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 Article publié le 26 octobre 2025.

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Elle était lumière avant d’être femme. Un éblouissement dans la chair du monde. Les caméras s’allumaient et déjà le silence tremblait autour d’elle, comme si la beauté, trop nue, appelait la dévoration. On disait son nom comme on dit un mot interdit, B.B., deux lettres comme deux ailes collées, prêtes à brûler dans la lumière. Elle ne jouait pas, elle se livrait. Le cinéma lui passait le feu sur le corps et recueillait les cendres de son innocence. Sa voix traînait, un peu grave, un peu lasse, cette lenteur de l’enfant qui a déjà trop vu. Elle parlait comme on effleure une plaie.

 

Les hommes la regardaient, la fixaient, l’enfermaient. Elle se débattait dans la soie, dans le désir, dans les flashs. Ils voulaient la retenir, la sculpter, la posséder, ne fût-ce qu’un instant. Et chaque regard était une cage, chaque caresse une corde invisible. Elle souriait pourtant, parce qu’on lui avait appris à sourire, à incarner la joie, la sensualité, le rêve. Mais sous le sourire, il y avait une fatigue d’animal traqué. Sa beauté l’avait livrée au monde, et le monde voulait la dévorer vivante.

 

Parfois, dans le tumulte des plateaux, elle se sentait bête blessée. Elle sentait en elle la même peur qu’un cheval avant la course, la même soumission qu’un chien qu’on dresse, la même résignation qu’une vache qu’on mène à l’abattoir. Elle entendait le cri sous le vernis du glamour. Les projecteurs avaient la cruauté des phares dans la nuit : ils éblouissent, puis ils aveuglent. On voulait qu’elle reste jeune, offerte, éternelle. Mais son âme vieillissait plus vite que son visage.

 

Elle a tout vu : les mains qui s’approchent, les voix qui commandent, les rôles qu’on lui donne pour la façonner. Elle a compris qu’on ne voulait pas d’elle mais de son image, que les hommes n’aimaient pas son corps, mais le pouvoir de le posséder. Alors, lentement, un refus s’est levé en elle, une fatigue fière, une révolte douce comme une larme qui ne tombe pas. Elle a fermé les portes du cinéma comme on ferme les yeux d’un mourant. Elle a tourné le dos aux miroirs.

 

Et c’est alors qu’elle s’est retrouvée. Pas dans le faste, ni dans la mémoire, mais dans le silence des bêtes. Leurs yeux l’ont reconnue. Ils l’ont accueillie comme une sœur revenue de l’enfer des hommes. Elle a senti leur souffle, leur peur, leur innocence. Elle a compris que c’était elle, l’animal qu’on expose, qu’on désire, qu’on juge, qu’on détruit. Dans la peau d’une biche, d’un chien, d’un phoque qu’on frappe, elle a retrouvé la sienne.

 

La femme captive s’est mise à parler pour eux. À crier, à plaider, à déranger. Elle n’était plus muse, ni idole, ni proie, mais sentinelle. Dans sa maison du sud, parmi les cris d’oiseaux et le pas feutré des chats, elle a reconstruit une vérité plus ancienne que la gloire. Son amour est devenu arme, sa tendresse combat. Elle n’avait plus besoin d’être regardée : elle regardait. Elle voyait la souffrance du monde comme un écho à sa propre blessure.

 

Les hommes avaient fait d’elle une image. Elle a rendu cette image à la lumière. Elle s’est dépouillée du fard, des robes, des titres, pour n’être plus qu’une femme nue devant l’univers, offerte à la compassion. Et cette nudité-là, personne ne pouvait la lui prendre. Ce n’était plus la nudité du désir, mais celle de l’âme : transparente, brûlante, incorruptible.

 

Quand elle se tient devant un cheval, quand elle caresse le museau d’un chien sauvé, il y a dans son geste toute la tendresse que le monde lui a refusée. Elle parle aux animaux comme à des anges déchus. Sa voix, autrefois faite pour séduire, porte désormais la supplique du vivant. Ce qu’elle n’a pu sauver d’elle-même, elle le sauve d’eux.

 

On l’avait voulue poupée, elle est devenue prophétesse. On l’avait voulue docile, elle est devenue indomptable. Sa beauté n’a pas disparu : elle a changé de royaume. Elle s’est réfugiée dans le regard des bêtes, dans la pureté de leur silence. Ce qu’elle a perdu en éclat, elle l’a gagné en vérité.

 

Elle n’a plus besoin d’être aimée : elle aime. Sans mesure. Sans gloire. Avec la ferveur d’une sainte laïque. Et dans cette offrande, elle a trouvé la paix que les hommes n’avaient su lui donner.

 

Brigitte Bardot n’a pas fui le monde : elle s’en est affranchie. Elle vit désormais dans un autre temps, celui du cœur animal, où chaque souffle compte, où chaque cri pèse. Et quand elle ferme les yeux, on devine qu’elle revoit cette jeune femme qu’elle fut, cette beauté offerte, cet être de feu qu’on avait voulu posséder. Elle la regarde sans haine, avec douceur. Elle sait que c’est d’elle, de sa captivité, qu’est née la liberté.

 

Ainsi, la bête est devenue humaine, et l’humaine, enfin, est redevenue vivante.

 

 

Catherine Andrieu

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  B.B par Lalande patrick


 

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