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Article publié le 14 février 2009. oOo
Kakos (extraits)
Émilien NOËL 1.1 La première fois que dieu lui apparut, 2 était en train de se branler devant un film érotique tout pourri. Quelque part, il se sentit violé dans son intimité. Pourtant, au début, il eut bien du mal à identifier ce dont il s’agissait. Il se dit alors que ce n’était rien. Au pire, ce pouvait être un voisin qui s’engueulait avec sa femme, un volet qui avait grincé ou le bruit étouffé d’un disque de Barry White. Un instant, il songea même à retourner à sa petite besogne mais cette impression continua de plus belle. Là, il commença à penser qu’il devait sérieusement être bourré, ou défoncé, ou quelque chose de ce genre. Ce qui l’inquiétait, cependant, c’est qu’il ne se souvenait pas avoir bu ou fumé quoi que ce soit, ni même s’être injecté ou avoir sniffé quelconques substances stupéfiantes. Il fut alors saisi de sueurs froides et sentit ses jambes flageoler. […] Il faut reconnaître que le vieux s’était quand même vraiment bien démerdé. Le GAD regroupait près d’une centaine de membres, auxquels il fallait, disait-il, ajouter deux à trois cent sympathisants. La communauté occupait une sorte de monastère au charme un peu désuet mais dont certains bâtiments remis à neuf étaient équipés de tout le confort moderne. Les locaux étaient auparavant occupés par une école coranique qui, dans un contexte de chasse aux sorcières islamistes, avait été expulsée fermement et sans autre forme de procès par l’armée royale. Du coup, Francis les avait récupérés pour une bouchée de pain. Il avait ensuite opéré une sorte de fusion avec une secte musulmane hérétique. En fait, il s’était lié d’amitié avec le gourou, qui partageait son goût pour les salons de massage, ce qui les avait amenés à rapprocher leurs deux communautés, au prix de quelques contorsions dogmatiques périlleuses. A la mort du gourou, la quasi-totalité des adeptes avait naturellement rejoint la Grossesse. Son esprit d’entrepreneur l’avait aussi amené à développer, adossée à la communauté religieuse, une petite entreprise de conseil en système d’information, spécialisée dans les activités de pêche. Les affaires marchaient bien, l’argent rentrait à flots continus, ce qui aidait bien pour propager le message dans toute la région. Vraiment, tout ceci apparaissait comme une belle réussite, au point que l’Elu finit par se sentir lui-même un peu minable. […] Dans l’affaire Deux, sa conviction fut faite dès lecture de la lettre de dénonciation. La petite boîte en carton qui accompagnait la missive et qui contenait un cœur séché attisa sa curiosité mais ne l’impressionna pas le moins du monde. Il ne doutait pas que ce fut un cœur humain et s’amusait par avance de l’effet que le récit de cette anecdote macabre produirait sur des jeunes femmes émotives. Elles en deviendraient blêmes, sans doute, et il pourrait alors en profiter pour poser une main sur leur hanche... Quand il présenta le contenu de la boîte sous le nez de Deux, cependant, cela n’eut pas tout à fait l’effet qu’il escomptait. D’abord, le prophète se demanda pourquoi ce timbré lui présentait une grosse tomate séchée et quel rapport cela pouvait bien avoir avec l’affaire qui les concernait. Tout penaud, L’Elu ne fit donc que hausser les épaules comme pour signifier qu’il trouvait tout ceci absurde, de fait, assez normal mais qu’il n’avait rien à en dire. Tardy s’en irrita un peu : " Et si je vous disais que les analyses ADN ont confirmé qu’il s’agissait bien du cœur de Robert F. … ? ". Deux retroussa alors sa lèvre inférieure d’un air dubitatif. Il savait bien qu’il était contre-productif de faire des blagues devant un juge pas drôle, surtout quand on est accusé de meurtre mais il ne put pas s’en empêcher : " Le connaissant, je l’aurais imaginé moins gros… ". Cela ne fit naturellement pas rire le juge Tardy. […] 4.13 Le monde de la prison était un monde de violence, d’ennui et de désespoir. Pour tenter de les sortir un peu de cette misère morale, on proposait souvent aux détenus quelques animations dérisoires, qui n’avaient le plus souvent pour réel intérêt que de rompre un peu la monotonie des journées, des semaines, des mois, des années. Ainsi en était-il de cette petite troupe de théâtre qui vint dans les murs de MonRo proposer une représentation de " En attendant de Godot ", de Beckett. Bien sûr, ce n’était pas forcément la pièce idéale pour égayer le quotidien d’un détenu mais Phil, le metteur en scène, chef de troupe et qui jouait le rôle de Pozzo, avait pensé que l’œuvre de Beckett pourrait justement leur parler. Phil était de ces idiots pétris de bons sentiments, qui s’enthousiasmaient pour le moindre truc qui se proclamait artistique. La vie à ses côtés était un véritable enfer. Il avait un goût de chiotte assez considérable, en particulier pour les arts plastiques, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec ce qui se passa ce jour-là. |
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