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Dans une vie antérieure
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 Article publié le 14 décembre 2009.

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« L’action décisive est la mise à nu. La nudité s’oppose à l’état fermé, c’est-à-dire à l’état d’existence discontinue. C’est un état de communication, qui révèle la quête d’une continuité possible de l’être au-delà du repli sur soi. Les corps s’ouvrent à la continuité par ses conduits secrets qui nous donnent le sentiment de l’obscénité. L’obscénité signifie le trouble qui dérange un état des corps conforme à la possession de soi, à la possession de l’individualité durable et affirmée. Il y a au contraire dépossession dans le jeu des organes qui s’écoulent dans le renouveau de la fusion, semblable au va-et-vient des vagues qui se pénètrent et se perdent l’une dans l’autre. Cette dépossession est si entière que dans l’état de nudité, qui l’annonce, qui en est l’emblème, la plupart des êtres humains se cachent, à plus forte raison si l’action érotique, qui achève de la déposséder, suit la nudité. » Georges Bataille, L’érotisme, 1957

 

 

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Dans une vie antérieure

 

A toujours vouloir fuir les ennuis, il a récolté l’ennui.

A toujours assurer ses arrières, à toujours chercher la sécurité ou une garantie, il a lassé, puis laissé la passion.

A trop vouloir récolter les fruits verts, il a tué l’arbre qui portait des fruits.

A toujours voir l’arbre dans le fruit, il en a oublié le fruit qui mûrit, le soleil et le bleu du ciel.

Longtemps, il a fuit, il n’a cessé de fuir.

Il a emporté dans sa fuite ce qu’il traînait derrière lui.

Il avait oublié de regarder en avant de lui, là où il n’y a encore rien, pas même lui-même.

Ce temps est révolu, le temps est désormais ouvert sur l’avenir indéfini dans l’amour infini qu’il voue à une femme de chair et de sang, de grande envergure, aux motivations puissantes et à la haute exigence.

Il est prêt, prêt à faire le saut pour se hisser à la hauteur des ambitions qu’elle cultive pour elle et pour celui qu’elle aime, lui-même étant d’une haute exigence envers lui-même et celle qu’il aime.

 

 

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Destinées

 

Il ou elle, au fond, peu importe, la perspective est la même, seuls diffèrent un peu les enjeux, ceux-ci tendant actuellement à s’uniformiser : une femme voudra un bon père pour ses enfants, un homme solide et entreprenant et un bon amant, ce qui, souvent, fait beaucoup pour un seul homme, tandis qu’un homme voudra une bonne mère pour ses enfants, une femme qui assure à la maison et à l’extérieur en même temps et une amante.

Les femmes sont plus solides que les hommes, elles parviennent souvent à réunir ces trois qualités exigées implicitement par les hommes, sans toujours parvenir à les épanouir toutes les trois en compagnie d’un homme qui choisit le repli sur soi, qui profite de sa femme en qui il voit essentiellement une occasion de soulager une envie pressante et fugace, une bonne mère et une bonne ménagère qui se tape tout le boulot à la maison…

Il y a cette sorte d’homme, pourtant, qui ne rechigne pas à la tâche, qui assume une part du travail domestique, s’occupe des enfants et n’a qu’un désir : chérir son épouse. Il arrive alors, parfois, que ce soit la femme qui abuse de la situation en se déchargeant sur son mari, chargé des « affaires extérieures et intérieures », à qui elle demande, en sus, d’être bon amant, d’avoir le sourire, alors qu’elle ne paie pas de sa personne, consacre beaucoup de temps à son travail, néglige de cultiver un loisir ou une passion - elle en est dépourvue, faute d’éducation, de culture et d’envergure - pour ne se focaliser que sur le travail ménager tout en exigeant de son mari qu’il en fasse beaucoup au nom de l’égalité !

Il y a cette sorte d’homme, catégorie subsidiaire, qui refuse ce petit jeu : ils se lassent de toujours donner et payer de leur personne sans rien recevoir en échange que des critiques acerbes et des demandes d’amour à sens unique. Cette sorte d’homme, souvent doté de talents, ce sont souvent des artistes qui s’ignoraient, qui se découvre peu à peu artiste peintre, musicien ou écrivain.

Les écrivains sont les plus chanceux : on peut écrire de grandes choses à tout âge, alors qu’un musicien qui a commencé trop tard restera toujours un amateur plus ou moins éclairé, plus ou moins brillant. Quant aux peintres, c’est affaire aussi de technique, mais la technique picturale est plus libre, plus variée que la technique musicale, l’essentiel étant d’adapter ses façons de peindre à ses façons de voir la réalité…

Cette sorte d’homme, assez rare, aime les femmes, mais ne veut les aimer qu’à travers une seule femme qu’il a élue : ces hommes n’ont pas besoin de séduire tous azimuts, ils ont besoin de soutien, d’encouragement tout en étant fiers et indépendants.

Il leur arrive d’être au désert et de désespérer : ils savent la beauté à leur portée dans un corps et un cœur qui, pour diverses raisons, est absent ou bien hors de portée. S’en suit pour eux une lutte entre leur volonté d’art conjugué à la volonté d’aimer dans un corps et un cœur une femme de grande valeur - volonté contrariée dans les faits, d’autant plus contrariée que ce bonheur qu’ils veulent se donner et qu’ils veulent donner, ils le savent à leur portée : la femme qu’ils aiment existe réellement - et la tentation de tout laisser tomber faute de savoir attendre l’heure favorable : c’est qu’en art, on cultive l’immédiat à travers le temps : tout se donne d’un coup à travers la durée, tout se déroule dans le temps composés d’instants merveilleux ou arides, les parties, les sous-ensembles, les chapitres d’un livre par exemple, ou les poèmes qui s’agrègent les uns aux autres patiemment, mais chaque fois en affirmant leur éminence d’instant, étant vécus comme le cœur de l’ensemble qui ne peut jamais ne se donner que partiellement.

Il reste à cette sorte d’homme une solution bancale : la patience et l’endurance : ils appliquent à leur vie amoureuse ce qu’ils vivent dans leur art : ils acceptent le discontinu d’une relation distendue, en ayant toujours en tête et dans le cœur cette perspective d’ensemble qui leur tient à cœur : en amour, le désir passionné d’être auprès de l’être aimé – c’est l’érotisme des cœurs – et le désir non moins passionné de faire l’amour, de ne faire plus qu’un avec l’être aimé, pour affirmer, pendant quelques heures, ce désir, qu’ils partagent avec la femme qu’ils aiment, de la continuité, de la fusion des corps – c’est l’érotisme des corps…

Vient un temps où l’œuvre réclame sa pleine réalisation, de même l’amour qui ne peut se contenter de vivre dans la procrastination, la remise à plus tard de la perspective fusionnelle, heureusement pondérée par un sain réalisme qui consiste à penser qu’il faut de tout pour faire une vie : du temps pour soi, du temps pour l’être aimé… 

 

 

-3-

La dépossession

 

Ce qui l’emporte, seul importe, mais pour ne pas importer dans ce qui nous emporte ce qui nous a lentement déporté de nous au fil des années.

Il y a ce temps difficile entre tous - difficile parce que de longueur indéfinie - où ce qui nous importe ne nous emporte pas encore, seul emportant l’adhésion ce qui libère, et cette liberté attendue, propritiatoire et réparatrice, si elle est une étape nécessaire vers un nouvel élan, peut tout aussi bien le briser net, en lassant la patience de qui attend les effets de cette libération. Une libération, ça prend du temps. Rien ne se fait en un jour, il y a des moments difficiles, et des décisions à prendre qui engagent l’avenir. Essentiellement, il importe d’être au clair sur soi pour être clair avec les autres, et réciproquement : être clair avec les autres nous permet rapidement d’être au clair avec nous-mêmes, des décisions s’en suivant, le moment venu. Ce chemin de patience n’est pas pusillanime, il est exigeant autant pour celui ou celle qui a le courage, le grand courage de l’emprunter que pour celui ou celle qui est dans l’attente.

La patience et l’endurance, oui, mais pour vivre ici et maintenant, car on n’a que faire d’un paradis hypothétique promis dans quelque au-delà. Remettre à plus tard, toujours à plus tard, pour arriver au seuil de la vieillesse en ayant attendu et fait attendre, en n’ayant rien vécu de fort, en ayant traversé que les soucis légitimes de la profession et de l’éducation des enfants… Voilà bien une perspective délétère !

La vie est exigeante avec nous qui sommes exigeant avec elle : on veut pouvoir se donner à fond, et ce n’est possible, en toute sécurité, qu’une fois bâtie une vie saine, c’est-à-dire fondée sur des désirs et des ambitions clairs, partagées par les deux personnes qui disent s’aimer pour s’aimer et s’aiment pour le dire : la communication intense est la condition sine qu non d’un amour réussi, une vie saine, dégagée des fantômes du passé étant, par ailleurs, une condition nécessaire, mais non suffisante pour s’aimer durablement, car, au fond, une fois réunis ce deux prérequis, seul importe ce qu’il y a à communiquer : beaucoup d’amour à travers des gestes tendres et des caresses osées, des mots doux et des mots crus, des étreintes et des jeux, toutes choses délicieuses qui permettent seules d’affirmer le primat de l’instant vécu, la continuité désirée, la liberté et l’impudeur, la nudité partagée qui ouvre sur la dépossession.

Se déposséder de soi, se délester en planant dans la jouissance, qui n’écrase pas, qui exalte, tout au contraire, exige une confiance absolue dans l’être aimé, et cette confiance ne se construit que dans la vie réelle, le travail, la vie quotidienne, la fréquentation et la communication.

La dépossession, alors, dans l’acte de communication majeur qu’est l’érotisme ouvre à son tour sur tous les possibles de la vie, heureusement embrassés : le travail acharné, l’ambition, l’esprit d’entreprise et d’initiative. Il faut ces deux dimensions pour qu’une vie puisse se dire réussie. 

 

 

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