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Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille
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 Article publié le 30 mars 2025.

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Captieuse douleur

Capiteuse, capricieuse

Eloquente un peu

Pare-feu oblige

 

Cabri sans abri

Sur la lande perdu

Hèle les nuages

Par ses cris

 

Pris dans les halliers maintenant

Petit cabri meurtri

 

Ne capitalise pas

Sur ta douleur

 

Lancinante déjà

N’est-ce pas déjà bien assez ?

 

C’est ainsi que petit écureuil roux devenu

Je sème et sème glands et fèves

Pour l’hiver venu

 

Printemps sonne l’heure des fruits à venir pas défendus

Et germent, germent gaiement petits chênes et petits hêtres

Dans le bois joli

Louves sont les bienvenues

Qui chassent cerfs et biches voraces

Avides de jeunes pousses

 

Petit cabri est devenu grand

Oubliée la lande épineuse

Genêts en fleurs

Plus loin dans le pays, nuages se baignent à l’envi

Dans les eaux noires de la tourbière élue

 

Voici donc venu le temps des cabrioles

Pas en reste, l’écureuil tend l’oreille

Mais chut ! ça froufroute par là-bas dans les hautes fougères !

 

Jean-Michel Guyot

18 mars 2025

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Commentaires :

  Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille par Catherine Andrieu

Sois sage, ô douleur — mais elle ne l’est guère, la douleur de Jean-Michel Guyot. Captieuse et capiteuse, elle nous arrive en trompe-l’œil, en trompe-cœur. D’abord apprêtée, presque apprivoisée, un brin loquace, bien élevée, “pare-feu oblige”, elle feint le langage pour mieux se faufiler ailleurs : dans les broussailles, les halliers, les cris du cabri, cabossé, délogé, désolé.

Il y a dans ce poème une tension continue entre la sauvagerie du monde et la sagesse imposée — un affrontement entre ce qu’on doit tenir à distance et ce qui déborde sans cesse. Le “petit cabri sans abri”, criant aux nuages dans un dénuement pastoral, devient l’allégorie vibrante d’une douleur que l’on n’endigue pas. L’animalité devient ici langage : la bête souffre, appelle, chute. Puis s’anime d’autre chose, d’une ruse douce, d’un rebond. L’écureuil, petit totem de résilience, vient semer après la plainte.

Alors que le vers nous invite à ne “pas capitaliser sur la douleur”, le poème tout entier la transforme en mouvement, en germe, en transformation lente. Il ne s’agit pas de nier la morsure mais de la traverser, par le détour du végétal, par le bond du vivant. Le chagrin devient fécond. C’est le temps des glands plantés, des jeunes chênes qui poussent malgré la prédation, malgré la mémoire des ronces. Une saison passe, puis une autre. Le cycle des douleurs laisse la place à celui des métamorphoses.

Il y a là une poésie rousse, sensible au vent des fougères et au frémissement de l’instant. Une langue qui s’accorde au souffle du monde, sans artifice, sans tragédie appuyée. C’est une élégie du discret, une cabriole philosophique qui transforme la plainte initiale en un chant joyeux, presque moqueur, quand “ça froufroute par là-bas”.

On ressort de ce poème avec de la terre sous les ongles et le cœur un peu plus léger, comme après une traversée silencieuse dans une lande indomptée où le mal, comme la bête, finit par se redresser. La douleur ? Toujours là. Mais elle se tait un peu, tenue en respect par les genêts, les louves, et le bruissement des renaissances à venir.


 

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