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Le panier de crabes.
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 Article publié le 15 octobre 2008.

oOo

Il était une fois…

Une petite fée qui s’appelait Mymy.

Elle pleurait doucement, assise là haut sur son nuage. Elle était triste parce que son ami Julien ne la laissait plus entrer chez lui.

Depuis quelque temps, en effet, il fermait la porte de ses rêves et Mymy ne pouvait plus le rejoindre pendant son sommeil.

Elle connaissait bien Julien, Mymy. A sa naissance, elle l’avait choisi. Chaque fée, dans le ciel, choisissait ainsi, pour la vie, son petit nouveau né, dés que celui-ci poussait son premier cri. Elle le suivait ensuite, de loin, tout au long de son existence, partageant ses joies et ses peines, mais ne pouvant le rejoindre que la nuit, dés qu’il s’endormait. Alors, elle prenait sa main et le guidait dans ses rêves, vers les étoiles.

Mais en cet instant précis, Mymy, impuissante, regardait Julien qui rentrait chez lui, après sa journée de travail.

Elle le vit, très en colère, balayer la table de sa cuisine d’un revers de main. Il venait de trouver, comme chaque soir, un nouveau panier de crabes. Paniquées, les bestioles affolées se répandirent sur le sol, tentant désespérément de se regrouper dans leur tanière. Julien, saisit alors un balai et entreprit de les chasser, déplaçant les meubles, les chaises et la table. Furieux, il ouvrit violemment la porte et expédia, à grands coups de pied cette engeance grouillante et malsaine vers l’extérieur.

Puis il s’assit, épuisé. Se prenant la tête dans les mains, les coudes posés sur la table, il sanglota doucement…

Lorsqu’il releva la tête, les yeux rougis par la fatigue et par les larmes, il fixa longuement le mur, en face de lui. « Ce n’est plus possible, pensa t-il, chaque soir c’est la même comédie, je n’en peux plus. »

La petite fée ne savait que faire. Julien allait partir se coucher et, comme chaque soir depuis des années, il s’endormirait tard, d’un sommeil si agité qu’elle ne pourrait pas le rejoindre.

Dépliant ses petites ailes transparentes, Mymy décida de consulter sa consoeur qui se tenait prés d’elle, sur un nuage voisin.

- C’est quoi, ce panier de crabes que mon gentil Julien trouve chaque soir sur la table de sa cuisine ? demanda t-elle

- Je ne sais pas, répondit son amie. Tout ce que je sais, c’est que tous les humains, un jour ou l’autre en sont victimes et qu’ils se débattent longtemps avec ça… Nous n’y pouvons rien. Ils doivent se débrouiller seuls. Mais ne t’inquiète pas, ils finissent par y arriver. Du moins, en partie. Je pense qu’ils font ce qu’ils peuvent …

- Mais ça dure vraiment très longtemps ?

- Oui. Mais cela dépend…
- De quoi ?

- Ça dépend de ce qu’ils en font. Ce qui est certain c’est qu’ils ne peuvent pas s’en débarrasser en le jetant. Alors, ils s’y habituent et beaucoup d’entre eux font semblant de ne pas les voir. Et, quand les bestioles sortent du panier et se baladent dans la maison, ils souffrent. Elles font pas mal de dégâts, et ensuite elles reviennent dormir. C’est moche parce qu’elles puent énormément et leur odeur est insupportable. Je vois bien que mon petit Daniel à moi, bien qu’il fasse semblant de les ignorer, souffre de leur présence constante. Mais je n’y peux rien. Parfois il est moins mal que d’habitude, alors je le rejoins et je l’aide à oublier un peu. Mais c’est dur ! Cependant c’est tout ce que je peux faire pour lui et la plupart des fées font la même chose avec leur compagnon. Attends. Sois patiente. Julien finira par s’habituer à cette présence chez lui. Il te reviendra, sois tranquille….

Mais Mymy, dépitée, n’était pas tranquille du tout. En rejoignant son nuage, déçue par ces explications qui n’expliquaient rien, elle ne voyait pas comment aider Julien. Il le fallait pourtant. C’était si merveilleux la vie avec ce petit bonhomme, avant…Avant que ces crabes ne fassent leur apparition. Chaque nuit elle s’infiltrait dans ses rêves et ils partaient tous les deux dans les nuages. Ils survolaient des montagnes, courraient dans les prés, se roulaient dans l’herbe tendre qu’elle faisait fleurir pour lui. Toujours de bonne humeur, il riait , il la prenait dans ses bras et la faisait tournoyer en dansant et en chantant. Mais c’était loin tout ça. C’était avant les crabes. Avant que Julien ne perde sa joie de vivre…

Et puis, un soir, il lui vint une idée et elle décida d’agir. Elle ne pouvait se résoudre à attendre davantage que ça passe, comme préconisait sa consoeur. Oh, ce n’était pas une idée extraordinaire, mais il fallait bien faire quelque chose, alors pourquoi pas cela ?

Mais d’abord, pénétrer de nouveau dans les cauchemars de son protégé. Et cela, ce n’était pas gagné.

Elle choisit un soir où, Julien, plus mal encore que d’habitude, se coucha sans se déshabiller, laissant les crabes dans leur panier, sur la table. Il s’endormit rapidement. La petite fée s’approcha doucement. Elle eut beaucoup de mal à pénétrer dans les méandres obscurs de l’esprit enfiévré de son ami, aussi, quand elle y parvint, elle attendit un moment, en silence. Puis, délicatement, elle fit naître prés d’elle un petit crabe minuscule et inoffensif.

Aussitôt, Julien, sentant sa présence, remua dans son lit et fit entendre un faible gémissement. Elle entonna alors une chanson douce à son oreille. Elle lui prit la main et, d’un doigt hésitant, caressa le petit animal. Celui-ci, trop insignifiant pour disposer de pinces dangereuses, se laissa faire, car la petite fée veillait au grain. Chantant toujours faiblement elle ouvrit la main de Julien et, intimant toujours à l’animal de ne pas bouger, elle continua de promener ses doigts sur la carapace de la bestiole. Julien ne bougeait plus, ne gémissait plus. Il paraissait plus calme, plus détendu. Cependant, prudente et attentive, Mymy resta avec lui toute la nuit. Au matin elle regagna son nuage et attendit.

Le lendemain soir, elle recommença l’opération, mais avec un crabe un tout petit peu plus gros. Et ainsi, chaque nuit. Elle ne se décourageait pas, suivant obstinément son idée, sans savoir si cela en valait véritablement la peine.

Parfois, elle se trompait dans la taille de ses bestioles et Julien se réveillait immédiatement, en sueur. Exclue alors, sans ménagement de son esprit, elle se maudissait intérieurement. Mais elle persévéra, faisant preuve d’une patience d’ange… Elle ne laisserait pas faire le temps, en souffrant chaque soir, impuissante, des malheurs de son compagnon.

Pour aider Julien, elle était prête à tout.Pendant des mois, elle continua ainsi de peupler le sommeil de son ami avec ses créatures invoquées, veillant, bien entendu, à ce qu’ils ne pincent jamais la main qui les caressait.

Et puis, un soir, elle fut récompensée de ses efforts. Elle vit Julien, toujours fatigué, rentrer de son travail. Remarquant, une fois encore, le panier de crabes sur la table, il ne se mit pas dans une colère noire, mais, au lieu de s’en débarrasser violemment, il s’assit en face de lui et regarda à l’intérieur.

Cela sentait toujours aussi mauvais et ce bruit de salive grouillant le répugnait. Cependant il tenta d’en saisir un, le plus délicatement possible.

Le résultat ne se fit pas attendre. Il retira vivement sa main, la portant à sa bouche, afin de calmer la douleur.

- Sale bête ! cria t-il à voix haute.

Il prit alors le panier et le posa à terre.

Mymy l’observait, attentive et angoissée.

Au bout d’un moment, alors qu’il semblait perdu dans ses pensées, Julien reprit le panier et le reposa, une nouvelle fois devant lui. Il saisit de nouveau un crabe gluant et visqueux mais cette fois, il attendit que celui-ci soit dans une position adéquate afin d’éviter, en le soulevant, de donner une prise facile aux pinces coupantes. Il souleva l’animal paralysé et l’observa longuement. Puis il le posa sur la table.

Le crabe, libéré, s’empressa de remonter dans le panier.

Julien recommença l’opération, mais cette fois, tenant fermement l’animal, il le plaça sous l’eau du robinet.

L’animal se débattait. Après une immersion prolongée sous la douche, l’odeur diminua, la bave disparut.

Afin de l’empêcher de rejoindre les autres, Julien enferma sa prise dans un bocal en verre de façon à pouvoir observer son comportement.

L’animal, perdu et ne pouvant escalader la paroi glissante, finit par se résigner. Il se tint immobile, tapi au fond du bocal. Laissant les choses en l’état, Julien partit se coucher.

Mymy, s’empressa de le rejoindre et reprit ses manipulations. Julien caressait maintenant de lui-même les crabes inoffensifs, semblant y prendre même un certain plaisir.

Quand Julien, quelques jours aprés, ressortit le crabe de son bocal, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il constata que ce dernier, loin de se dépêcher de rejoindre les autres, tournait en rond, ne sachant plus que faire. Après quelques minutes de ce manège, de guerre lasse, il replia ses pinces, se mit en boule et ne bougea plus.

Julien doucement lui caressa le dos… Pas de réaction.

Pour la première fois depuis bien longtemps, Mymy vit un sourire de dessiner sur les lèvres de son ami. Elle en fut tellement heureuse qu’elle sautilla sur place en frappant dans ses mains. Ce faisant, elle manqua tomber de son nuage. Heureusement, ses ailes aussitôt se déployèrent aussitôt et elle retrouva sans peine son équilibre.

Petit à petit, à raison d’une bestiole toutes les semaines, les crabes furent nettoyés et isolés.

Bien sur, il y eut des échecs.

Insuffisamment lavés, ils s’empressaient de remonter dans leur tanière.

Mais à force de temps, de patience et d’obstination, Julien parvint à les maintenir éloignés les uns des autres. Sans la présence de leurs congénères, les crabes devenaient inoffensifs. Ils dormaient la plupart du temps et surtout, ils ne sentaient plus mauvais.

Julien se sentait mieux et la petite fée, constatant les progrès, s’en réjouissait. La fatigue de son compagnon s’atténuait, chaque jour davantage. Il finit par connaitre chaque endroit de la maison vers lequel se repliait chacune de ses bestioles. Il avait appris à les reconnaître, à les identifier, il les regardait, de temps en temps s’apporcher en souriant.

Il avait bien tenté de s’en débarrasser en essayant de les mettre dehors, mais il avait rapidement renoncé car elles revenaient toujours, et puis il avait fini par s’habituer à leur présence, allant même jusqu’à leur donner un nom.

Ce qu’il ignorait, ce qu’il ne pouvait pas savoir, c’est que les noms de ses crabes, ce n’était pas lui qui les avait trouvés.

Ils lui venaient, comme ça, le matin en se réveillant…

Son espace à nouveau propre et dégagé, un calme nouveau, une nouvelle disponibilité descendit lentement en lui. Chaque jour, il reprenait le goût de vivre et chaque nuit, il retrouvait ses rêves. Il se mit à les attendre, à les aimer car il les comprenait mieux.

Parfois aussi, il lui semblait ressentir, à ses cotés, une présence réconfortante...

Et, ma foi, oui ! Il y avait des crabes chez lui, mais d’autres hébergeaient bien des chats, des chiens ou des oiseaux, certains même élevaient des serpents…..

Alors….


LEt ----------------------

 

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