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Le calepin d'un fragmentiste - 46 - Attaches
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 Article publié le 10 novembre 2024.

oOo

Avec mes coups de gueule, avec mes déballages,

Je suis bien du pays, ma gueusarde au parfum ;

La cité de l’amour, la ville aux cent villages,

Aux bals de la Saint-Jean alpague mes défunts.

 

Je suis, malgré tout, un poète irrémédiable,

Un démon de Paris, un dément du Midi,

Tout est à la culbute, en désordre, à la diable,

Je m’écoute parler et fais ce que je dis.

 

J’oublie, de plus en plus, mon vieux Pégase à l’herbe,

Je me plante à Saint-Ger pour reverdir un peu,

Je pique-nique avec Florian, Prévert, Malherbe,

Barberi nous chignole un fond d’air sirupeux.

 

Issy-les-Moulineaux, Clamart, Meudon, Vincennes…

Je déparle avec les mots, les gestes, l’accent

De chez nous. Sans effort, je remonte la Seine

À nage ; en planche, sans vie, je la redescends.

 

Les colonnes Morris, les fontaines Wallace

-Brosses et seaux à la colle des afficheurs -,

Les marchés, les quais, les ponts, les parvis, les places…

-Bonimenteurs, crieurs, saltimbanques, trucheurs…

 

Par respect, je me lève après l’astre solaire

Qui donne à plomb et à plein sur les caberlots

Et change en feux grégeois les plus atrabilaires

-J’ai ma casquette en toile et ma blague à perlot.

 

Je donne ma langouse aux chattes qui roufignent

Entre mes bras, dans mes guiboles. Celles-ci

Me mordillent le gras, me lèchent, me grafignent,

Jusqu’au sang… Celles-là m’éreintent sans merci.

 

J’aurai souffert mort et passion à vous attendre,

Les muses de banlieue ont trop de prétendants,

Elles ne savent plus à qui, auxquels entendre 1,

Entre-nous, ils ne sont pas du tout regardants.

 

J’ai bu de l’eau de la fontaine de Jouvence,

Ce tantôt je boirai de celle du Léthé,

Mes gueuses de Paris, mes garces de Provence,

J’ai remis nieurs et rieurs de mon côté.

 

Le Diantre soit loué, je fais mille ravages

Dans les parcs Montsouris, Georges Brassens, Monceau…

Le bruit court que je n’ai soif que de doux breuvages,

Que je feins d’avoir faim que de très fins morceaux.

 

 

Je bave et dégobille à la poupe, à la proue,

À bâbord, à tribord de la nef N-D.

On estrapade, on pend, on crucifie, on roue

Sur les ponts, sur les quais fleuris et guirlandés.

 

Je vis aux crochetons des coltineurs de berge,

Des vagants, des biffins, des grues, des tafouilleux,

Des naufrageurs, tous pris dans les rets des gamberges

D’un Paris en chantier, d’un Midi cafouilleux.

 

Je suis un pistachier, un juponnier, un reître

À la lavande, à l’ail, à l’anchois, à l’hareng,

Et à vous croire, un vieux beau pas tout à fait traître

À son âme, à son cœur, ni à son corps mourant.

 

Mes blagues d’écolier ne passent pas de mode,

J’en rigole toujours ainsi qu’un gobelin,

Je m’exaspère à mort et je me raccommode,

Vous pouvez me sonner, drelin, drelin, drelin…

 

Ici, rien n’est joué, tout est à face ou pile,

Tout est à la merci d’un dernier coup de dé,

Ces asservissements, à la fin, m’horripilent,

Et tant pis si parfois j’outre mes affidés.

 

Olibrius, que des petits riens asticotent,

Vous qui jouez les gros bras jusqu’au dégainer

Et qui lantiponnez jusqu’à la Pentecôte,

La galerie n’a pas fini de s’étonner.

 

 

Je fends par le milieu les fruits de mes maraudes,

Mes poires pour la soif, mes désespoirs si beaux,

Tout tourne à la farce et la fine fleur faraude

Avec ses jardiniers et ses porte-flambeaux.

 

C’est fou, non, tout ce qui se fourre dans mes rêves :

L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat,

Une halle aux poissons, des débardeurs en grève,

Des rendez-vous manqués avec Paul Carpita2,

 

Saint-Sulpice, la Vierge à l’enfant de Pigalle,

Les Puces de Saint-Ouen, des fiacres cahotants,

Des ramasseurs de chiens, des ferreurs de cigales,

Des effarés, des bas-bleus, des rogers-bontemps…

 

Je te prose et te rime à dos d’âne, d’autruche,

De coquecigrue, d’homme, en guimbarde et à pied,

Ô mon Paris, ô mon Paname, ô mon Pantruche.

J’aime à être un lampiste, un affreux frelampier.

 

La milice patrouille à des heures brisées

De la rue Quincampoix à la gare du Nord,

De Notre-Dame-des-Champs aux Champs- Élysées.

La classe ouvrière a tu ses voix de ténor !

 

 

À ces chebecs, à ces tartanes, à ces Châtes3,

À La Sartine qui a bouché le vieux port,

Mes aïeux, mes aïeuls vous vous y attachâtes,

En mer on se salue, deux doigts au tapabor.

 

J’aurai mon entonnoir et mes coups de fourchette.

En voiture ! Les rails s’en vont jusqu’à la mer…

Qui veut que je me vende et que je me rachète ?

J’ai beau buffeter doux, ma plume crache amer.

 

Vingt ans… Toulon…Le port …Nos rendez-vous insanes4,

L’homme de bronze5 et les atlantes de Puget,

Ces deux portefaix en pierre de calissanne6.

Aminches, nous étions pleins de notre sujet.

 

Ce n’est pas tous les jours que l’on s’en emballe une,

Ma dernière tricote une écharpe à Iris,

J’ai été, pitoyable, un couillon dans la lune

Avec mes madrigaux, mes bouquets à Cypris.

 

Tous me pompent l’air et le sirop de Paname,

Tous, tous, boulevardiers, basses pègres, gratins,

Mutins du Boul’Mich en cherche d’un cœur, d’une âme,

Rimeurs montparnassiens, gueux germanopratins…

 

Tous, tous, vous dis-je, tous, tourneurs de manivelle,

Avaleurs de frimas, fagoteurs de romans,

Donneurs de galbanum7, tourmenteurs de cervelles,

Ramasseurs de mégots, rendeurs de faux serments…

 

Récupère tes bras, ton bissac et tes quilles,

Et va voir, tout là-bas, à dache si j’y suis.

Aie au moins du regret pour toutes ces broquilles

Et ces plombes perdues pour toujours ! Tu me suis ?

 

 

Va, je suis, tron de l’air8, bien l’enfant de ma mère,

Du pays de la vigne, imbu de son endroit

Et parfois, quant à faire, un amant éphémère,

Lorsque, coquin de sort, la fève me fait roi.

 

Marseille appartient à celui qui vient du large,

Il rêve à La Joliette, à la Belle de Mai,

On voit venir de loin une fragile barge…

Et Paris est à ceux qui ne dorment jamais.

 

Les marins badent leur putain de Bonne Mère,

Avant de s’embarquer sur les flots chamailleurs.

Je baye aux pétrels, aux sirènes, aux chimères…

À Paris, il y croît des badauds plus qu’ailleurs,

 

C’est ce qu’a remarqué notre Pierre Corneille.

Phocéens, Pantruchards, laissez-vous empailler,

Tantôt, j’étais encore à bayer aux corneilles,

On y baye en voyant les autres y bayer.

 

On attend le sonneur tout comme le messie,

On embauche au zinc sur les fameux douze coups,

On délie notre langue, on affûte nos scies,

Mais au grand jamais notre union ne se découd.

 

Elle est là ! Elle est là ! Qui ça ? Où ça ? Devine ! 

Même si l’on dit des tas de choses gratis,

Elle est là, bouche en cœur, œil doux, bonté divine !

La Vérité, au fond d’un verre de pastis !

 

 

On boustifaille, on picte, on se vide les couilles,

Tout ça dans le quartier des corbillards à nœuds.

La tronche nous tinte et le bide nous gargouille,

Nous n’irons plus au bois, à la fête à Neuneu.

 

Je claque sans avoir mis la Seine en carafe,

Sans avoir rompu la tour Eiffel en tronçons,

Mon épitaphe est en quête d’un chrysographe

Et mon suaire d’une aiguille d’Alençon.

 

Astreint à la brouette, à la pioche, à la pelle,

À la dame, à la meule et au marteau-piqueur,

À la rame, à la rime, au clan, à la chapelle,

Aux cippes de Buren, au crémeux Sacré-Cœur,

 

Au fond de ma fouille, un presque rien de mitraille,

Mourrai-je sans voir les falaises d’Étretat,

Les tours de la Rochelle, Avignon, les murailles

De Toulaud ? Je m’insurge et tire dans le tas !

 

Tu montes ? Je suis à sec, sans os, sans oseille,

La lanterne rouge en potence du bordel,

Serviette nid d’abeille et savon de Marseille,

Une lampe Pigeon, un tango de Gardel…

 

Du bord, on dirait des barques, ce sont des bières,

Dans la brume – toujours le même cauchemar-,

Je remonte clopin-clopant la Canebière,

Mon rêve noir m’encage, enfant, au cirque Amar.

 

 

Nous sommes là, tous à faire bonne figure,

Nous portons sur l’esquine une pesante croix

Sous des ciels traversés d’effarouchants augures,

Et pendant ce temps, sur les tueries, l’herbe croît.

 

Je me fais à l’occase, enjoué pamphlétaire,

Je vous abaisse en vers les plumes, les ergots,

La crête et le bec. Et vous qui me vouliez taire,

Pantoise faune du Flore et des Deux Magots.

 

Sur mes flânes de nuit, je redoute tes messes

Noires, tes échafauds et tes autodafés.

Tout ce que je répands ne va plus au Permesse9,

Ou si peu, tout juste aux terrasses des cafés.

 

Un croquenot dans la fosse et l’autre au musette,

Maintenant, je saurai sur quel panard danser,

Pourquoi tergiverser, pourquoi tant de causettes ?

Ma vie, je n’ai jamais su la recommencer.

 

Un encrier sans fond, une plume éperdue,

Et sous le poing nerveux, l’imbriaque10 buvard.

Capitaine d’eau douce ou vedette11 perdue,

Je naufrage au port, mes rescapés sont bavards.

 

Qui s’y frotte, s’y pique, une belle rascasse

Pour le ballon ovale et pour le ballon rond12

Le plomb nous ensuque13 et le mistral nous fracasse ;

Jadis mon mont Parnasse était le mont Faron 14.

 

 

Nous avons tous un proche ou une connaissance

Qui se lève le maffre15 à la Sorbe16 à Toulon ;

J’y ai limé la tôle et paumer l’innocence.

Comme partout, certains ont les côtes en long.

 

Se piéter contre tout… Preux joueur de pétanque,

Je lançais le bouchon toujours un peu plus loin,

J’enlevais mes béguins… Les criques, les restanques17.

Je faisais l’ânichon pour brouter leur sainfoin.

 

 

Puisqu’il me faut plier bagage pour la frime,

Je péris dans la peau d’un aède à tous crins,

Sur les tréteaux sanglants du boulevard du crime,

La dépouille mangée aux vers alexandrins.

 

Va, va voir là-bas où les pénitents se peignent

Sous les orémus, les requiem, les motet…

Va voir là-bas si j’y suis, figure d’empeigne !

C’est qu’il y est allé, le fada… j’y étais.

 

 

 

Robert VITTON, 2024

 

Notes

 

1 - Elles ne savent plus à qui, auxquels entendre : ne pas savoir à qui ou à quoi il importe de faire attention.

2 - Paul Carpita : né et mort à Marseille 1922-2009, réalisateur, scénariste de courts, de moyens et de longs métrages, des reportages sociaux et engagés. L’une de ces œuvres maîtresses, Le Rendez-vous des quais, fut saisie à sa première projection en 1955 et resta censurée jusqu’en 1989

 3 - Châte : sorte de grand chaland qui ne navigue plus, servant de remise dans le port de Marseille.

4 - Insane : contraire au bon sens.

5 - L’homme de bronze : génie de la navigation de 5,40 m de haut, inauguré le premier mai 1847, de Louis-Joseph Daumas, on dit aussi Cuverville.

6 - Pierre de Calissanne : extraite d’une carrière de l’antiquité à 1914, non loin de l’étang de Berre, elle a la beauté du marbre. Les Atlantes de Pierre Puget 1620-1694, né et mort à Marseille, architecte, sculpteur, peintre baroque, sont taillés dans cette pierre.

 7 – Galbanum : donner du galbanum, de fausses espérances.

8 - Tron de l’air : irrascible, qui ne tient pas en place.

9 - Permesse : source de la Béotie consacrée aux muses.

10 – Imbriaque : ivre.

11 - Vedette : sentinelle à cheval.

12 - Qui s’y frotte, s’y pique, une belle rascasse pour le ballon ovale et pour le ballon rond : ce poisson à grosse tête, hérissé d’épines, illustre la devise des clubs de football et de rugby de la ville de Toulon.

13 – Ensuquer : assommer.

14 – Faron : ce mont de 584 m, dominant Toulon, offre une vue panoramique, comme on dit, imprenable.

15 – Se lever le maffre : fournir un effort important.

16 - Sorbe : appellation de l’Arsenal de Toulon, ses ouvriers sont les Sorbiers, expression qui viendrait de la Marine à voile, du temps où les navires étaient en bois. Paraît-il le bois du sorbier ne travaille pas. La Sorbe, la Sorbonne des Toulonnais.

17 – Restanque : muret en terre sèche, soutenant une culture en terrasse.

 

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