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 Article publié le 10 juillet 2009.

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Frank Ferraty, quelle est la place de la poésie - celle que vous écrivez et celle que vous lisez - dans votre vie ?

La poésie occupe une place de choix au sein des imaginaires qui stimulent mon esprit créatif. L’art des correspondances, initié par le mouvement parnassien (Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, etc.), m’a toujours fasciné. 

Je me suis affranchi très vite de la ponctuation sous l’influence bienveillante d’Apollinaire. La poésie vibre en moi, elle est une nourriture qui me permet de transmuer le réel en surréel. Je suis venu à la poésie par la musique : jeux sur les assonances, les consonances et les dissonances, rythmes pairs, impairs, etc. Musique et poésie entretiennent des affinités électives depuis longtemps (que l’on songe à la lyrique des troubadours et des trouvères ou, plus proche de nous, au lied allemand ou encore à la mélodie française) : art de l’ineffable, la musique, par sa charge émotionnelle, suggère des ambiances sonores propices à l’hypnose poétique. En retour, la poésie se laisse portée par des états de conscience modifiée qu’induit une pensée musicale flottant en apesanteur. 

À quel moment décidez-vous de consacrer du temps à la poésie ?

La nuit de préférence en écoutant certaines musiques hypnotiques. Je me plonge alors dans un état second, et là, s’opère la magie…

Ezra Pound attribuait trois fonctions à la poésie :

  - la phanopoeia, poésie de l’image ;

  - la mélopoeia, poésie du son ;

  - et la logopoeia, poésie de la pensée.

Quelle est la part de ces trois dimensions dans À fleur de mots ?

« À fleur de mots » résonne comme un kaléidoscope sonore faisant écho aux multiples vibrations du monde.

Les versants diurne et nocturne de l’imaginaire se déploient en de sidérantes apparitions, véritables jaillissements de la pensée et des mots. Ces cris du cœur esthétisés et musicalisés par l’art poétique interpellent car ils nous ressemblent à la fois par leur singularité et leur universalité. La nature humaine finit par se confondre avec la mère-nature. Il y a dans la fulgurance des images poétiques convoquées la volonté de capter l’ineffable, c’est-à-dire ce « presque rien » ou ce « je ne sais quoi » si cher à la pensée du philosophe musicien, Vladimir Jankélévitch.

Rodolfo Agricola (je cite Ezra Pound), dit qu’on écrit toujours ut doceat, ut moveat, aut delectet, pour instruire, pour émouvoir ou pour charmer. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que l’on peut écrire pour ces trois raisons, mais pas seulement. L’anthropologie (celle notamment de Lévi-Strauss et de Gilbert Durand) a révélé les grandes topiques qui structurent nos imaginaires. L’écriture est un moyen d’échapper au temps, celui des montres et des horloges. L’auteur substitue au temps chronologique un temps psychologique, beaucoup plus évanescent : Kronos, paré des attributs d’Éros, contourne la menace latente de Thanatos, posté en embuscade…

Les titres qui jalonnent votre livre semblent constituer un itinéraire. Pouvez-vous le tracer ici pour nos lecteurs ?

Il s’agit plutôt d’un kaléidoscope sonore articulé autour de thèmes fédérateurs : le temps qui passe ; les révoltes ; la nature ; certains états d’âme ; l’humour ; les grandes interrogations existentielles, voire philosophiques ; l’amour ; la musique (toujours et encore…).

Résister, résistance sont les maîtres mots de ce recueil qui se veut un manifeste esthétique contre la misère du monde. Les attaques sont d’autant plus virulentes qu’elles empruntent le chemin fulgurant du sensible via l’expression cinglante d’une poésie à fleur de peau. Qu’il soit en rimes ou en vers libres, l’idiome composé diffracte ses atomes composites, éclats d’un monde qui peine à s’harmoniser. Aux outrages au sensible, le poète oppose un art engagé profondément humaniste. Les détournements de sens fréquents s’inscrivent dans la volonté de dynamiser les mots et les émotions afin de culbuter le cheval d’arçon des conventions. La déconstruction du sens rime ici avec sa reconstruction, condition préalable à l’émergence d’une nouvelle sensibilité…

La réflexion sur la poésie n’envahit pas votre livre, mais elle est si présente que je ne peux que vous demander d’en parler ici prosaïquement…

La question de la création m’habite depuis longtemps. Musicologue de formation, je me suis consacré d’abord à l’interprétation, puis à la composition et enfin, à l’improvisation. J’écris la poésie comme j’entends la musique : il ne s’agit ni plus ni moins que de combiner des sons et des idées : comme dans un standard de jazz, les mots, soufflés par une énergie créatrice, s’agrègent pour former des chorus. La forme reste évanescente, le poète procédant souvent par libres juxtapositions de tons et de couleurs.

Ecrire de la poésie aujourd’hui m’amène ici à poser le problème du style. Je me suis affranchi de la ponctuation et des règles classiques de versification pour libérer l’idiome et solliciter le lecteur qui devient acteur de ce qu’il lit : en reconstituant les « vers » selon sa propre intuition, il autorise l’apparition d’autres réseaux de significations (cf. problématique de l’œuvre ouverte).

Quel serait le grand thème contemporain capable de traverser les temps sans perdre sa pertinence ?

Le temps et son envers conditionné par une mise en abîme des universaux rythmant le mouvement pendulaire des pulsions de vie et de mort…

Y a-t-il une « colère Ferraty » ?

Bien sûr. Elle passe par une révolte exacerbée du sensible face à la misère du monde…

Que pensez-vous de la poésie contemporaine ?

Je ne la fréquente pas assidûment (par manque de temps). En outre, il est difficile de se faire une idée sur ce qui s’écrit aujourd’hui en raison du peu de recul que l’on a. Je fréquente une cave-poésie à Agen (dans le 47) où des auteurs plus ou moins anonymes lisent régulièrement leurs poèmes : tous les styles d’écriture se croisent et se côtoient (vers réglés, vers libres, avec ou sans ponctuation). Ce que je peux dire, c’est que la diversité des productions lues et entendues fait écho à la postmodernité ambiante.

Ma culture poétique s’est forgée au gré de mes pérégrinations musicales et extra-musicales : lyrique des troubadours et des trouvères ; Parnasse contemporain ; Rainer Maria Rilke ; Guillaume Apollinaire ; Max Jacob ; surréalistes, post-surréalistes ; Saint-John Perse ; Fernando Pessôa ; René Char ; Léopold Sédar Senghor ; Aimé Césaire ; chanson française, etc.

Je fonctionne au coup de cœur : J’ai lu l’œuvre poétique complète de Saint-John Perse, je ne m’en lasse pas. Sa sensualité, son culte de la nature (sorte de panthéisme moderne) restent une source d’inspiration infinie…

Vous êtes musicologue et chercheur. Qu’est-ce que vous cherchez ? Et pourquoi la musique, la longue histoire des résonnances et des instruments ?

Je suis effectivement musicologue, enseignant-chercheur (même si pour l’instant, j’exerce dans le second degré). Membre de l’ERELHA (Equipe de Recherche en Lettres, Histoire et Arts) dépendant du Laboratoire Art, Culture et Transmission de l’ICT (Institut Catholique de Toulouse), je travaille actuellement autour de la problématique « chemins/cheminements », et plus particulièrement sur les racines afro-américaines du jazz. J’ai soutenu en 1998 une thèse de doctorat sur « La musique pour piano de Francis Poulenc ou le temps de l’ambivalence », thèse qui est en cours de publication. J’ai publié deux articles : l’un sur Poulenc (« À l’écoute du piano de Francis Poulenc : entre identité et altérité », 2005), l’autre sur Monteverdi (« L’Orfeo de Monteverdi : une fable d’une obscure clarté », 2008). Je prépare en ce moment un article sur la musique du film « The Hours » de Stephen Daldry (2002).

A travers mes investigations, je scrute les universaux traversant les imaginaires d’artistes singuliers, artistes qui témoignent par leurs œuvres de leur profonde humanité. Le musicologue se trouve confronté à la difficulté de dire et d’écrire l’ineffable… 

L’être aimé n’est-il pas « musical » et n’est-ce pas de cette sensation que naissent toutes vos impressions poétiques ?

La musique est l’énergie pulsionnelle originelle qui enlumine mon imaginaire : elle irradie toute ma poésie, ne serait-ce que par sa sensualité, le jeu sur les assonances, les consonances et les dissonances, les rythmes (temps, contretemps), le contrepoint, la monodie, la polyphonie, les nuances (p, f, crescendo), les accords et désaccords, etc. Evanescente, la poésie ondule sur la bande passante du temps musical en devenir…

Publier de la poésie relève souvent aujourd’hui du coup d’épée dans l’eau. Frank, qu’est-ce que vous espérez ?

Je suis conscient de la difficulté que rencontre la poésie à se faire « entendre » aujourd’hui. Dans un monde, où l’utilitaire prime sur l’essence des mots et des choses, il est crucial de laisser une fenêtre entrouverte sur ce « presque rien » ou ce « je ne sais quoi » dont nous parlait Jankélévitch.

Je trouve que nous vivons dans un monde qui manque singulièrement et cruellement de poésie. Revenir à l’art des correspondances pour irradier d’émotions fortes nos sensibilités écorchées, tel est le souhait que je formule pour que vive et survive la poésie.

Pour ma part, je me considère comme un passeur d’émotions : je continuerai donc à écrire de la poésie, à composer et jouer de la musique, à arpenter les chemins à la fois pierreux et vertueux de la création artistique...

 

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