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Panthéonade
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 Article publié le 14 mars 2010.

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Panthéonade
Robert Vitton

Ce gâteau de Savoie ayant Hugo pour fève,
Le Panthéon classique est un morne tombeau.
Pour moi j’aimerais mieux – que le Diable m’enlève –
Le gésier d’un vautour ou celui d’un corbeau.
 

Georges Fourest (1867-1945)

 

Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle - nos frères dans l’ordre de la Nuit... Entre ici, Jean Moulin ! Entre… La porte, merde ! Je suis Jean Moulin. Vous pouvez m’appeler Max. Je suis né à Béziers en 1899, je suis mort dans le Paris-Berlin, à la hauteur de Metz, en 1943. Vous en avez un beau chapeau, dites donc ! On vous a inhumé au Père-Lachaise en 1944. Vous en savez plus que moi. Si nous sommes en 1964, vous en avez mis du temps ? Un de ces quatre, on nous ramène en poids et en volume l’Alexandre Dumas avec ses mousquetaires, vous verrez. Que ces forts en gueule livrent quelques bas-bleus pour dégeler mes locataires. Entrez ici, la Gouges, la Sand, la Colette, la Noailles, la Sévigné, la Ségur… Ce n’est pas la châsse de la sainte Geneviève qui les revigore. Qui va à la châsse perd sa place. Vous me l’avez enlevé de la bouche. Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ! Putain, ils ne manquent pas de culot, les salauds ! On se casse l’échine pour la gloriole, peut-être ? Le lieu de repos des grands esprits honorés par la République ! J’en ai qui se retourne toutes les nuits dans leur tombeau. Je voudrais les y voir tous ces tresseurs de lauriers, tous ces bricoleurs d’auréoles, tous ces salueurs de couleurs à cul ouvert, tous ces coqeriqueurs à cocarde, tous ces triacleurs tricolores… Je voudrais les y voir ! La République ! Je vous en sers de la République ! Marie ! Anne ! La République est naît d’une chanson ! Marianne, c’est la fille du cordonnier sans-culotte le plus mal chaussé de Puylaurens. Le cordonnier-poète Guillaume Lavabre ? En chair et en os. Paraît-il, il écrivait d’arrache-pied, sans prendre sur son manger, ni sur son boire, ni sur sa sieste. La Poésie ne le lâchait pas d’une semelle, c’est le cas de le dire. A table ! Au lit ! En 1792, le Midi chantait La garisou de Marianno. La guérison ! Vous avez illustré Tristan Corbière… Le dessin humoristique, satirique… Un joli crayon ! Je peins des paysages… L’Autriche, la Prusse et la Russie ! À trois empereurs, opposons trois dates : le 14 juillet, le 10 août, le 21 septembre. Le 14 juillet a démoli la Bastille, et signifie Liberté ; le 10 août a découronné les Tuileries et signifie Égalité ; le 21 septembre a proclamé la République et signifie Fraternité. Liberté, Egalité, Fraternité, ou la mort, Victor ! Vous prendrez quelque chose, Jean ? Quelque chose derrière les fagots, sur les barriques en perce, entre les faisceaux de fusils, sur les canons… Si nous sommes en 1871, le drapeau rouge flotte sur le dôme ! Les Tuileries incendiées ! Vous avez travaillé le bois, remué de la terre… Menuisier, terrassier… J’ai même été téléphoniste. Agriculteur à Saint-Andiol… J’ai tenu une galerie d’art à Nice. Mais ça… Jean, des nouvelles de la République ? Ses torchons mensuels brûlent, ses hebdomadaires chargés de sable et de sel traversent des déserts, ses quotidiens nous font la vie dure… République ! Tu saignes discrètement à la une. Une bananeraie dans la raie entre deux males semaines ! Tes blancs-seings, tes seins blancs à la finance, à la soldatesque, à la flicaille… Des pavés publicitaires et des pavots ! Tu te pavoises comme une nave ; comme une Notre-Dame ! Dans tes tripots, tu tripotes mes friperies et mes macédoines littéraires, mes affaires de bibus, mes canevas effilochés, mon style de mauvais aloi, les fruits blets de mes hasards… Dans tes tripots, fais-tu cas de ma peau, de mes tripes ? Assise sur le seau hygiénique de l’Etat, elle répond à travers son bonnet, la Gueuse, la Semeuse de cornes ! Dreyfus, un point commun entre votre père et Zola. J’ai marché sur ses pas. Ma mère, elle, elle enseignait l’Histoire et la Géographie. Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau… Gavroche ! Je ne suis pas notaire, c’est la faute à Voltaire… Gavroche ! Je suis petit oiseau, c’est la faute à Rousseau. Gavroche, laisse Victor tranquille ! De temps en temps, il aimerait dormir sur ses deux oreilles. C’est mon fils. Trois longs jours sans école. Les enfants, on prépare leurs voies. Pile ou face ? Le prendre ou le laisser ? Saint-Exupéry, dessine-moi un pince-sans-rire ! Ma femme est de Besançon, la ville où Victor Hugo dit ses premiers mots. Gavroche, c’est pour ça. Moi, je suis du côté d’Aix… Aix-en-Provence où Zola passe enfance et adolescence. Si une fille nous vient, ce sera Nana. Maintenant, l’air natal, je le prends dans mes songeries… Des andains de lavande, des bourriches d’algues, des couffes d’ail, des amphores d’huile d’olive, des mistralades… Ma moitié, je l’ai rencontrée au Musée des Monuments Français. Nous y avons débuté notre carrière. Le chiffon, le plumeau, le balai… La poussière des siècles. La voir requinquer un gisant en cinq secs… Ni une, ni deux, j’ai demandé sa main. Sans parler des bas-reliefs, ni des colonnes. Et puis, on m’a proposé cette place au grand Temple du Quartier latin. Eglise, temple de gloire, église, temple de la nation…

 

Chaque jour que le diable fait, le gosse a droit à un passage de Victor ou d’Emile. Je désire être porté au cimetière par le corbillard des pauvres. Ni vu ni connu, je t’embrouille. En fin finale, des funérailles nationales pour l’auteur des Misérables ! Entre ici, les pieds devant ! Heureusement qu’avec le pendule de Foucault, on est à peu près sûr qu’elle tourne, la ronde machine. François Marie Arouet, Jean-Jacques Rousseau… Que de chamailleries dans le dortoir ! Vous entendez ? C’est le cœur de Gambetta. On dirait un métronome. Le 11 novembre 1920… Un Cœur bat la chamade, un Soldat inconnu pose son barda sous l’arc de triomphe de l’Etoile. Je laisse volontiers aux Invalides les Turenne, les Vauban, les Napoléon, les Foch… Entre ici, Louis Braille, avec tes bâtons blancs ! Entre ici, Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès, avec les mineurs de Carmaux ! Entre ici, André Malreaux, avec tes cliques et tes claques, avec tes sèches et tes cendres… Entre ici, Honoré Gabriel Riqueti, marquis de Mirabeau, orateur du peuple et torche de Provence ! Allez, ouste ! Ddécamper Mirabeu, Marat… Les époux Curie, les époux Berthelot. Je suis pour la paix des ménages. Des ménages et des méninges ! Et tous ces noms sur les murs… Desnos, Apollinaire, Fournier, Péguy…

 

Que me moulinez-vous, ô vieilles manivelles ? A l’heure où la rue perd jusqu’à ses traînées et ses rondes de faces de requiem au pain azyme et à l’eau bénite, de chalands, de fêtards, de saltimbanques, de loqueteux…. A cette heure, ma vie ne vaut même plus le clou rouillé où j’accroche ma guenille brodée et rebrodée par les mites, mon sarrau de fabricateur de vers et de prose, ma nippe qui dégoutte de larmes, de sang, de sueur… Galère ! Ma galère et toute sa chiourme sur les pavés germanopratins ! J’égratigne le gras gratin. J’en ris ! Je rime, je rame à Saint-Ger dans les prés, dans le vent, dans l’avant-garde. C’est fab’, c’est fab’, c’est fabuleux la mélanc’, la mélanc’, la mélancolie ! Je frange des frangines à la chien. Toujours prêt à en découdre avec l’époque, avec la saison, avec l’instant… Je boulonne sur le boulevard Saint-Michel de Ferdinand Lop, le Boul’Mich’ qui se jette à la mer, j’escalade son Montmatre qui surplombe la rade de Brest, je supprime le wagon de queue des rames métropolitaines. Au char de l’Etat, il faut la roue d’un Lop. L’Etat salope ! Debout, les damnés de Nanterre ! Debout, les forçats de Pantin !

 

Ça me turlupine… Avez-vous été identifié ? C’est bon, je passe aux aveux. Je ne suis pas Jean Moulin. Tous les mois de décembre, j’ai des Jean Moulin avec leur terrible cortège. On ne refait pas l’Histoire, mais les histoires… Vous voyez pourquoi j’aurais voulu être écrivain ? Poète, dramaturge…. Vous avez connu Max Jacob ? Et Saint-Pol-Roux… Et… Je vous entends venir avec vos casseroles, avec vos fiers grelots, avec vos brodequins, avec toutes vos cours contentes des paroles des gilles, des vigiles, des évangiles… Je vous entends venir dans mes flâneries, dans mes haltes, dans mes délires, dans mes causeries… Je vous entends. Je me prends à bras-le-corps, avec des pincettes, de haut, au sentiment, sur le fait, au saut du lit… Je me prends aux mots ! Excusez mes aparté…

 

Vous disiez ? J’étais dans vos phrases. J’ai été arrêté le 21 juin 1943 à Caluire… Près de Lyon ? Caluire réjouit l’oisif et enrichit le travailleur ! Ça vaut ce que ça vaut. T’as avalé ta langue, ordure ? Donnez-lui de quoi écrire. V’là, c’est pas la mer à boire ! Mais c’est ma binette ! Fumier ! Fils de pute, tu vas la manger ma caricature ! Le Fort Montluc. Mon cul ! Mon cul ! Des milliers d’êtres brutalisés, tourmentés, entassés, dégingandés… L’Ecole de Santé ! La torture. Klaus, comment arracher une syllabe à cette charogne ? La villa de Neuilly. Le chemin de fer, la gare de Metz…

 

Je suis le fiston de la Neuille ! Je suis le frérot de la Mort ! Si la Neuille me prête un œil, la Mort me hoche bride et mors. Ecoute… La Nuit, c’est ma mère ! Et la Dame à la faux, ma sœur ! D’entre-elles, quand l’une est amère, l’autre, Emile, est toute douceur ! Qui suis-je ? Je te le donne en mille, Emile ? Qui suis-je ? Le Sommeil, père ? Tu es le Sommeil, Pa ! Un nichon en poire, un triangle équilatéral, la balance… Egalité ! Des chaînes brisées, le gouvernail, la voile… Liberté ! Les bras croisés, un sac de blé, la trompette… Fraternité ! La Mort nous tire par la manche. Ce n’est pas le moment d’être mal avec elle, à supposer qu’elle n’ait plus qui mettre en boîte, la gerce ! A tous ces tissus de mensonges, quelles pièces y coudre ? La Marseillaise se tape notre Cane… Cane… Canebière ! Je cane ! Une bière ! Gavroche, on rentre !

 

Robert VITTON, 2009

 

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