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Le trou noir
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 Article publié le 14 juillet 2009.

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Le trou noir

Kaviraj George Dowden

Pradip Choudhuri est né en Inde le 5 février 1943. C’était, n’est-ce pas, une date de bon augure, mais personne n’est jamais certain et l’intéressé lui-même moins que les autres. Cependant, il n’y a nul doute pour ce qui est du 2 septembre 1964, car à cette date lui et cing à dix poètes et écrivains bengalis, également dégénérés, se proclamèrent “bâtards”, bien que leurs actes de naissance respectifs le déniassent. Tous dans la fleur de la jeunesse, leurs vingt ans à peine passés, ils n’en lâchèrent pas moins une bombe au bas des dhotis (1) de leurs pères, qui appartenaient aux classes littéraire, politique, religieuse, économique et culturelle moyennes de l’Establishment, en la forme d’une anthologie sortie sous le titre de “Hungry Generation” (2).

Lesdits pères consommèrent en plein jour leur impudeur dans le fétide poste de police de Jorabagan, de la subdivision de Bakshall (Nord) du district de Calcutta et. sûrs d’eus mais extrêmement mal à l’aise, pour employer une formule, dénoncèrent dûment l’ouvrage comme une chose obscène publiée dans le but arrêté de “corrompre l’esprit du lecteur commun” - selon un cliché universellement trop familier -, pour ne pas ajouter “de monter une conspiration contre la société”.

Quelques-uns des mauvais compagnons de Pradip eurent les poignets liés par des cordes et furent jetés en prison pour des durées de 24 à 42 heures. Les principaux conspirateurs (Malay Roychoudhury, réputé le meneur de la bande de ces garçons trop mûrs et féconds, son frère Samir, Debi Ray, Saileswar Ghosh, Subbash Ghose, Subimal Basak et bien entendu, notre Pradip) furent licenciés de leur èmploi, la peine la plus grave contre les dissidents en Inde, où l’on ne touche pas l’allocation de chômage : vous travaillez ou vous ne mangez pas, si vous n’avez pas une famille compréhensive ou des amis avec un reste de riz et de dhall (3) dans la marmite. Juste avant ceci, Pradip avait aussi été expulsé de l’université Visva-Bharati (4), fondée par Rabindranath Tagore dans le Santiniketan (5), comme “fou” pour écrire des poésies “obscènes” au lieu de suivre assidument les nuances ennuyeuses du curriculum d’Allen Ginsberg à l’université Columbia, pour ne pas mentionner la vôtre, et flanqué, mail oui, à la porte de l’enseignement supérieur.

Or, dix mois environ après l’explosion de Hungry generation, les acusations contre les inculpés furent levées, excepté celles contre Malay qui fut déclaré, le 28 décembre 1965, coupable d’obscénité pour son poéme “Jésus tout électrique” dans l’anthologie, tandis qu’était ordonnée la destruction de celle-ci et que lui était condamné à une amende de 200 roupies (40 dollars avec un pouvoir d’achat de 280. Somme considérable à l’époque en Inde) ou à six mois de prison. Des remous s’ensuivirent. Il y eut appel et Malay fut finalement acquitté ... en 1967.

Les Hungry avaient-ils vraiment le repentir de leurs gribouillages outrageants et subversifs ? Par du tout ! Malay écrivit, immédiatement après le procès et la condamnation, un poème intitulé “En défense de l’obscénite” : “Je dévoierai et corromprai l’homme jusqu’à ce qu’il soit sain ... Je veus que la poésie soit ramenée à la vie !” Ses compagnons Hungry se rallièrent à ce cri et des manifestes Hungry flamboyèrent, où l’on lisait : “La vraie position d’un politicien dans la société moderne est quelque part entre le cadavre d’une prostituée et la queue d’un âne” ou “La poésie est un exercice de l’esprit le plus narcissique, qui ressuscite en un flux orgasmique, c’ést le cri de déspoir d’une chose qui veut être un homme, de l’homme qui veut être esprit ... le fracas violent de valeurs qui se brisent et d’effroyables frémissements de l’âme rebelle de l’artiste.” Des ouvrages, revues, pamphlets et feuillets Hungry Generation proliférérent - en fait, le tout premier livre HG fut “Mes rapides activités” de Pradip en 1967.

La fièvre s’étendit à d’autres régions de l’Inde. TIME MAGAZINE rapporta l’événement dans son numéro du 20 novembre 1964, ce qui signifiait une publicité l’échelle mondiale. La communauté “souterraine” des poètes et écrivains exprima sa solidarité. En Amérique, les Hungry furent défendus et publiés par City Lights Journal, Kulchur, El Corno Emplumado, Tribal Press de Howard McCord, etc. et en particulier par la revue Salted Feathers de Bakken, qui consacra aux Hungry, en 1987, tout un gros numéro patronné en grande partie par McCord, l’Intrepid d’ allen Deloach qui fit la même chose en 1968, patronné par l’Allemand d’avantgarde Carl Weissner.

Il y eut également des présentations de bienfaisance, comme à l’église St-Mark de New York, Allen Ginsberg, dont l’ouvrage “Howl” avait été en procès pour obscénité en 1957, et qui avait passé quelque temps avec les Hungry à Calcutta en 1962, écrivit un plaidoyer en leur faveur et défendit leurs buts qui étaient absolument identiques à ceux de la Beat Generation. Les journaux et les revues de l’Establishment en Inde firent aussi de la publicité pour les Hungry, bien entendu en les diffamant. Ce fut un heureux temps d’effervescence pour tous, en dépit des épreuves.

Les Poètes et les écrivains de la Hungry Generation furent effectivement lus. Avec leurs jeunes têtes fiévreuses, mais résonnant de la yie, de la rue et pleines des Artaud, Rimbaud, Lautréamont, Genêt, Michaux, Céline, Henry Miller, William Burroughs et Allen Ginsberg, pour ne pas mentionner des héros littéraires du cru tels que Manik Bandyopadhyoya et Jibananda Das, on pouvait deviner quelle sorte d’oeuvres ils auraient produites. Et ils les produisirent, ces oeuvres dont beaucoup furent conçues et menées d’une façon tout à leur âge tendre. Et en dépit de ces puissantes influences, leur autres ... C’est la même vieille histoire. Aujourd hui, un seul du groupe reste absolument fidèle à la vision Hungry : pradip choudhuri. Il est alors bon et juste - parce qu’il est un excellent et important poète - que ce soit celui d’entre eux qui ait enfin un ouvrage (dans une traduction anglaise du bengali) publié dans l’Ouest. Et cela est juste et bon non seulement pour ces raisons, mais aussi parce qu’il est celui qui est le plus étroitement lié â l’Ouest et à la littérature de pointe du 20ème siècle. En tant qu’éditeur des revues ppHOO et Swakal (“Contemporary times”) depuis 1963, puis du combiné Swakal/ppHOO jusqu’à ce jour, il a réguliérement et fidèlement publié, les introduisant ainsi auprès de ses licteurs indiens, des poètes et écrivains tels que Burroughs, Ferlinghetti, Bukowski, Harold Norse, Charles Plymess, Carl Weissner, Claude Pélieu Jan Jacob Herman - et moi-même - ainsi que d’anciens et de nouveaux poètes Hungry indiens. Il est aussi le seul Asiatique qui ait été invité à présenter une relation au “Kérouac Gatheirng”(Rencontre internationale) à Montréal en 1987. Mais quelle désiré visiter l’Ouest, lorsque dans des circonstances mystérieuses le gouvernement canadien i.e., visa d’entrée ! Cependant, son essai “L’existence phénoménale de Jack Kérouac : son influence sur la conscience moderne” fut lu par un autre délégué et un autre essai, “Le faux nom qu’était Jack Kérouac”, fut publié dans la revue des organisateurs, N’importe quelle route.

Je Connais personnellement Pradip depuis quelque 25 ou 30 ans maintenant, J’ai passé un temps formidable avec lui et d’autres poètes Hungry pendant mon année 1971-72 en Inde (relatée dans ma nouvelle autobiographique The Movint I, où il est Pratap Lal). Il est mon meilleur gourou dans le culte de la poésie - Religion et aussi un des trois Non-Saints pour le Non-gourou que je suis dans mon Yoga Comique “à l’intention des individualistes, artistes et outsiders” (ouvrage dont la publication est prévue d’ici quelques années).

The Moving I, écrit en Angleterre et concernant notamment l’Inde, a été publié en Amérique par Inkblot Books de Theo Green - le même et, relu au préalable dans tout son aspect “pradipement” par Pradip lui-même, dans la revue canadienne de Dave Christie Alpha Beat Soup. Oui vraiment, comme dans d’autres pays évoqués, on trouve là aujourd’hui un type familial de relation et une camaraderie internationale sincère. Et c’est, si jamais il en est, dans cette famille du Non-Establishment que le travail original est fait, un travail (au moins sa meilleure part) qui durera après que toutes les poésies du type “bestseller” et celles purement académiques auront été mangées par les vers.

Voilà pour l’arrière-plan. Et voici maintenant The Black Hole, centre sélection d’un quart de siècle des poésies de Pradip Choudhuri, des débutes de Hungry Generation à aujourd’hui. L’ouvrage commence avec “Mes rapides activités”, un travail remarquable pour un garçon de 22 ans, qui contient beaucoup des thèmes et des préoccupations Hungry ci-dessus mentionnés, lesquels seront répétés dans la plupart des poèmes qui suivent, notamment dans la première section. Il est aussi possible que le lecteur ait le souffle coupé par le langage et les images, parfois surréalistes, de la première section lorsque, forcément bien conscient de la primauté thématique, il suit le drame de l’obsession du jeune poète dans son attitude ambivalente envers les femmes. Cette sombre “Elle” qu’il rencontre à chaque tournant est-elle un objet de plaisir du Kama Sutra, la dispensatrice de moksha (libération) ou le rejection du diable, le giron dévorant dans lequel la virilité du pauvre jeune Indien trouvera la mort ou un autre moi ?

Pradip n’est pas autrement des plus contents ou reconnaissants que sa mère (“mma”) l’ait apporté dans ce drôle de monde. Ces thèmes et ces problèmes sont universels, bien sûr, comme nous le savons tous par les travaux de s. Freud et compagnie, mais peu de poètes occidentaux ont jusqu’ici abordé le sujet ainsi de front ou aussi charnellement que Pradip le fait et ont écrit de façon aussi intéressante sur leur libido torturée. Cependant, le lecture ne manquera pas non plus de noter une bien réelle tension d’humour noir, émouvante et rédemptrice, d’un bout a l’autre. Et, bien qu’encore difficile ce sujet du sexa, on peut apercevoir une tentative de développer une détente au cours de la deuxième section, et même dans la troisième, où la sexualité est encore pleine de complexité et cela se comprend puisque ce sont les premiers rêves d’un poète, les poète, les poèmes sont aussi surréalistes qu’avant. A la fin (les deux derniers poèmes 1988-1989), un nouveau bien que prudent aspect positif est mis en évidence, où l’on peut espérer que c’est un tournant pris par le poète maintenant mûr pour se dégager de la confusion, de la mort et comme l’ont désiré tous les poètes Hungry, plus de tranquillité, d’amour et de Poésie Religion (il a jadis écrit quelque chose sous ce titre, qui commence ainsi : “Je n’appartiens à aucune génération’’), c’est-à-dire plus d’individualisme et d’affirmation de la vie.

Il faut aussi dire un mot de l’imagination plutôt extraordinaire de ce poète. L’originalité est vraiment impressionnante. Là où un moindre poète aurait dit, citant plus ou moins sa mère parlant de lui, ‘‘il montrait à sa naissance à se mordre les muscles avec des dents diaboliques, certainement un talent bâtard, un véritable idiot’’. Cherchez donc ces délices de l’imagination à travers le livre.

Et maintenant, quand avez-vous lu pour la dernière (ou la première) fois un poète indien contemporain, un Hungry renommé qui soit universellement reconnu comme tel ? Eh bien ! vous y voilà, pour votre instruction et votre plaisir : Sri Pradip Choudhuri, Relevons tous nos basques et nos pagnes et entrons dans le Trou noir de Calcutta, où ses femmes et son âme pure et consumée de poète sont là en ce moment même. Comme il le dit lui-même : ‘‘Chérie, Chérie . . . . . .’’

Kaviraj George Dowden (6)

Brighton, Printemps 1989

(Traduction de Paul Georgelin)

 

Notes De Traduction :

 1. Le dhoti est un long vêtement des hommes en Inde.

 2. Génération Affamée

 3. Bouillie d’avoine

 4. Ecrit ailleurs Shanti Niketan, ‘‘Demeure de la paix’’ : ermitage créé par le père de Rabindranath Tagore comme lieu de retraite pour ceux désirant méditer.

 5. Visva-bharati : terme tiré d’un verset sanscrit, ‘‘Yatra visvam bhavati eka-nidam’’ (là où le monde se réunit comme un nid), choisi comme devise de l’université.

 6. Sanscrit ‘‘Kaviraj’’ : roi-poète.

 

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