Moi, j’ai la chanson et le poème…
Je chante et je dis tout.
Avec tout et sans rien.
Mais qu’est-ce que vous foutez !
Vieillards d’angoisse et filles perdues.
Paumés du travail et hypocrites de l’entreprise !
Ma guitare est sommaire… dit Bobby.
Et ainsi sur le chemin
Caminante no hay camino
Mon chien connaît-il l’ennui
Ou seulement l’angoisse… ?
Vos enfants le caressent-ils
Pour tenter d’en posséder le sens ?
Achetez au meilleur prix
Le moment de détente.
Et enseignez comment faire
À ceux qui le savent déjà.
Quelle ode ! Quelle attente !
Les collections de poésie
Ne sont même plus écrites
Par des poètes ! Anything.
Ramassis de bonnes intentions hypocrites
Et de pédanteries plus ou moins salopes.
Mais a-t-on le choix dès qu’on met
Le nez dehors pour trouver
Quelqu’un d’autre que soi ?
Mon chien dans le fossé sous les palettes
À l’abri du mauvais temps
Et des coups de pied.
L’os dans la gueule
Et l’œil encore en Enfer.
La pauvrette disparaîtra
Dans le néant des poésies amères
Creusée à même le plancher des vaches.
***
extrait de
téléchargement gratuit, comme d’hab’ :
www.patrickcintas.fr
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Le poème, l’os et la poussière
Il y a, dans certaines voix, un vent plus ancien que les saisons. Une plainte qui n’est pas plainte, mais chant rude et tendre, levé d’un souffle qui connaît la poussière, le silence, et le pas. Ce texte est de ceux-là : il ne cherche pas à convaincre, il marche, il traverse. Il parle en bordure, à hauteur de chien, à hauteur d’homme, là où les âmes s’égarent et se rassemblent.
« Moi, j’ai la chanson et le poème… » Il suffit de peu pour que la parole vibre. Quelques mots, et déjà la musique s’installe. Ce n’est pas la musique savante des salons, mais celle d’un feu qui s’allume dans le froid, d’un murmure lancé dans le vent. Une parole qui marche sans carte, avec le vieux rêve d’ouvrir les routes qu’on croyait fermées.
Le poème n’est pas ici pour séduire. Il ne se maquille pas, il ne parade pas. Il dit. Il fend le réel comme on fend le bois, à coups d’images simples et d’éclats bruts. Il dénonce sans crier, il interroge sans juger. Il voit, il sent, il écoute. Il parle des chiens, des enfants, de ceux qui passent sans rien laisser derrière eux — sauf peut-être une trace de silence dans l’air, une lumière au bord du regard.
Il parle aussi de cette époque étrange où l’on vend le repos comme un produit, où l’on enseigne aux vivants comment vivre, comme s’ils avaient oublié. Il parle de la poésie même, de ce qu’elle devient quand elle perd sa source, quand elle s’écrit sans brûlure ni battement.
Mais lui, le poème, garde l’os dans la bouche. Il le ronge comme on garde mémoire d’un monde disparu, d’une tendresse ancienne, d’un cri jamais lancé. Le chien repose sous les palettes, et son œil garde trace de l’Enfer — non pas l’enfer mythique, mais celui des hommes, celui qu’on traverse chaque jour sans en dire le nom.
Et pourtant, il y a, au fond de cette mélancolie rugueuse, une beauté nue. Quelque chose d’obstiné, d’irréductible. Une fidélité au peu, une loyauté à l’instant, à la marche, au chemin qui n’existe que si l’on ose l’inventer : Caminante no hay camino… Ce vers résonne comme un refrain dans les pas du poète.
Alors oui, ce poème est rude, il sent le vent, le goudron, la fatigue. Mais il est vrai. Et c’est cette vérité-là — simple, tremblante, immobile et voyageuse — qui fait de lui un éclat de poésie. Une poésie vivante. Une poésie debout, même couchée dans le fossé.
Quelle ode ! Quelle attente ! https://youtu.be/3O4MflCeNZM?si=ywSIEcMAUrudTlqs
Analyse de texte par Catherine Andrieu. https://youtu.be/as2qZv-eEXQ?si=3odAt8CQTPtr64J4