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A une exubérance (ebook - texte intégral)
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 Article publié le 5 octobre 2025.

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A une exubérance (ebook - texte intégral)

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  A une exubérance (ebook - texte intégral) par Catherine Andrieu

Il y a dans À une exubérance cette amplitude rare du regard qui ne sépare plus le visible de l’invisible. Tout y respire d’un même souffle — celui des rivières, des arbres, des amours qui ont su se taire, des mots qui veulent encore nommer le monde sans l’épuiser. Guyot ne décrit pas, il veille. Et ce qu’il veille, c’est l’âme du réel, sa clarté poreuse, son entêtement à survivre à la confusion.

Dès la première page, la musique s’impose comme mesure intérieure du texte : « Tant va l’oreille qu’à la fin la musique se brise… » (p. 3). Cette phrase d’ouverture condense toute la philosophie du livre : écouter jusqu’à la rupture, jusqu’à ce point où le son devient lumière, où l’art dépasse l’homme. Ce n’est pas une maxime mais une blessure — l’origine même de la parole poétique. L’auteur s’avance dans ce « jardin de son enfance » où « le sacré l’avait environné en sa réserve infinie » (p. 4). Tout est déjà là : la mémoire, l’enfance, la ferveur d’un silence habité.

Le recueil est tissé de rives et de passages ; la lumière y circule de chambre en verger, de femme en rivière, d’enfance en vieillesse. L’écriture, ample et précise, devient ce souffle qui « agrandit les pièces de la conscience gourmande » (p. 4). Guyot n’observe pas la vie : il la traverse avec une lenteur inspirée, cherchant dans le moindre reflet un lieu d’accord entre le corps et l’esprit.

Dans Dans la chambre (p. 5), la sensualité s’élève au rang d’épiphanie cosmique. Le corps féminin, irradié de lumière, devient la matrice même de la parole. L’érotisme, ici, n’est jamais trivial : il reconduit à la naissance, à l’aube où « le soleil darde posément ses rayons » et où « la terre s’ébroue, laisse échapper un soupir de délivrance ». L’homme entre dans la chambre comme dans le monde ; la femme, « renversée sur le ventre », devient la figure du recommencement, une chair solaire. La poésie, elle aussi, entre par la porte, humblement.

Puis la voix s’éloigne, se diffracte : dans Freyja, la nuit (p. 6), le mythe se mêle à l’amour. « Je veux respirer au bord de ce futur », écrit-il, et l’on comprend que le livre entier respire sur ce bord — à la lisière d’un avenir toujours recommencé. Le poète s’adresse à la déesse comme à une femme réelle ; il cherche la paix, non dans la certitude, mais dans la vibration du possible.

Tout le premier ensemble (pages 5 à 12) déploie une géographie intérieure. Dans Un enfant (p. 7), la pureté du regard devient promesse de monde ; dans Un chemin de campagne (p. 7-8), c’est la lenteur de la marche qui fonde la sagesse. Guyot ne voyage pas : il revient toujours. Son chemin n’a pas de fin ; il s’étire, comme l’existence, entre deux fidélités — à la terre et à la lumière. Il écrit : « Le chemin filait à travers champs, été comme hiver, ouvert à tous, petits et grands, travailleurs ou oisifs » (p. 8). On sent chez lui le respect du pas humain, de l’effort partagé, de cette « présence à la mesure des hommes » qui manque tant à notre temps.

Et pourtant, la poésie ne s’y enferme pas : elle s’y élève, comme dans Après la pluie (p. 9-12), où la narration se fait peinture, puis métaphysique. Trois figures — l’homme, la femme et le peintre — se reflètent dans le fleuve qui parle : « Le fleuve, c’est moi, l’homme et la femme, c’est eux. » (p. 10) Le poète, alors, devient passeur : son œuvre est une eau qui pense. Le texte, d’une beauté fluide, célèbre la création comme communion : « Je me donne à ce don que le troisième homme fait aux autres hommes. » (p. 11) Cette scène, où l’amour, la nature et l’art s’unissent, est l’un des sommets du livre : l’homme peint, le fleuve écrit, la femme attend — et tout cela n’est qu’un seul geste.

C’est dans La poésie (p. 12-13) que Guyot livre sa clé. Il y parle d’un « paysage intérieur » où les mots deviennent boue, parfum et lumière. Le poète, pour lui, n’est pas celui qui exprime, mais celui qui recueille. Il marche « dans la lumière qu’il a héritée du passé du monde » (p. 13). Cette phrase, d’une simplicité bouleversante, pourrait servir d’épitaphe à toute poésie vraie.

Les pages qui suivent — de Poèmes (p. 12-15) à Liberté, couleur de femmes (p. 24-25) — composent une longue variation sur la création et la liberté. L’auteur s’y décrit en peintre des mots, en artisan d’images, en homme qui doute sans se défaire. Son humour discret perce, sa tendresse s’y confond avec une lucidité presque stoïcienne. Il se sait « littoral à lui tout seul » (p. 14), ancré et mouvant, attentif aux bruits de la terre et aux silences de la mer.

Mais le cœur battant du livre, son épicentre spirituel, c’est bien À une exubérance (p. 20-21), ce poème-titre qui résume la sagesse de toute une vie. « C’étaient toujours les mêmes mots qui sortaient d’elle », commence-t-il ; « elle n’était plus ce buisson de roses sauvages ». Dans cette femme qui n’est plus, on reconnaît l’allégorie du monde, de la parole, de la nature qui se fane mais persiste. Guyot cherche le lieu d’un amour qui ne se ferme pas, d’une vie qui déborde sans se perdre. Sa prière, d’une beauté rustique, tient dans cette phrase : « Il lui fallait laisser la vie aller à la vie, ne jamais l’enfermer dans un jardin trop sûr… » (p. 20).

L’exubérance dont il parle n’est pas excès mais offrande. La rivière, à qui il confie le soin « d’emporter le trop-plein de vie » (p. 20), devient métaphore de l’écriture : ce flux qui sauve du poids, qui emporte la peur et la rend féconde. « Le chant du monde se fait murmure odorant », écrit-il, et c’est exactement cela que fait sa langue : elle parfume la pensée, elle fait circuler l’invisible dans le visible. Le poème s’achève dans une plénitude simple : « La peur m’a quitté. » (p. 21) — comme si l’écriture, après tant de rives, menait enfin à la réconciliation.

De texte en texte, la parole s’ouvre à l’autre. Dans De proche en proche (p. 21-23), la relation devient source d’être : « J’écris pour combler le vide laissé par ton absence. » Cette confession, d’une humilité rare, éclaire l’ensemble du livre : écrire, pour Guyot, ce n’est jamais imposer sa voix, mais tendre l’oreille à ce qui répond en silence. Il n’écrit pas sur la femme ; il écrit avec elle. Il ne commente pas la nature ; il s’y confond.

Ainsi l’ouvrage tout entier trace une éthique du regard : marcher, aimer, écrire, ce n’est qu’un seul mouvement. Sur le fil du rasoir (p. 23) condense cette tension : « Il est la barre et le fil, les pas et l’équilibre instable, cette vie en marche entre ordre et chaos. » C’est exactement là que se tient la poésie de Guyot — dans ce fragile espace où la conscience se sait vivante parce qu’elle tremble.

Puis, comme une réponse amoureuse, vient Liberté, couleur de femmes (p. 24). La femme y devient métaphore de la liberté même, mais non pas d’une liberté abstraite : celle du corps, du désir, de la parole qui ne s’excuse pas d’être. Guyot célèbre la vie sensuelle avec une pudeur ardente : « Elle ne craignait pas d’être libre. » (p. 25) Ce vers résonne comme un manifeste : la liberté, ici, n’est pas conquête politique, mais disponibilité à la beauté.

Tout le livre se déploie alors comme un chant de gratitude. Les pages ultérieures (Fulgurances, Chemin faisant, A une voyageuse, Ligne d’horizon, etc.) prolongent cette élévation. À mesure qu’on avance, la prose se fait de plus en plus méditative, traversée par un sentiment d’appartenance au monde, d’unité retrouvée. Le poète y devient passeur d’âme, non prophète : un homme qui, simplement, a appris à « laisser la vie aller à la vie ».

Et c’est cela, peut-être, la plus haute leçon d’À une exubérance : un art de la mesure dans le débordement, une sagesse de l’élan. Guyot ne cherche pas l’extase ; il cherche la justesse. Il écrit comme on respire après la pluie — lentement, avec reconnaissance.

Son œuvre, à la fois intime et universelle, tisse le dialogue entre les règnes : le végétal, le minéral, l’humain, le spirituel. En lui, l’arbre parle, la rivière répond, le cœur écoute. Et dans cette chaîne silencieuse, chaque lecteur reconnaît quelque chose de soi : une paix qu’on avait perdue, une enfance qu’on croyait oubliée.

Ainsi le poète redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un homme parmi les éléments, un frère en lumière. Dans le murmure des eaux, il entend l’infini ; dans le tremblement du vent, il retrouve la parole première. Et lorsqu’il écrit : « Je laisse volontiers le soin jaloux d’emporter le trop-plein de vie » (p. 20), on entend, au loin, le rire du monde qui recommence.

Catherine Andrieu


  A une exubérance (ebook - texte intégral) par Lalande patrick


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