J’ai été mis au jour pour être donné à la mort. À la nuit. Comme tout le monde. Mais avec moi ça a failli arriver tout de suite. Comme Picasso. Je suis né mort. Ou mort-né comme on veut. Et pas d’oncle médecin pour me souffler la fumée de son cigare dans le nez qui m’aurait ramené à la vie, comme Pablo. Moi je sais pas. Je sais seulement que je m’en suis sorti tout seul contre l’avis des toubibs. Je suis mon miracle.

Ensuite, longtemps après, il y a un jour mieux que les autres. Le jour où j’ai compris qu’écrire et boxer c’était la même chose. Une page, ça sent la salle de boxe. Ça pue. Ça sent les mots dégueulasses. Le combat à mort. Boxer. Et comme avec la boxe, faut reculer pour avancer afin que la mort ne suive pas de trop près. Jouer avec elle mais à distance. La maintenir. Savoir s’appuyer sur son pied droit pour cogner du gauche. La main droite confondue à la main sinistre. J’uppercut tout ce qui bouge. Je frappe. J’écris sale. Je pue. Je me débarrasse des afféteries. Des phrases caves cons ! Ô boxer, tout foutre en l’air ! Même l’air, le saigner. Noircir en rouge ! Fumer les lettres, les nulles, les grosses, les petites, les délavées, les sans bulbe, les désastreuses, les pauvres, leur montrer comment ! Avec leur viande ! Danser torse nu dans la bidoche ! Bander la mort ! Boum ! Joie, joie, jouir de mourir ! Boxer grands pieds, carmagnole, jouer à la vie inverse, crever l’inutile aux lettres sans vent. À la trappe entre ciel et terre ! Au pal ! Comme dit l’autre, le dieu c’est le pal qui pointe sa tête comme un crochet du droit s’enfonce dans le gras de la mort ! Aboyer contre l’ombre, chanceler ivre, les yeux rouges et la queue entortillée autour de la lettre ! Vivats !

Peinture de Jacques Cauda