El poder de la palabra/ Le pouvoir des mots par Catherine Andrieu
Le pouvoir des mots ou l’élégance du désastre
À Buenos Aires, il suffit d’un souffle, d’une révérence mal dosée ou d’un mot trop lesté pour faire chavirer l’ordre fragile des vanités. Dans cette comédie mordante, Fernando Sorrentino déplie l’éventail d’une société où l’apparat des titres s’écaille sous le vernis craquelé des médiocrités. L’on y pénètre à pas feutrés, dans l’arrière-boutique des concours télévisés où l’ignorance porte cravate et où les best-sellers, ces navires sans quille, font naufrage à la première bourrasque érudite.
C’est un récit aux allures d’imbroglio, où le verbe fend la houle des convenances, où chaque syllabe, placée comme une écharde, vient crever le tissu trop tendu de l’orgueil. Et que dire de cette Susana Silvia Siciliano, narratrice hautaine et délicieusement méprisante, qui manie l’ironie comme d’autres des armes de duel ?? Elle évolue dans l’aristocratie des lettres, loin, bien loin, des fumées épaisses de Parque Chacabuco et des kimonos défraîchis de l’infortuné Benvestiti.
Et pourtant, quelle scène grandiose et dérisoire ?! Ce vieil académicien, spectre décati au souffle plus âcre que le café d’une gare abandonnée, trônant dans son appartement aux relents de fin du monde, déchire d’un revers de main les certitudes de nos pétillantes héroïnes. L’air y est lourd, saturé de tabac et de dépit, et le savoir, ce grand seigneur, s’y vautre dans un cendrier trop plein.
Mais là où d’autres plieraient bagage, Gabriela, amazone de l’insolence, revient à l’assaut, armée non de diplômes mais d’une invective aussi tranchante qu’un rasoir. Un dernier mot — obscène, flamboyant — jeté comme un sortilège, et voici que le vieillard, emporté par cette bourrasque verbale, s’efface à jamais du théâtre des vivants.
Faut-il y voir l’effet d’un pouvoir occulte, la preuve définitive que les mots, quand ils claquent et fulminent, peuvent précipiter le trépas ?? Ou n’est-ce là qu’un ultime pied de nez à l’absurdité des grandeurs humaines, un rire étouffé dans la poussière des bibliothèques ??
Sorrentino signe ici, à la manière d’un chorégraphe cynique, une farce où l’élégance côtoie la bassesse, où l’intelligence trébuche sur ses propres prétentions. Et dans ce Buenos Aires de brumes et de labyrinthes, il nous rappelle que les mots, pourvu qu’on les arme du bon accent, ont toujours le dernier mot.
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Le pouvoir des mots ou l’élégance du désastre
À Buenos Aires, il suffit d’un souffle, d’une révérence mal dosée ou d’un mot trop lesté pour faire chavirer l’ordre fragile des vanités. Dans cette comédie mordante, Fernando Sorrentino déplie l’éventail d’une société où l’apparat des titres s’écaille sous le vernis craquelé des médiocrités. L’on y pénètre à pas feutrés, dans l’arrière-boutique des concours télévisés où l’ignorance porte cravate et où les best-sellers, ces navires sans quille, font naufrage à la première bourrasque érudite.
C’est un récit aux allures d’imbroglio, où le verbe fend la houle des convenances, où chaque syllabe, placée comme une écharde, vient crever le tissu trop tendu de l’orgueil. Et que dire de cette Susana Silvia Siciliano, narratrice hautaine et délicieusement méprisante, qui manie l’ironie comme d’autres des armes de duel ?? Elle évolue dans l’aristocratie des lettres, loin, bien loin, des fumées épaisses de Parque Chacabuco et des kimonos défraîchis de l’infortuné Benvestiti.
Et pourtant, quelle scène grandiose et dérisoire ?! Ce vieil académicien, spectre décati au souffle plus âcre que le café d’une gare abandonnée, trônant dans son appartement aux relents de fin du monde, déchire d’un revers de main les certitudes de nos pétillantes héroïnes. L’air y est lourd, saturé de tabac et de dépit, et le savoir, ce grand seigneur, s’y vautre dans un cendrier trop plein.
Mais là où d’autres plieraient bagage, Gabriela, amazone de l’insolence, revient à l’assaut, armée non de diplômes mais d’une invective aussi tranchante qu’un rasoir. Un dernier mot — obscène, flamboyant — jeté comme un sortilège, et voici que le vieillard, emporté par cette bourrasque verbale, s’efface à jamais du théâtre des vivants.
Faut-il y voir l’effet d’un pouvoir occulte, la preuve définitive que les mots, quand ils claquent et fulminent, peuvent précipiter le trépas ?? Ou n’est-ce là qu’un ultime pied de nez à l’absurdité des grandeurs humaines, un rire étouffé dans la poussière des bibliothèques ??
Sorrentino signe ici, à la manière d’un chorégraphe cynique, une farce où l’élégance côtoie la bassesse, où l’intelligence trébuche sur ses propres prétentions. Et dans ce Buenos Aires de brumes et de labyrinthes, il nous rappelle que les mots, pourvu qu’on les arme du bon accent, ont toujours le dernier mot.