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![]() oOo c’est un film-conte comme on n’en fait plus, stylisation extrême, elle cheveux rouges collants rouges chapeau jaune sac jaune robe bleue (durant tout le film) et décors archétypaux (steppe et routes vides, HLM et université grises, aérodrome d’un autre monde, désert d’un autre temps) les archétypes se succèdent (establishment costumé de gris, vieux prof dépressif et alcoolique semi-voyou, caïd T-shirt jaune veste rouge accompagné de ses bras droits, bagarres caricaturales) au milieu de ces archétypes on récite du Cervantès du Shakespeare et du Melville on récite plus qu’on ne parle on assène on enseigne conte didactique sur les mérites de l’éducation qui n’est qu’imagination, rendue concrète par les dessins colorés de la jeune fille sans papiers et colorée elle-même, dessins rendus en guise de copie, happy end du conte, elle est reçue à l’examen, en dépit de (tous les opposants et un seul adjuvant) tout se passe en extérieur, décor de théâtre/cinéma, bureaux dehors (sous la pluie pour prendre des livres, sur l’herbe verte, on passe les examens du conte dehors, ce n’est qu’après quand finit le film qu’on entre à l’université, elle entre et nous restons dehors) la famille ou soi-même, le passé ou le futur, on renie sa mère pour apprendre, et l’art c’est juste recréer un autre réel quand le réel est insatisfaisant (ce que fait le cinéaste à grands renforts de couleurs de décors extravagants) caricature de scène, humour à la Kusturika (la mère porte cage enfermant poule) tziganes comme les apatrides ou les réfugiés des mondes, accords internationaux récités face caméra, droit à l’éducation dans un monde capitaliste régi par l’argent - le prof la vole, resquille la bourse – l’art tente de garder la tête haute dans un monde où l’anglais et l’informatique sont plus importants que la philosophie et la littérature, le cinéma n’abdique pas, l’art s’insurge dessins crayonnés de toutes couleurs ou film à grand spectacle et figurants extravagants (cadavres qui parlent) mais sa propre pensée même dans les cages-prisons sa pensée et les paradoxes purs la violence aussi, elle jette la pierre et un autre danse un rap syncopé dans la route vide tandis qu’elle berce le bébé, seul art des rues autorisé à qui mendie le prof a perdu femme et fille a échoué en tant que mari et perd (en plongée dessiné couché sur le sol, lui seul réel, en dessin la femme la fille la maison le chat le soleil) l’art restitue la perte un poème de Ronsard entre les avions à terre, décor de mendiants toute littérature est morte et pourtant usine HLM et steppe grise, un gros ballon rouge un cerceau bleu comme parodie il pleut sur le bureau et derrière passe la baleine jaune de carton-pâte du capitaine Achab qui a tout perdu hormis la baleine et le sens virés du casting de cinéma figurants de pacotille et le prof s’acharne et le prof déclame pour la scénariste tu écris parce que toi tu vois plus que ce que les autres voient tu écris parce que tu refuses de céder au désespoir tu écris pour te battre contre la réalité alors construire réalité de conte/de cinéma, créer à côté d’un monde réel un monde plus humain il est difficile pour une pauvre, une apatride sans papiers de s’asseoir derrière un bureau quand on la traite de boulotte mais les dessins mais l’image mais le cinéma les artistes créent les ternes enseignent des éoliennes tournent dans la steppe Don Quichotte battu aussi emprisonné (dans la page dessin d’un château et des silhouettes de Quichotte et Sancho Pancha), contre les murs (des gens et des pouvoirs) mais le livre dans la prison le livre écrit dans la prison lu dans la prison y croire la vie c’est comme un film (errance d’un acteur durant une heure trente qui s’agite et ne signifie rien) seul le film crée la réalité adjacente la vie vivante contre toutes les mères l’éducation contre tous les destins au Kazakhstan ou ailleurs le burlesque peut-il éduquer petite gitane refabriquer les mondes décousus les civilisations sans littérature (ou scénariste) |
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C’est un poème qui se tient à la frontière du réel et de la fable, là où la parole cherche encore une forme pour survivre à la laideur du monde. Anne Barbusse y dépose les débris d’un conte — non pour les réparer, mais pour montrer que c’est dans la fracture que s’invente la lumière. Son poème est un montage de visions, un travelling mental à travers la grisaille d’une civilisation qui n’a plus de regard, seulement des slogans.
Elle dit la couleur comme on dit une prière : cheveux rouges, collants rouges, robe bleue, sac jaune — elle égrène ces mots comme un chapelet de résistance. Dans ce monde saturé d’archétypes, la jeune fille n’existe que par ses teintes. Sa chair se fait pigment, sa pensée se fait image. L’éducation, ici, n’est pas transmission, mais transfiguration : apprendre, c’est peindre. Apprendre, c’est désobéir à la fadeur du monde.
Les mots d’Anne Barbusse se déroulent comme un plan-séquence intérieur : steppe, routes vides, aérodrome d’un autre monde — la géographie de la pensée y devient celle du manque. Le poème avance à travers ces lieux sans murs, où l’école se tient dehors, sous la pluie, dans la boue, au bord d’un désert. Comme si l’acte d’apprendre ne pouvait avoir lieu qu’à ciel ouvert, exposé, fragile, au vent de tout perdre.
Les archétypes du film — le prof, le caïd, la mère, la cage — deviennent sous sa plume des allégories du savoir et de l’oubli. Ce n’est plus un décor, mais une parabole : celle d’un monde qui récite Cervantès sans comprendre Don Quichotte, qui prononce Shakespeare sans croire à Hamlet, qui cite Melville sans jamais affronter la baleine. Ce monde répète au lieu de rêver. Et c’est la jeune fille sans papiers, la « colorée », qui vient rappeler à la littérature qu’elle doit encore avoir des mains.
Le poème est une déflagration douce. Sous sa forme presque documentaire, quelque chose de mystique se lève — une ferveur nue, sans dogme, où l’art devient l’ultime recours face au désastre. Quand le prof déchu, couché sur le sol, voit sa femme, sa fille et sa maison réduites à des dessins, c’est toute la poésie contemporaine qu’Anne Barbusse met en accusation : que peut l’écriture, sinon restituer la perte ? Elle répond sans pathos : l’art restitue la perte. Il ne la comble pas, il la rend habitable.
Dans la pluie, dans la steppe, une baleine jaune passe. L’image est grotesque, presque risible, et pourtant sublime — le symbole d’un sens qui flotte encore dans les ruines. Ce que Ronsard murmure entre deux avions échoués, ce que les cadavres bavardent dans la poussière, c’est toujours la même prière : toute littérature est morte et pourtant.
Tout le poème s’élève de ce paradoxe. Tout art est inutile, et pourtant vital. Toute éducation est vaine, et pourtant nécessaire. Toute beauté est morte, et pourtant c’est par elle que le monde respire encore.
Anne Barbusse fait du fragment un manifeste. Son poème est tissé d’infinitifs, de phrases suspendues, de rythmes brisés — non pas par maladresse, mais par urgence. C’est une écriture qui marche à la vitesse de la pensée, qui trébuche, reprend souffle, avance malgré le tumulte. Elle ne décrit pas : elle expose la brûlure.
Et dans cette brûlure, tout devient symbole : les moulins dans la steppe — ce sont nos pensées battues de vent ; le livre dans la prison — c’est la conscience en exil ; la pluie sur le bureau — c’est la raison noyée sous la réalité.
Ce poème est un manifeste du vivant. Il dit que l’art n’est pas un luxe, mais une nécessité respiratoire. Que la littérature ne sauve personne, mais empêche de mourir tout à fait. Que même les figures de carton, les figurants de pacotille, peuvent encore opposer un regard au désastre.
Dans ce monde capitaliste où la valeur d’un être se mesure en productivité, Anne Barbusse oppose la lenteur du trait, la patience du dessin, la persistance d’une couleur. Elle refuse de céder au désespoir — non pas en espérant, mais en créant. C’est là tout le sens de sa phrase, limpide et essentielle : tu écris parce que tu refuses de céder au désespoir.
Ainsi, le poème se clôt sans se fermer. Il ne délivre pas de morale, il ouvre un champ. Il nous laisse dehors, face à l’université de l’existence, sans diplôme ni certitude, mais un peu plus vivants. Le poème d’Anne Barbusse n’enseigne rien : il apprend à regarder. Et ce regard, aujourd’hui, vaut tous les savoirs.
Catherine Andrieu