train de me séduire ? Et n’étais-je pas moi-même en train de succomber, avec pour seule perspective, une fois le plaisir consommé, un duel à mort avec ce Kol Panglas qui commençait à peine à exister alors qu’Alice semblait m’appartenir depuis longtemps… ? La vieille se dressa comme une bête alertée par un signe annonciateur d’ennuis à éviter. Elle ajusta les plis de sa jupe, époussetant les herbes tandis que les insectes, indéfinissables, continuaient de tourner autour d’elle. Elle voulait en avoir le cœur net :

« Je vais le rappeler, coupa-t-elle (car j’avais ouvert la bouche).

 

— Mais c’est peut-être à moi de le faire… suggéra Kol Panglas.

— Mêle-toi de tes affaires, mon vieux ! »

Alice, cette fois, jeta un mince galet dans l’eau, sans intention de ricochet. La carpe fila au lieu de disparaître dans l’abîme. Elle plongea plus loin. Kol Panglas était émerveillé :

« Vous avez vu ça ! Merveilleux ! »

Cette fois, Alice ne dit rien. La vieille s’éloignait, suivi par ses insectes, comme un cadavre qui prend la tangente sous le regard atterré de ses flics. Kol Panglas se leva à son tour :

« J’y vais, dit-il, au cas où ça me concerne… On ne sait jamais…

— Tu ne le connais même pas ! »

Il remonta le pré vénéneux. On l’entendit pester au moment d’écarter les fils barbelés ou de passer dessous. Alice ne se retourna pas. Cette fois, elle pencha ses jambes sur le côté, sans les séparer, et sa cuisse se posa sur les galets. Un bras, à l’oblique, recevait la lumière du soleil. Et toute la chevelure tomba sur cette épaule. Je voyais son profil d’héroïne de roman. Je pouvais croire que je finirais par la posséder. Une barque de passage vers l’amont provoqua une arrivée de vaguelettes presque écumeuses. L’homme nous salua. Je soulevai ma casquette. Alice tournait le dos à la rivière, spectacle dont il profita sans moi, le veinard ! À quoi étions-nous destinés… ?

« Il se mêle de tout ce qui ne le concerne pas, dit-elle sans me regarder. J’espère que ça ne vous gêne pas…

— Non ! Je suis moi-même un peu comme ça… heu… vous savez… ?

— Oui, je sais. Est-il donc si difficile de remonter la rivière… ?

— Je peux lui dire de ramer plus vaillamment… Le courant est puissant… On ne le dirait pas à voir la surface de l’eau si lisse, si tranquille… Mais s’il avait pris le chemin de l’aval, vous verriez comme il aurait filé ! Il n’aurait pas eu le temps de…

— Ne lui dites rien. Il prendra tout le temps nécessaire, I presume

— Je me demande ce qu’il va chercher en amont… Certes, je ne connais pas la rivière aussi bien que lui… Il y a longtemps…

— Vous connaissez les lieux… de longue date… N’êtes-vous pas le fils de Charlotte… ? Les enfants savent tout de la rivière de leur enfance… Ils ne peuvent pas oublier ça… Puis-je en conclure que ce pêcheur ne connaît pas la rivière aussi bien que vous… ?

— Je vous assure que… »

La barque atteignit péniblement les branches qui effleuraient la surface de l’eau un peu plus loin, puis elle y pénétra et disparut. Bientôt, le bruit de la rame plongeant dans l’eau s’atténua puis s’éteignit, comme si nous avions attendu tout ce temps pour nous en apercevoir. Là-haut, la vieille devait disputer le téléphone à Kol Panglas. Cette scène probable fit rire Alice qui secoua ses épaules, ses seins, son nombril et ses cuisses… Je me rapprochai d’elle, nourri de ce désir qui m’a souvent conduit aux pires actes, je le reconnais. Elle ne recula pas. J’étais déjà en train de mordiller le bout de ses doigts. Son autre main caressait ce qui restait de ma calvitie. Je ne me posai même pas la question de savoir pourquoi une femme acceptait de se laisser posséder par un monstre. Le désir est un marteau sur l’enclume. Et rien à forger. Tout est déjà joué. Je n’entendais plus la rivière. Je ne m’attendais pas à voir surgir la vieille accompagnée de son petit diable d’homme qui voulait savoir lui aussi pourquoi le docteur avait appelé. Et je me fichais d’en savoir plus sur ce sujet. J’arrachai le soutien-gorge sans ménager son scratch.

« Hé ! Comme vous y allez ! Je crois que le pêcheur nous observe, là, dans le feuillage…

— Qu’il aille au diable ! Je n’en peux plus ! Laissez-moi faire ! J’aime qu’on me laisse faire tout ce qui me passe par la tête !

— J’entends l’eau clapoter contre la barque…

— Non ! Nous sommes dans l’eau ! Vous et moi ! Vous n’avez pas froid ? L’eau n’est jamais très bonne à cette époque de l’année ! Pourtant…

— Ah ! Ne dites plus rien, Julien ! Continuez ! Ils vont nous surprendre ! Vous verrez comme cette journée sera spéciale ! Et quand je dis spéciale… »

Elle bavardait ! Ça me la coupait un peu, je dois l’avouer, mais le cœur y était !

« Voilà ! » s’écria-t-elle d’une voix de stentor qui me la coupa un peu plus.

Et simultanément, une queue surgit des profondeurs, d’une dimension telle que je cessai de penser à la mienne. Les bras qui me retournaient n’étaient autres que ceux d’Alice. Elle me plaqua sur les galets, dans trente centimètres d’eau au goût de vase, gluante et habitée. Je sentis mon anus s’ouvrir sous la pression de ce qui ne pouvait être que cette énorme apparition. La voix d’Alice était celle d’un homme !

 

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