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Livre premier (Le Morio)
Chapitre V (Le Morio de Patrick Cintas)
![]() oOo J’en ai une autre sur Alfred Tulipe. Maintenant qu’il est mort et enterré. Quel bordel il avait mis dans ma famille ! Il est revenu l’été suivant. Même casquette, même valise, même air de tout savoir sans avoir rien payé. Il ignorait que c’était son pénultième été. Cette fois, il ne consomma pas un café au buffet de la gare. Ce n’est pas qu’il voulût s’en passer, mais Francisco n’était plus de ce monde et personne ne lui a succédé au comptoir. La poussière du désert avait recouvert toutes ces planches déjà sales et disjointes. Mais le quai n’avait pas changé. On pouvait toujours suivre la trace du chariot du porteur, un certain Torcuato qui boitait d’un côté et amblait de l’autre. Alfred le salua mais l’autre ne le reconnut pas, peut-être à cause des lunettes de soleil, car Alfred avait subi, selon ses termes, une « opération oculaire » d’une gravité telle qu’il avait bien failli perdre la vue. Ce fut la première info qu’il nous accorda, à peine entré dans notre maison, et en même temps notre mère arracha le carton qu’elle avait punaisé sur le chambranle de la porte d’entrée. Fred était de retour. Notre mois d’août en allait être changé. Il monta sans y être invité, sachant que « sa » chambre était prête. Je ne me souviens pas si Juan était là. S’il y était, il devait faire les cents pas sous la galerie, pivotant sur un talon à chaque angle et empoignant chaque fois le tronc d’un oranger, une manie qu’il avait quand il prétendait penser à « autre chose ». Ma petite sœur (je m’en souviens bien) attendait, assise sur la margelle du bassin, une main dans l’eau et l’autre dans ses cheveux, de sauter joyeusement sur les genoux de celui qui se croyait déjà notre père (qui est aux cieux). En tout cas Alfred Tulipe ne cultivait pas un tel projet. Il connaissait la maison depuis l’année dernière et il avait pris le temps de s’imprégner de l’âme des environs, que c’est pas facile quand on arrive d’aussi loin. Mais ce n’était pas la guerre qui le poursuivait. Il parlait rarement de son gagne-pain, mais il en parlait et on n’en savait pas plus. Il redescendit, vêtu comme l’année dernière d’un pantalon de coton, d’une chemisette de coton et d’espadrilles de coton, le tout de couleur blanche, avec une légère odeur de lavande et de tabac. Notre mère arrangeait la table, fleurs et couverts, et la bouteille qu’elle n’oubliait jamais. Il se trouvait toujours un homme pour la déboucher. Mais je ne vois pas Juan s’installer devant une assiette et brandir le tire-bouchon en plaisantant à propos de ce qu’on doit au passé. Je vois Alfred prendre place, ma petite sœur se glisse entre deux chaises pour se poser sur son tabouret, notre mère tourne autour de la table et moi je suis sur la sixième marche et je m’apprête à sauter, la septième m’étant interdite depuis que je me suis foulé une cheville et esquinté un genou. — Volo ! Je t’ai déjà dit de ne pas… Je saute. Ma sœur rit. Ce n’est pas cette fois qu’elle me verra me fracasser sur le sol aux dalles humides à cause d’un filet d’eau qui fuit de la margelle. N’y mettez pas le doigt, lecteur, dans ce petit orifice, sans quoi mon saut n’a plus le sens que je lui donne en attendant de sauter de la septième mais pour cela il faudra 1) que notre mère accepte cet inévitable contrainte 2) que la peur d’avoir mal me quitte alors que j’en souffre encore dans mes cauchemars. Je ne souhaite à personne de se casser un os ou de distendre un tendon. Juan ne devait pas être là, sinon il m’aurait défendu la sixième et peut-être même la cinquième. Je m’accroupis avec souplesse au pied de la première marche, celle par quoi tout commence. Alfred me regarde comme on considère que cet âne n’est pas fait pour le travail qu’on lui assigne. Ma cheville n’est pas totalement remise et mon genou craque. Mon cul a heurté la dalle qui a basculé. Un jour, je la pèterai. — Vous arrivez à temps, dit notre mère, s’adressant à Alfred et non à moi, mais j’arrive et je m’assois entre la chaise que notre mère occupera et le tabouret sur lequel ma petite sœur se dresse comme si elle voulait voir ce qui se passe dans l’assiette d’Alfred qui n’est d’ailleurs pas différente des nôtres. — Cette fois, dit gaiment Alfred, le train était à l’heure, à trois minutes près toutefois. — C’était une locomotive à vapeur ? demande ma sœur. — On n’est pas dans un dessin animé ! dit Alfred en tendant son assiette. Notre mère remplit l’assiette. Chaque fois qu’elle y dépose le contenu de la cuillère de service, elle regarde Alfred et attend et il fait un signe. C’est oui ou c’est non. Mais ce n’est peut-être pas que cela. Ce n’est pas forcément « j’en ai assez » ou « encore un peu ». Il se peut qu’elle recherche un compliment. Il finit par en trouver un et le balance par-dessus son assiette pour voir s’il fait son effet ou s’il est nécessaire qu’il se creuse encore la tête pour en dénicher un qui soit à la hauteur de ce que notre mère exige de lui. Vous ne le connaissez pas, allez. Et elle non plus, d’ailleurs. — Le voyage s’est bien passé ? dit-elle une fois qu’il a reposé l’assiette devant lui, satisfaite de pouvoir encore exercer ce pouvoir qu’il ne lui a jamais reproché. — Les gens sentent mauvais, dit-il. Et il est inutile de leur parler… — Ils ne répondent pas ? dit ma petite sœur. — Personne ne vaut la peine d’être connu dans ce Monde. Notre mère ne frémit pas en recevant ce compliment en voie de décomposition. Au contraire, elle se réjouit ou feint d’avoir retrouvé le bonheur de l’an passé. — Mais ici, dit-elle enfin, vous êtes comme un coq en pâte… — Vous me cuisinez déjà, ma chère ! Ils rient, l’un en face de l’autre, la fourchette haute et le couteau agile. Ma petite sœur ne comprend pas et se plie. La voilà le nez dans son assiette. Moi, je mâche. Je n’imite personne et n’ai pas le souci de me prêter à leurs jeux. Il est trois heures. Alfred a voyagé depuis la nuit. Il a aimé les quais déserts d’Atocha. Les pas feutrés et le glissement des valises. Les voix qui ne se rencontrent pas faute de conversation. Mais une fois entré dans le compartiment, il s’est bouché le nez. Vous comprenez : les gens, leurs mots, leurs passages, leurs disparitions et apparitions, c’est agréable au fond. Mais leur odeur, ah la la ! — Au moins cet agneau sent bon l’herbe rare de vos coteaux, dit-il sans cesser de trancher. — Ça fait comment un train électrique ? Je pince ma sœur. Qu’elle se taise ! Chaque fois qu’elle ouvre la bouche, c’est pour dire oui ou non et on ne sait jamais si c’est oui ou si c’est non. Moi, j’ai l’âge d’être compris. J’ai des érections. Je vois loin. Et rien n’arrête mon imagination. En plus, elle mâche si lentement qu’on ne l’attend pas. Et si elle ne recrache pas la viande concassée par ses dents de lait, on n’entend pas notre mère lui reprocher de ne jamais penser à la guerre, comme si nous n’en savions rien. Sinon Alfred grimace de dégoût et il sauce impatiemment, ce qui ne l’empêche pas d’engouffrer ensuite ce morceau de pain arraché au pain lui-même, car il est défendu d’utiliser un couteau, la chair de notre Bien-aimé n’étant pas conçue pour être saignée de cette odieuse façon. On rompt, ici. Et on s’en excuse. Alfred a bien compris de quoi il est question et il ne plaisante plus à propos de notre Créateur, quoiqu’il ait l’air de se foutre éperdument de ces rites. Juan était-il là ? — Après le dessert, dit Alfred, les enfants font-ils toujours la sieste ? — Bien sûr que oui ! répond notre mère. Pourquoi me demandez-vous cela… ? — Ils ont grandi depuis l’été dernier. — Je ne vous le fais pas dire. — Ils ont poussé, continue Alfred. Il nous toise et montre ses dents qui mériteraient le palillo. Notre mère, avec toute la discrétion qu’on lui connaît, se lève pour aller fouiller dans le tiroir où on trouve des palillos si on les cherche. Elle n’en trouve pas. Alfred, impatient, fait donc usage d’un de ses ongles et en cure plusieurs fois l’interstice sur la pointe d’une canine, cela sans cesser de nous regarder. — Nous attendrons les premiers rayons du couchant, dit Juan. Il était donc là ! Et moi qui raconte tout ça sans lui ! Mais qui m’en voudra ? Après la sieste, qui sera de courte durée car le repas a pris plus de temps que d’habitude, nous irons promener dans les coteaux et de là-haut nous verrons les neiges éternelles qui semblent se moquer du désert. Nous traverserons des jardins en fleurs, une abondance de fleurs nourries de l’eau des profondeurs et de tous les minéraux qu’on sait énumérer sans se tromper de sens, sœurette et moi. Ça fera bien plaisir à monsieur Alfred qui travaille au service de la géologie associée à l’agriculture, mais sans être géologue ni agriculteur, Juan n’est pas sûr que ce soit là un métier, même si c’est une occupation qu’on ne peut pas soupçonner d’indignité mais dont il n’est pas exagéré de prétendre que si elle nourrit son homme elle ne lui permet pas de s’habiller autrement que pour ne pas paraître nu devant les autres. Ces autres qui puent, disent n’importe quoi et dont on imagine les pensées, voire les injonctions, à la vue de ce voyageur qui ne porte rien qu’on a envie de voir et d’acheter. Voici la sieste. Chacun dans sa chambre. Et en slip parce qu’il fait très chaud cette après-midi-là. Comme toutes les après-midis andalouses en été. Couché sur le dos (ou à plat-ventre pour ce qui concerne ma petite sœur). Je ne sais rien à ce propos de notre mère et je n’ai pas d’autres ressources que mon imagination eu égard aux dispositions de monsieur Alfred relativement à la pratique de la sieste. Où est Juan ? Oreilles collées de chaque côté du mur. Ainsi communiquons-nous ma sœurette et moi à l’heure de la sieste. — Qu’est-ce que tu dis… ? — Je ne dis rien, sœurette ! Je pense. — Je croyais que tu disais quelque chose… — À propos de quoi ? — D’Alfred… de Juan… de… — Je t’en prie ! Un mot de plus et… Voilà le soleil qui se prépare à se poser sur l’horizon. Nous sommes prêts et nous attendons Alfred. La fenêtre de sa chambre est ouverte. On l’entend siffler. Juan fait un trou avec la pointe du makila qu’il a ramené de son service militaire et qu’il traite comme un souvenir auquel il lui est agréable de penser. Un autre pays. Il y a beaucoup de pays dans ce pays. Il en parle comme s’il en connaissait la langue. Marin d’eau douce il était. Sur le fleuve Bidassoa. Traversant l’estuaire deux fois par jour à bord d’une vedette armée d’un canon. Il a maintes fois décrit ces missions sans guerre. À la place des Russes, il y avait des contrebandiers. Des descriptions et des anecdotes qui meublaient passablement nos conversations sous la tonnelle du jardin. J’y pense à cause du makila, sinon je penserai à autre chose, mais je ne sais pas quoi. — Vous venez, Alfred ? — Je vous ai dit de m’appeler Fred. Cela me fait plaisir. — On vous attend… Fred. — J’arrive, j’arrive ! Ces maudits godillots… ! Le voilà. En plein soleil. En culotte courte, godillots en effet, et chaussettes de foot « à cause des serpents ». Notre mère frémit rien qu’à l’idée de rencontrer un de ces serpents dont on parle sans les avoir jamais vus, sauf Juan qui en connaît plusieurs, même qu’il les a nommés pour ne pas causer de quiproquo. Il dit ça en soulevant ma sœurette qui s’épargnera ainsi, sinon les serpents, du moins la fatigue et la sueur des chemins. — Volo sait écraser les scorpions avec le pied, dit-elle, joyeuse avec ses jambes sur ces solides épaules d’homme. — Il a de bonnes godasses au moins ? ricane Alfred. Si je n’en avais pas, stupide animal, je ne m’aventurerais pas dans le désert. Il montre deux cuisses poilues et chétives. Une troisième ne vaudrait pas mieux. J’ouvre la marche. On peut me faire confiance. J’ai l’œil. J’ai appris la leçon. L’été dernier, monsieur Alfred a bien vu que je m’y connaissais en chemin. Jamais il ne s’est avisé de passer devant moi. Il s’est toujours tenu derrière et pas que derrière moi. Le chemin ainsi foulé par les autres pieds lui semblait sûr. Il y allait sans hésiter, mais jamais devant, toujours derrière. Or, cet été-là, qui était le pénultième, le voilà-t-il pas qu’il me dépasse et prend la tête du peloton familial, si tant est qu’il appartient à notre sang. Il m’empoussière des pieds à la tête et frappe le sol avec sa canne de bambou. Des cailloux giclent dans l’alfa, ricochent sur la terre, s’enfoncent dans les palmiers nains. — Ces hommes ! glousse notre mère. Juan éclate de rire et ma petite sœur lui ôte son béret pour s’accrocher à ses cheveux. Ça se soulève drôlement, des épaules qui rient ! — Et moi donc ! glapit Alfred qui n’a rien compris. Soudain, alors que le soleil est encore debout, il disparaît. Pas le soleil. Alfred. Nous ralentissons, nous nous tournons, d’un côté, de l’autre, nous nous arrêtons, nous nous rapprochons. — Où est monsieur Alfred ? demande notre mère d’une voix si inquiète que ma sœurette en chiale aussi sec. Juan remet son béret et tape la cuissette qui s’agite sur son épaule. — Qu’est-ce que j’en sais, moi ? dit-il comme si ça ne l’intéressait pas de savoir où est passé « notre » Alfred. Il retape la cuissette. — Toi qui domines le monde, dit-il, qu’est-ce que tu vois… ? — Je vois rien d’autre, déclare la sœurette. Elle frotte sa cuissette et même la gratte. Les mains de Juan ont des poils. Ce sont les poils qui font mal. Il retape encore. Cette fois, elle balance ses pieds et menace d’aplatir le nez de notre Andalou de service. Il empoigne les pieds et serre les petits genoux contre sa mâchoire, mais j’ai déjà franchi la distance qui nous sépare de l’endroit où Alfred est censé avoir, disons-le, disparu. Nous l’avons dit tous ensemble, si des fois quelqu’un (mais qui ?) douterait de notre sincérité ou au moins de notre sens de l’observation. Je m’avance tandis qu’ils n’avancent plus, se tenant l’un contre l’autre, ma sœurette étant toujours juchée sur les épaules de Juan. Je ne les ai jamais vus si près l’un de l’autre. Ni ma petite sœur non plus et du coup elle s’est immobilisée et elle regarde le béret et le foulard, l’un après l’autre, alternativement. Moi, je suis déjà en haut, le bâton en avant, des fois que ce ne soit pas Alfred qui surgisse du néant. Les ombres se sont infiniment allongées. Je scrute. Je veux calculer. C’est une équation à une inconnue, mais si jamais il y a une autre inconnue, je sais que je n’ai pas encore acquis le niveau nécessaire. Je prie. Je ne prie pas souvent, mais je n’aime vraiment pas ce genre de blague. Une fois, papa m’a surpris en surgissant d’un mur. Comme je vous le dis. J’ai cru mourir. De quoi, je ne sais pas. Comme on en riait lui et moi, j’ai douté que ce fût de peur. C’était autre chose, comme s’il n’existait rien entre la surprise et la mort. Ça me travaille encore cette histoire. La preuve, j’avance moins vite, je monte moins haut, je ne vois plus aussi bien, je n’entends plus rien. Maudit Alfred. S’il croit provoquer l’arrêt de mon cœur, il se gourre ! Ce n’est pas comme ça qu’il m’empêchera de me mettre entre lui et notre mère. Je serais toujours plus vivant que lui ! Et il mourra avant moi. Je ne croyais pas si bien dire. Je vacillais entre les pierres, incertain comme le temps qui menaçait ma cohérence, lorsque je l’ai vu, étendu les bras en croix au milieu des palmiers nains, couverts d’insectes si jamais vous considérez que le scorpion en est un. Ses yeux n’étaient pas fermés, mais les morts ne voient rien. Je m’étais transformé en statue. Pourtant, mon bâton oscillait. Je le sentais en mesure de frapper ces carapaces têtues. Mais à quel prix ? Si notre hôte était mort, à quoi bon écraser ces pauvres scorpions qui se sentaient chez soi à juste titre, cadavre ou pas cadavre. Cette terre leur appartient. Or, Alfred était devenu terre. Il s’y enfoncerait si personne ne tenait à lui destiner une sépulture comme cela se fait en temps ordinaire. Mais ce temps, qui était aussi incertain que mon récit (pardonnez-moi), ne l’était pas. Il m’appartenait aussi bien que cette terre à ses peuples de sang et de sève. Et je crois bien que si Juan n’était pas intervenu, j’aurais passé ce temps à observer, avec jouissance et curiosité, cette décomposition que j’imaginais lente, capable de dessécher, de réduire en poussière et d’éparpiller aussi bien et sinon mieux que le vent, qu’il vienne de la mer ou des montagnes, qu’il rende nostalgique ou fou. Ma sœurette n’était plus sur les épaules de cet ouvrier dont je connaissais les qualités d’expérience et de fidélité. Il transperça alors chaque bestiole à la pointe de son makila (vous voyez bien maintenant pourquoi il était nécessaire et logique, pour le bien du récit, que ce fût un makila et non point une canne de vieillard, même à tête de mort), au grand dam de ma propre intelligence des choses de ce monde. Avait-il assez pris grand soin de ne pas blesser notre Alfred ? Oui.
Résumé de ce chapitre D’un second témoignage du petit Volo, enfant aîné de l’hôtesse qui en a deux, dont une fillette. Comment nos personnages s’adonnent à leurs loisirs de vacances. Comment Juan se mêle de tout. Comment s’amusent les enfants. Comment il arriva que notre Alfred Tulipe disparut au cours d’une promenade en marge du désert. Et comment il fut sauvé de l’attaque des scorpions.
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Commentaires :
Ce texte explore un univers narratif dense et évocateur, oscillant entre la chronique familiale et le conte initiatique aux accents burlesques. Le personnage d’Alfred Tulipe incarne une figure ambiguë, à la fois intégrée et étrangère à cette famille qui l’accueille, où il semble se greffer sans invitation ni justification claire. Le récit est porté par une voix enfantine, celle du narrateur Volo, dont la perception du monde est teintée d’une lucidité mordante et d’un imaginaire foisonnant.
L’écriture, empreinte d’une ironie subtile, construit un espace à la frontière du réalisme et de l’onirisme. La description minutieuse des gestes du quotidien – le rituel du repas, la promenade, la sieste – est contrebalancée par une tension sous-jacente, une forme d’inquiétante étrangeté qui culmine dans la disparition d’Alfred Tulipe. Le désert, omniprésent en arrière-plan, fonctionne comme un lieu de mise à l’épreuve, de dévoilement, où se joue le sort du personnage dans une confrontation silencieuse avec les forces naturelles et symboliques du lieu.
L’un des points forts du texte réside dans la complexité des relations entre les personnages, rendue par des dialogues à double sens et des jeux de regards chargés d’implicite. La mère et Alfred partagent une connivence teintée de non-dits, tandis que Juan, figure masculine ambiguë, oscille entre protecteur et observateur détaché. Le narrateur, quant à lui, navigue entre admiration et rivalité, incarnant ce moment de l’enfance où l’on cherche sa place dans un monde adulte aux règles floues.
Enfin, le texte joue habilement avec la temporalité : le pénultième été d’Alfred Tulipe introduit un sentiment de fatalité, une anticipation funèbre qui donne au récit une dimension presque tragique sous son apparente légèreté. La dernière scène, où l’homme est retrouvé inerte parmi les scorpions, fonctionne comme une mise en abîme du récit lui-même : un équilibre précaire entre jeu et sérieux, enfance et mort, réel et illusion.
Il est revenu l’été suivant... https://youtu.be/WE_ITnkCQZw?si=TOiEj6mse2yovDoW