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Presque prières

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 Article publié le 12 octobre 2025.

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  Presque prières par Catherine Andrieu

C’est une prière sans autel, une oraison que l’on murmure dans la poussière. Pascal Leray écrit comme on s’agenouille devant le vide, non pour implorer, mais pour éprouver le tremblement de l’être au bord du gouffre. Son texte s’ouvre sur une fièvre : la fièvre comme dernier état du vivant, la conscience portée à incandescence jusqu’à brûler son propre langage. Rien ici ne cherche à plaire. Tout, au contraire, cherche à survivre à l’épuisement du sens.

Leray ne croit pas : il s’use à ne pas croire. Il lutte avec Dieu comme on lutte avec soi-même, jusqu’à se confondre avec son adversaire. Son texte oscille entre la lumière et la cendre, entre ferveur et défaite. Il n’y a plus de foi, seulement le souvenir de la foi — et déjà ce souvenir devient poison. Car il s’inocule sa propre peste : celle de la mémoire. Il sait que la souffrance la plus pure est celle du mystère qui ne répond plus. Pourtant, il continue d’appeler.

La prière, chez lui, ne demande rien : elle s’énonce pour exister. C’est un acte de survie spirituelle, une respiration verticale dans l’asphyxie du monde. On sent dans chaque phrase cette tension sublime : celle d’un homme trop lucide pour être croyant, trop blessé pour être athée. Leray se tient debout dans le lieu même de la perte. Il a compris que le désespoir, lorsqu’il devient clairvoyant, n’est plus un naufrage mais une forme de connaissance.

Sous la violence des images se déploie une douceur invisible. Sa colère est prière, sa fatigue oraison, son ironie fidélité. Il n’invoque pas la fin, mais l’instant où la fin devient musique. Tout son texte marche sur la ligne de crête entre foi et lucidité, entre la chute et le chant. Là où le verbe se défait, il retrouve sa vérité : non plus celle de la certitude, mais celle du souffle.

Le silence qu’il interroge n’est pas vide. Il écoute, il veille. Leray n’écrit pas la fin du monde, mais ce qui, dans la fin, persiste à murmurer. La poésie devient alors le dernier sacrement : l’offrande d’un homme qui a refusé d’être dupe, mais qui espère encore qu’un témoin demeure quelque part, dans l’ombre de son cri. Dans cette contradiction vive, le texte trouve sa beauté.

L’écriture devient fièvre, prière, puis poussière de prière. L’auteur a traversé la nuit sans trouver d’issue, mais dans cette traversée il a sauvé l’essentiel : l’élan même de la parole. À défaut de croire, il écrit. À défaut d’être sauvé, il nomme. Dans cette obstination se tient la grâce. Car la foi véritable ne réside plus dans le dogme, mais dans l’adresse.

La foi de Leray, c’est le verbe. Il ne prie plus Dieu, il prie la langue — cette langue qui vacille, qui doute, mais persiste. Ses prières sont des architectures fragiles où la pensée s’enflamme en musique. Tout ce qui reste d’humain tient dans cette adresse au silence, dans ce besoin de dire encore, même si personne ne répond.

Et pourtant, une lumière sourd. Elle n’est ni divine ni terrestre : elle naît de la lucidité même. Leray rejoint ces âmes pour qui le désespoir est un état d’éveil. À force d’appeler l’absence, il la rend visible. Ce qu’il nomme Dieu devient peut-être simplement le nom qu’il donne à ce qu’il ne peut cesser d’aimer.

On lit Presque prières comme on écoute un dernier souffle — pas celui d’un mourant, mais celui d’un homme qui refuse de mourir à la parole. Il sait que l’espérance ne survit qu’à condition d’être trahie, que la foi ne renaît qu’en se niant. C’est en cela que ce texte touche à la vérité mystique : parce qu’il ne cherche plus Dieu, il le frôle.

Et peut-être faut-il dire, sans emphase, que tout cela serait insoutenable s’il n’y avait, sous la gravité, la pudeur d’un homme qui fuit la grandiloquence. Leray n’aime ni les louanges ni les prosternations : il préfère les demi-silences, les regards obliques. Louer son texte serait le trahir. Disons seulement qu’il accomplit, malgré lui, ce que peu d’écrivains osent encore : faire de la ruine un sanctuaire, et du doute une foi. Qu’il me pardonne, s’il lit ici trop d’éclat — mais il n’est pas donné à tout le monde d’écrire contre Dieu avec tant de ferveur. Et sans doute, dans le sourire qu’il retiendrait à demi, murmurerait-il lui-même : tout cela n’était qu’une prière.

Catherine Andrieu


 

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