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 Article publié le 26 janvier 2010.

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Charlie était homme de main dans un domaine appartenant à des Saoudiens venus chercher en Europe les moyens de dépenser leurs pétrodollars de la façon la plus rapide et la plus conventionnelle : achat de chalets dans les Alpes, de yachts avec anneaux dans les ports les plus chics , acquisition de rues entières autour de la place de la Concorde et de Times Square etc. …

Les puits de pétrole n’en finissaient pas de jaillir en tous points des terres saoudiennes à telle enseigne qu’il était impossible de construire un golf ou même un court de tennis sans qu’au premier coup de pioche on soit éclaboussé par un geyser pétrolier.

Et il n’était même pas besoin d’avoir l’œil fixé sur le CAC 40 ou le coup de main d’un capitaine d’industrie pour faire gonfler jusqu’à explosion les coffres en Suisse et multiplier les actions en hausse sur toutes les places financières de la planète.

L’argent sous toutes les devises affluait, et comme une pollution insidieuse dénaturait le paysage.

Cela explique peut-être que les Saoudiens aient besoin d’occuper de nombreuses demeures pour rompre la monotonie de leur existence ? Et qu’il soit urgent de faire circuler au plus vite cet or qui menace de déborder de ses containers (et alors, dieu sait quelle calamité en découlerait) pour faire place à d’autres ors liquides ou solides qui déjà pointent à l’horizon.

 

Charlie qui savait tout juste lire, mais très bien compter, avait été recruté par une annonce parue dans Nice-Matin et il avait été engagé au vu de sa carrure de lutteur, et surtout de la taille impressionnante de ses mains calleuses larges comme des battoirs. A les voir, on comprenait qu’elles étaient de nature à effectuer toutes les besognes que des mains plus délicates auraient eu du mal à accomplir.

On lui avait décerné le titre de « Majordome » avec un salaire équivalant à celui d’un P.D.G et on l’avait affublé d’un uniforme si rutilant que de loin, on pouvait le prendre pour un amiral.

Charlie éclatait de fierté dans cet accoutrement et il toisait avec arrogance les passants qui longeaient les grilles du domaine sans chercher à dissimuler leur curiosité. Arrogance qui devenait rage indomptable dès que les passants s’attardaient. Charlie alors n’y allait pas de main morte et usait de tous les pouvoirs qui lui étaient conférés : il libérait les deux dobermans auxquels il avait retiré les muselières et cela suffisait à faire fuir les insolents qui s’étaient risqués à prendre le domaine en photo.

Le gardien avait toute latitude pour tenir à l’écart la populace et il faut reconnaître qu’avec lui, l’intimité des maitres était entre bonnes mains !

Il pouvait aussi bien arroser les curieux obstinés au karcher, que déverser sur eux des tonnes de boules puantes ou actionner des sirènes spécialement conçues pour percer les tympans de ceux qui ne s’étaient pas munis de boules quies.

Il lui arriva même de braquer sur les importuns une lance à incendie pour faire fuir ceux que la bombe lacrymogène n’avait pas dissuadés.

Il faut reconnaître que, lorsque Charlie prenait les choses en mains, rien ne lui résistait. Ses maîtres ne pouvaient que se féliciter de se savoir si bien protégés.

Et ce d’autant plus que chacun des hommes qui était de passage dans la demeure était en général accompagné de son harem personnel.

Bien que les femmes soient strictement voilées et que seul un de leur yeux soit visible afin qu’elles puissent se déplacer sans l’aide d’un chien d’aveugle, les propriétaires n’étaient jamais assurés qu’aucun œil masculin ne jetterait un regard concupiscent sur une de leurs épouses. Et dieu sait quelle catastrophe en aurait résulté ?

Ces dames se déplaçaient à l’intérieur du domaine en groupe, en troupeau gardé par l’eunuque de service, un grand gaillard qui ne parlait qu’arabe, quand il parlait ce qui arrivait rarement.

Jamais on n’aurait pu en voir une, isolée et sans chaperon s’asseoir au bord de la piscine ou cueillir quelques roses : elles devaient toujours marcher et si elles étaient lasses, alors l’eunuque les rentrait à l’intérieur…

Fallait-il qu’ils trouvent irrésistible la beauté féminine de leur femmes, même enfouie sous la burqa ! Ou bien étaient-ils si peu confiants dans leur virilité qu’ils redoutaient qu’un autre homme constate leur défaillance ?

 

Charlie, bien sur, ne se posait pas ce genre de question. La psychologie n’étant pas son souci il se bornait à remplir, de main de maître la fonction pour laquelle on le payait.

Lui qui n’avait jamais conservé un emploi en raison de sa monumentale paresse (un de ses employeurs lui avait même dit « ce n’est pas un poil que vous avez dans la main, c’est une queue de vache ») se donnait corps et âme, nuit et jour à son travail de surveillance.

Bref, le gros Charlie, l’inadapté, le sauvage, avait enfin trouvé sa voie et il aurait mangé dans la main de ses maîtres, j’en mets ma main au feu, tant étaient grands sa reconnaissance et son dévouement …

 

Un matin, la plus jeune épousée du plus jeune des maîtres osa se mettre à son balcon au saut du lit. Elle prit une profonde inspiration, s’étira voluptueusement et se mit à fredonner un air de son pays. Puis elle alla lentement revêtir la burqa règlementaire.

Charlie qui montait la garde l’aperçut et son cœur chavira d’un coup. Ses gros mollets tremblèrent et la sueur se mit à ruisseler le long de son dos.

Toute la journée, il erra dans un état second, un vague sourire aux lèvres, et il oublia de vérifier que le facteur qui apportait un recommandé, ne levait pas les yeux sur le harem en promenade.

Le lendemain, il se posta au même endroit, tel un Roméo à Vérone, et la même jeune femme revint, sans voile, chantonner à sa fenêtre en humant l’air frais du matin.

Et il en fut de même plusieurs jours d’affilée.

 

Charlie était bouleversé, transfiguré, et il avait perdu le sommeil et l’appétit.

La malicieuse prenait plaisir à sentir la présence de cet ardent admirateur dont elle apercevait la silhouette sous son balcon et elle prolongeait parfois son apparition pendant plusieurs minutes.

L’été se passa ainsi, dans les transes pour Charlie, dans l’amusement pour la belle et innocente allumeuse.

 

Et le maître, à l’automne, fit l’acquisition d’un nouveau harem : un prestigieux rassemblement des plus capiteuses beautés de l’Orient qui lui avait coûté le prix d’une journée de récolte pétrolière.

Il convoqua Charlie pour lui faire part de cet achat et du surcroit de travail que cela entrainerait : les voisins pouvaient s’apercevoir de la venue de nouvelles femmes, sait-on jamais, et vouloir les contempler ?

C’est alors que le maître regarda son majordome et fut frappé par son air lamentable, ses yeux creux et surtout son amaigrissement. On aurait dit un boxeur après une saison de k.o.

Avec sollicitude, le maître dit à Charlie que s’il le souhaitait, il pouvait se choisir un aide, le former et lui apprendre le métier car il ne pourrait assumer une nouvelle charge de travail. Ce à quoi Charlie s’empressa de répondre qu’il était heureux de travailler seul et nullement désireux de s’encombrer d’un aide qui ne pourrait qu’être une gêne inutile…

Le maître insista, dit qu’un coup de main serait nécessaire pour permettre à Charlie de se refaire une santé, et qu’il ne s’agirait que de passer la main un cours laps de temps.

Devant le refus obstiné de son majordome de se faire seconder, il voulut lui témoigner sa reconnaissance et lui demanda ce qu’il pouvait faire pour lui.

Charlie baissa la tête et murmura « l’objet qui rendrait la joie à mon cœur est si inestimable que je n’ose le nommer ».

Le maître insista, se fit convaincant et Charlie osa lui dire que, très respectueusement et en s’excusant de son outrecuidance, il aspirait à lui demander la main d’une de ses acquisitions, celle qui logeait, depuis le printemps, dans l’aile sud du château.

Le maître éclata d’un rire tonitruant et s’écria :

- « Ce n’est que ça, cher Charlie ?

Vos exigences sont bien modestes au regard de votre valeur et pour moi, ce n’est qu’un maigre cadeau que je vous offre si je pense à tous les services que vous nous rendez… »

 

Charlie quitta le maître dans un état d’élation tel qu’il semblait léviter à un mètre du sol. Il se retira dans ses appartements et s’agenouilla en remerciant la vierge Marie d’avoir entendu sa prière, lui le mécréant au service d’islamistes orthodoxes…

Et pour la première fois depuis des semaines, il avala un repas copieux et s’endormit d’un lourd sommeil peuplés de rêves érotiques.

 

Et le lendemain Charlie trouva devant sa porte un colis joliment emballé. Étonné, il sectionna la faveur rose, tout en se demandant qui au monde pouvait avoir envie de lui faire un cadeau.

Et dans un bel écrin doré, il trouva une main mignonne à l’annulaire de laquelle brillait un diamant de plusieurs carats et ce mot signé du maître :

« Voilà cher Majordome, la main que vous m’avez demandée, avec, en plus mon cadeau personnel. Ne me remerciez pas, et vendez ce diamant grâce auquel vous pourrez vous offrir le harem de vos rêves ».

 

Charlie le mastodonte s’évanouit comme une femmelette…

 

Rolande.Scharf

 

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