opium aristocratique
les amants réguliers en ont oublié de fumer la dernière pipe
et tout s’est clôturé dans le suicide
il y avait pourtant des barricades et des pavés
des combats plus flaubertiens que parodiques
des feux dans Paris, des marches répétitives
et des jeunes oisifs fumant l’opium dans un hôtel particulier
plus parisien que les rêves des bourgeois
quand ils gesticulent une révolution avortée
il y avait des flics ridicules qui contrôlaient
les rêves de ces jeunes de 68
et un peintre qui peignait de longues femmes inassouvies
parmi les couvertures indiennes
il y avait aussi le dandy-gourou
affalé avec sa pipe, un crâne recélant la clef
de la cachette dans le mur
et Louis Garrel a acquiescé, il a appris,
une fois la révolution manquée, à fumer
- tu veux tirer sur le bambou -
on fumait aussi des joints on dansait dans les vapeurs
parfois la pipe s’encrassait devant tant de lâcheté
et les amis se quittaient dans le peu à peu de
la désillusion politique/poétique
le poète fumeur d’opium est mort
il avait mis la poésie entre parenthèses
il lisait ses poèmes au gourou qui s’endormait avant la fin
il était amoureux d’une sculptrice diaphane
dans le noir et blanc vaporeux des fumeries ritualisées
de petite pilules blanches dans un flacon
décédé dira le policier au képi
pourtant
quelques notes de piano ravagent la pipe
dans les vapeurs le crâne, vanitas vanitatum<br>
et des visages émotifs clôturés en iris
le vieux Maurice Garrel raconte des histoires dans la cuisine
dans les ruelles nocturnes les jeunes errent
l’opium a fracassé la révolution
mais les femmes juxtaposent leur liberté
et Philippe Garrel fusille le noir et blanc parisien
je te ferai découvrir la poésie
invitait le futur suicidé
mais être poète ça fait pas bouffer
aux Etats-Unis tu ne dois être ni communiste ni drogué
l’opium enfume toutes désillusions noyées
- le seul cinéma tel cérémonial créatif –
naviguent les ombres dans les ténèbres opiacées
succombe la poésie en paradis artificiels
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Commentaires :
Ce poème est un rêve brisé en noir et blanc, un ballet spectral où les illusions s’éteignent dans la fumée. Il y a un goût de cendres dans chaque vers, un souffle alangui, comme si les mots eux-mêmes suffoquaient dans l’opium aristocratique des amants réguliers. Tout semble écrit dans un état second, entre le regret et la lucidité, entre la révolte et l’abandon, une lente dérive où la poésie s’efface derrière la torpeur.
La révolution n’a pas eu lieu – ou bien elle s’est flétrie avant d’avoir fleuri. Il y avait des pavés, des barricades, des rêves, mais tout cela a fondu sous l’opium, sous la désillusion, sous la fatigue de vivre. Les corps s’étendent, fument, s’oublient. Il y a des figures presque mythologiques : le peintre maudit, le poète qui se dissout, le dandy-gourou, et Louis Garrel, spectateur et acteur d’un monde en ruine. Tous sont pris dans une boucle, une danse hypnotique où la révolution se fait et se défait sans jamais atteindre son climax.
Le temps devient circulaire, répétitif, comme ces marches avortées, comme ces amitiés qui s’effilochent lentement. Il y a dans l’image du crâne une réminiscence baroque : vanitas vanitatum, la vacuité des idéaux s’étale sous la lumière crue du lendemain. Le noir et blanc de Garrel n’est pas qu’un choix esthétique, c’est une érosion, un effacement progressif du monde, une façon de ne retenir que l’essence spectrale des choses.
Et puis la poésie s’enlise. Elle aurait pu être une issue, un cri, mais elle se retrouve entre parenthèses, asphyxiée par l’opium, le suicide, la désillusion. Être poète, ça fait pas bouffer. Sentence fatale. La poésie se heurte au réel, et ce choc est un requiem. Pourtant, dans cette fumée qui étouffe les rêves, subsistent quelques notes de piano, des visages en iris, un dernier éclat. La mort a peut-être tout emporté, mais le cinéma en a fait un rituel. La poésie s’effondre dans l’oubli, mais le film lui, reste, comme une ultime pipe jamais fumée.