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7 - Œufs au miroir
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 Article publié le 27 novembre 2022.

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Que burinez-vous sur le bronze, m’sieur ? Mon épitaphe, mataf ? Maintenant, je n’y changerai plus une traîtresse syllabe… Pousse la barrière, mon Diogène n’est pas méchant. Il en a mordillé des fesses et des mollets d’huissiers et d’importuns de tout poil, l’animal. Tu vois, je n’ai plus la force de retourner mon lopin. Ai-je bien fait ? Aurai-je de l’herbe ? Ô poètes qu’on tient si parfaits comme l’entend François de Malherbe ! J’aurai de l’herbe, car j’ai bien fait. La force, ni le courage. C’est que je marche sur mes mille ans. Mille ans ? Mille… Peut-être plus. Qui sait ? Tout passe, tout lasse, tout casse ! Après des volumes et des volumes pour me raconter, pour narrer mes saisons, pour me rappeler mes plaies et mes bosses, mes divagations et mes incartades… Ces quatre vers à la façon de Neuf-Germain me résument. Ils feront l’affaire. Ci-gît… Ci-gît, passante, au fond du TROU,/Un qui ne chanta les comBAts/Ni l’or, ni les cavalcaDOURs…/Ci-gît le dernier TROUBADOUR ! Trou-ba-dour ! Les troubadours, les trouvères sont des trouveurs qui vadrouillent de trouvaille en trouvaille. Ils trouvent ? Ils se trouvent ! Là-bas… Ils se retrouvent ? Ils s’y retrouvent, vaille que vaille. Tu me suis, flibustier ? Je m’égare, m’sieur. Alors, tu es sur la bonne voie. On jouera à Il vaut mieux ? Il vaut mieux bien faire le mal que mal faire le bien. Ça… C’est Ovide ! Je jure, je crache… Enfant, j’ai fait le serment de ne pas y aller par quatre chemins. Où, m’sieur ? Là-bas ! Je suis resté sur le chemin des écoliers. J’y vais tout de même, là-bas. Les cailloux, les buissons, les comptines…

 

J’avais une troupe de masques. Je faisais le pas devant comme une sentinelle perdue. Les mains creuses, le cœur en bandoulière, sans cervelle, j’allais à sa rencontre. De qui ? De la Mort, pardine ! De la Mort ! Elle n’est pas fille à te hocher la bride et le mors, la Mort. Ni canevas, ni guide-âne ! Sous mon cache-misère, ma guenille à gros grains d’orge, je démêlais machinalement des rosaires de perles de Venise, de Rome… Des perles baroques de cristal, d’ébène, de plomb, d’or… Tu es venu jusqu’ici pour défiler des perles ? Quelles perles, Mame ? Son manteau de bure couleur cassonade, cousu de pretintailles, balaye mes automnes. Que de futailles sur le cul, que de charretons, les bras aux nues, que de bêtes errantes… La tignasse en bataille, je cueille des coquelicots dans les blés. La fleur de l’âge ! Elle me prenait par le cou, je la prenais par la taille dans mes juvenilia. Puis vint le primevère1 des rondes, des banderoles, des pamphlets, des armes… Comme Byron, je me suis peint en mes poèmes pleins de chevilles, en mes chansons farcies de revenez-y, en mes couplets de facture, en mes romans-feuilletons en langue romance, en mes tissus de songes et de belles paroles, en mes tirades tiraillées, en mes envois enlevés… Que de pensées ! De toutes ces lignes, je n’en sais plus une broque. Passe le cap, capitaine ! Des pans du passé, j’arrache les tapisseries, les mosaïques, les boiseries, les piquants, les tessons, les barbelures, les trompettes… Je rends mon âme et mon sarrau, ma camisole et mon esprit, mes loques et mes idées, mes planches moulinées par mes vers et par mes proses… Rends-toi ! Rends-toi ! J’écris dans l’haleine d’un vent de lavande. J’épouille, j’époudre les perruqueries de boulevard et de kiosque. J’ai couru. Ça va, m’sieur ? Un simple essoufflement, boucanier. On dirait que j’ai dormi d’un somme pendant mille ans. Mille ans ? Mille ans… Peut-être plus. Plus ?

 

Cinq heures ? Deux tasses… Du lait, mon ange gardienne ? Un nuage. Mille ans avec ma mie. A force de jouer la Belle au bois dormant… Le Prince charmant s’attarde dans un conte. Le Prince s’est fourvoyé dans la forêt, il a couché dans la cabane d’une lessivière, il a mangé du pain dur et des croûtes de fromage, il a bu de l’eau de pluie, il a réemmanché un lourd battoir, il a fagoté des branches sèches, il a rafistolé des cordes… Je suis revenu trop tard.

 

Un guéridon de bistrot, une chaise paillée, un pagnot, quatre caissettes, une gazinière, un mirus… Un grand miroir un peu piqué a agrandi ma baraque. Je ne suis plus seul. J’ai désormais quelqu’un à ma table, quelqu’un attentif à mes propos, quelqu’un qui me souhaite une longue et merveilleuse nuit… Quelqu’un. C’est quéqu’un, çui-là ! Vous vous tenez compagnie. Je me tiens compagnie. Deux étions et n’avions qu’un cœur ! Et puis, toutes ces voix ! Et puis… Et puis, coûte que coûte, je tends à mes fins. Toujours et jamais seuls, le bonhomme et son chien !

 

J’écris ce que les autres ne savent pas écrire. Je n’empiète pas sur les plates-bandes de pissenlits et de mauves de mes contemporains, ni n’y braconne. Etre moderne… Hier ? Aujourd’hui ? Il suffit de verbiager au bord d’un précipice défleuri, de délayer des rêvasseries dans un jarron2 d’ambroisie, de coqueriquer sur les toits, de tournailler autour d’un clocher … Plus de remous que de sillage, plus de bacchanal3 que de besogne. Mais être moderne dans deux siècles, plumitif, ça c’est une autre paire de hanches… N’est-ce pas, Erato ? Etre ou ne pas être moderne, ce n’est pas la question ! Des mots ! Des mots ! Le timbre, le ton, le geste… L’emphase ! Les soi-disant avant-gardistes, ceux-même qui donnent la bénédiction sans l’avoir reçue, qui se figurent en remontrer à leurs pairs et à quiconque, redeviennent souvent, avant de lâcher leur bagage et de tirer leur révérence, Gros Jean comme devant. Des morts ! Des morts ! J’écris à la moderne ! Et toi ? Moi, J’écris. Qui me le demande ? Reprends ton bâton de maréchal délogé, ton bâton de pèlerin d’Emmaüs, ton bâton d’escamoteur, ton bâton d’aveugle, ton bâton de mesure… Ton bâton de vieillesse, petit père peineux et peiné ! Tu te dis que le vioque a des compartiments à louer dans sa caboche pesante, non ?

 

J’ai débarrassé le grenier d’une vieille poupée toute en coton et en dentelles. Prenez ! Prenez ! Un tabouret de condamné, une malle à malices, un soufflet de cheminée, un lutrin, une potiche du Japon, une lampe d’Argand4, un bilboquet… Prenez ! Un mannequin d’osier, une toupie d’Allemagne, une paire de pigeons d’argile, un gramophone… Mon mari était prestidigitateur, illusionniste, magicien…. C’est mon tour à disparaître, mon bon. Il m’a coupée en deux, étendue sur des clous, pliée en quatre dans un tube… Pendant plus de… Une vie. Je ne regrette rien, comme dit la chanson. Des habits… Il avait votre corpulence. Des indigents, vous en connaissez ? Ils ne sont pas tous aux coins des rues. Des chapeaux, des foulards, des balles… Vous en voulez ? Sa bicyclette… Trois dés dans un cornet. Alea jacta est ! Vingt fois par jour, j’abolis le hasard. Regarde, pirate ! Hop ! 421 ! A toi. Hop ! 421 ! A moi ! 421 ! A toi ! 421 ! Encore ! 421 ! C’est décourageant.

 

J’ai hanté un château ; croupi dans une cave, bricolé dans une remise, noirci des calepins dans une chambre de bonne, déclamé dans des combles, été prisonnier dans une tour… Et puis, j’ai construit ma bicoque sur des ruines. Déguerpissez ! Déguerpissez ! Un jour ou l’autre, sur leurs engins, ils viendront. Les commodités… Une fosse, une guérite, un puits… Le puits, c’est ma glacière. J’ai maçonné la margelle. Le ferrailleur m’a installé la poulie. J’ai rayé mon pays de la carte ! Le brave, pour dormir dans sa terre, il y est retourné. J’ai toujours eu des poules. Tu as vu leur abri ? Alors, l’œuf ou la poule ? Je parie pour la poule, m’sieur ! Gagné ! Des œufs de plâtre dans deux paniers… Elles y pondent. Elles ne pondent pas ailleurs ? Non, elles savent, les cocottes. J’ai un creux, lardon. On se casse deux œufs ? Ris-t-en, galapiat, on te frit des cocos ! Les gélines rousses de mon enfance… On riait de tout. Des pets, des rots, des mots fourchus… On riait. Petan, ce qu’on a ri ! Le portrait, c’est Jehan-Rictus, le poète… Par Félix Vallotton. Tiens, tu liras Fil-de-Fer ! Ne l’abîme pas.

 

Pendant que ça cuit, on prépare un paillasson de feuilles de salade… Elle est de ce matin, la laitue ! Elle t’ouvre son cœur. Amouraché, l’es-tu ? Si on ne croit plus aux salades, dans quel potager sommes-nous ? Les tomates, en quartiers… Les poivrons, en cubes… Des champignons de Paris… L’ouvre-boîte… Là ! Rince bien. Je râpe quatre aimables carottes… Cette râpe reste dans la famille… De testament en testament ! Je suis le dernier rescapé… La lignée se brise. Mon beau sapin… Un drap mûr, une râpe usée, trois dés, quelques bouquins… Le reste tu le bazardes. Diogène ! Les mioches de la roulotte… Ils sont marrants avec leur carriole déglinguée. Un filet de vinaigrette. Du pain… La boule, dans le torchon ! Deux épaisses tranches ! Le jaune, tu le préfères comment ?

 

La chaise ou le tabouret ? C’est la Galerie des Glaces ! Le beau linge ! La nappe et les serviettes brodées… Les couverts d’argent, l’assiette de porcelaine, un bohème… Une toile cirée à carreaux, la fourchette du sénile Adam, un couteau de Jean Collot5, l’écuelle de Diogène, une chope égueulée… Pâques… Les œufs trempés dans le sang du Christ. Les gens offraient des œufs au curé de la paroisse. Le cléricafard6 goupillonnait les maisons. A l’église, y allait-on pour autant ? Non, en dehors des baptêmes, des communions, des mariages, des enterrements… Les baptêmes… Des sous ! Des sous ! C’est votre chiard, dame ? Quel œuf ! Quel œuf ! Je m’inventais des péchés mortels. Des Pater et des Ave à la queue leu leu !. Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y ! Et nous, nous resterons sur la terre qui est quelquefois si jolie. Je vous salis ma rue… Je vous salue ma rue pleine de grâce, l’éboueur est avec nous. Et puis, gabier, mes pastiches sacrilèges que je chantais à tue-tête et à cloche-pied. Quel fatras, m’sieur Prévert ! C’était dans le midi. Sale et poivre à ton goût. Pour ma part, je suis plus poivre que sel. C’est l’occasion, je débouche un cidre doux. D’où ? Normandie. Le facteur… Chaque année, j’ai ma bouteille et des vœux, mon neveu ! Pour couronner le tout, une compote des Hespérides ! Je remonte le seau…

 

Les jours de barbe… Mon frac, mon jabot, mes vernis… Valet ! Je dîne aux chandelles avec la Labé, avec la Ségur, avec la Malibran, avec la Rosalba, aves la Proserpine… Les proses de Proserpine à la minuit, c’est quelque chose. En tête-à-tête avec Narcisse, je crève la dalle. Je vous livre, dit Heurtebise à Orphée, le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Va et vient ! Le miroir de Manet, de Duchamp, de Bacon, de Magritte… Les miroirs vides de la Renaissance. Je pérore. C’est mon lot, matelot ! Les miroirs de Bonnard ! Pain et œufs de Cézanne ! Une huile sur toile. Fabergé ! Je te parlerai de tout ça… De tout ça. L’œuf de Colomb ! Il suffisait d’y penser. J’y pense, moussaillon. Comme disait ma mère : Tais-toi et sauce !

 

Robert VITTON, 2009

Notes

 

1- Primevère : Printemps (nom masculin).

2 - Jarron : Petite jarre.

3 - Bacchanal : Grand bruit, vacarme…

4 - Lampe d’Argand : Du nom du physicien genevois Ami Argand, inventeur de cette lampe à double flux d’air vers 1780. Plus tard, cette lampe prit le nom du fabricant Quinquet.

5 – Les couteaux de Jean Collot : plus mauvais les uns que les autres.

6 - Cléricafard : Mot forgé à partir de clérical et cafard.

 

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