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Julie-la-fête
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 Article publié le 26 avril 2006.

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Onuma NEMON
Julie-la-fête

Éditions Verticales - Quartiers de On !

Un poète ne devient pas romancier, mais épique (Pound), chroniqueur à la limite (Céline). Le livre dont ce qui suit n’est pas extrait est un chef-d’oeuvre de notre époque. On s’en aperçoit à peine, comme d’habitude. Pourtant, de loin en loin, on commence à comprendre en quoi consiste cette visibilité croissante de l’iceberg. La montagne de glace. De cristallisations. Précipités. Une chimie du verbe. Patrick CINTAS

À Dijon (où avant que dans ce monde la représentation n’affecte figures et institutions, le 22 Mars 1794 le comité révolutionnaire enragé par La Montagne et engagé contre les Exagérés a ordonné l’arrestation de Jean-François Rivoire, ancien colon à Saint-Domingue tandis que "Sade avait jeté sa grenade de vérité dans le siècle", comme disait l’Onde Octavio), il y avait "Julie-la-­Fête" dans la Bande à jésus, intéressée comme eux par le Projet International, surtout par ses suites Américaines (là où les deux navires étaient arrivés en même temps : celui des Enculés Pères Fondateurs avec les Livres Massifs au Nord, celui des Esclaves Noirs au Sud entre les lèvres de la Virginie) ; elle pourtant tellement d’Europe avant son Enlèvement (avec sa sœur Juliette, à la guinguette, ataraxie de l’âme et waterloo dépressif, qui récupérait régulièrement devant un verre de blanc -en gros plan !-) s’était vraiment intégrée à cette nouvelle meute de "Coquillards" : jésus, Hubert, Minet, et le nouveau venu Christophe, le cracheur de feu, frère de Memo et adorateur de Christo, l’émigré de Howard Street. Il faisait des allers-retours à Berlin où il disposait des centaines d’urinoirs renversés, "fontaine" en bas (retournant Duchamp) sur le mur. Au zinc, Juliette disait souvent :

« - Ce type nous raconte que sa mère a disparu en plein ciel ; faudra vérifier !

 - En tout cas, il a un tempo terrible, en dansant ! »

Ils faisaient des tags et des graffiti en pleine campagne "Dijon Ville Propre". Chacun avait ses spécialités : Jésus les graffiti blasphématoires pour la fin des bagnes d’enfants et de l’esclavage (`J’aime beaucoup cette petite fille : à treize ans elle sait déjà capter le style de Maupassant") ; Hubert les citations de violonistes et la biologie ; Minet les personnages de bande dessinée (Pim, Pam, Poum, Tintin et Milou) mais également Pasolini et même Töpffer ou Christophe ; Julie des récits incomplets où la femme se regarde être aimée dans le miroir derrière son amant et les énoncés en faveur de l’avortement ; et Christophe moins les contenus que les nappes de couleurs du feu et leur mélange fou jusqu’à leur anéantissement dans la proscription noire ; il avait également ravagé tous les parcmètres de la ville à l’acide nitrique.

Voici donc les Pierrots d’amur en dérive au long des statues qui prennent des seins et des couilles au passage de la bombe, appâts que la polychromie vérifie et confirme ; le Moyen-Âge déploie ses acting-out obscènes sur le parvis même : Jeanne de Vulvaucouleurs et Gilles Dardant !

Ils avaient tagué et graffité jusqu’au bordel du "Relais Sénéchal" (Jésus jetant les derniers parpaings en ripailles contre le mur des forclusions de Fabio Rieti), et se laissaient gagner par tous ces courants d’air de la nuit, autour d’eux comme des vagues.

Le phare Blake, Lammermoor ("Verranno a te sull’aure I miei sospiri ardenti’’), la nouvelle chimie, morphologie et taxinomie ajoutaient parfois des énoncés.

« S’ils construisent la tour, je quitte la ville ! »

*

Le carré noir anarchiste précède la Révolution. Les municipalités voulaient plutôt de la représentation où le bras est un bout de drapeau, des masques, un petit morceau de viande hystérique au fond du constipé, de fausses perspectives politico-bucoliques ("Qui ne travaille pas ne doit pas manger’), des espaces nuagés pour cacher la misère des laideurs urbaines, et recouvrir la violence des graffiti spontanés. Ils cherchaient désespérément des anti-modernistes de confiance comme d’autres la porcelaine d’agitation ou des assiettes de propagande. Contre cette délégation de pouvoir, cet appareil de traduction faisant appel à des spécialistes, Minet, Hubert et tous ceux de la bande à jésus agissaient à Dijon tandis que Saîd, qui s’était joint à eux dans certaines expéditions, œuvrait à présent à New-York avec des groupes d’intervention rapide sur des îlots importants, composés d’habitants de divers blocs en désordre et prêts à fondre dans la soupe tiède, parmi lesquels beaucoup de femmes, de porto-ricains et de noirs pour qui le suicide est aussi un moyen de lutte, purulence immédiate et irrémédiable des parois par les taches ; ni délégation ni individualisme forcené ; ils envoyaient chier aussi bien les maires que certains artistes (dont l’embus de sacralisation empâtait de merde des lieux d’intensité émergeante, prêts à inscrire dans leur journal "Giotto, Pollock et moi" alors même qu’aucun histriographe glandulaire même le plus infatué narcissique n’aurait jamais osé écrire "Rimbaud, Lautréamont et moi" sans tomber immédiatement de la posture tragique au Woddy Allen involontaire) qui sollicitaient des graffiti sur certains de leurs muraux, les autres devant demeurer intouchés tel celui où l’on voyait Lénine arriver dans son wagon plombé gardé par des Allemands ! Faut semer des imagos, des vignettes ! qu’i glapissaient tous, les Docteurs, sinon ousqu’on irait ? Brevis est.

« Tout ça c’est des recouvertures décoratives, les jambes et l’histoire, le leurre de la démocratie directe, disait là-bas Saîd, de faux détournements, rien que des calques, transports folkloriques de la pulsion de Mort.

 -Tout ça c’est bon pour Judas disait jésus ici. Satan tend à la fin sans y parvenir. »

Entre le corporatisme des groupes peignants et l’assaut des notables contre les graffitti sauvages, le défilé était mince. Au-dessus dans les bureaux, aussi grave, tout le monde psychologisait les luttes, ce qui arrangeait bien les hommes de pouvoir paranoïaques dont la plus grande efficacité était de briser les liens.

« Se débarasser de l’angle du Mal, ce pavé dans l’estomac

 - Monsieur Jean n’a jamais fait mieux ! »

 - Aux U. S. A. la compétition, c’est pire qu’un compagnonnage, ça traverse tout, l’avant-garde et le full-contact. Leur seule formule : "Ici on est plus fort, plus dur et plus direct !" »

Leurs signatures rapides étaient apposées la nuit avec des bombes à auto-combustion contenant des agents génotoxiques sous forme d’hydrocarbures polycycliques mais ne prenaient leur efficacité que dans le plein jour, créant par émanation sur ceux qui s’attardaient auprès des murs inscrits d’irréversibles mutations génétiques, les molécules d’ADN étant endommagées au niveau des bases puriques et pyrimidiques, support du code que les inscriptions infléchissaient jusqu’à lancer de nouvelles séquences de scansions internes de poésie épique. D’autres bombes contiennent carrément des "idéogrammes de gènes sauteurs" qui se fixent avec le tag, et ensuite vont se brancher sur de nouveaux emplacements dans le génome en fonction des énoncés d’où ils viennent, provoquant peu après des irritations eczémateuses phénoménales, insoutenables ! suivies de lignes de pigmention sur le dos et la poitrine où les inscriptions se reproduisent à l’identique et de façon ineffaçable, transformant les lecteurs en "hommes­sandwiches" recto-verso pour la Bande à jésus.

*

De Julie, à Dijon, il y avait l’oncle Dragon et le Grand-père Danton Soulier, frère de Marceau et de Miralaid, de Marat et de Rbsprr de la Loubière, qui à 90 ans fait encore la cabriole, et dont elle pince les joues pour y faire monter le sang (le sien !) comme celles de Charlotte Corday après sa mort. Et voilà comme l’oncle Dragon lui écrivait des lettres :

"Chère Juju,

Le Fumier Dragon ne répond au courrier à personne, qu’on dit. Je m’y mets donc, dans la fumure, et je commence par trois lettres : "Merde à Dieu !"

Dont la première m’informe de ta venue (ton allée), Ève Nue. Je n’y fus.

La seconde soutient en ce milieu de lèches carpettes et de trous-madame que nous sommes le mycélium, comme dit Jésus, mycélium qui explique pas mal de chimères, chaînages et enflammement des séries dans les galeries souterraines. Encore une irritation pour celui-ci, parfois à l’endroit de ce qui fut un ancien bouton. Et quand on appuie dessus, plus rien n’en sort En trois : aïki il nous faut, jamais autant qu’aujourd’hui, mais surtout kendo, gestes, coupes du karaté, tout tutti et quanto, calcul des quanta, et quitte à ce qu’on soit généreusement haï. Tutti bene. Idem à Paris où tu iras bientôt pour le local Zen : t’en recauserai.

Bises.

Ter"

*

Sur les places de la République ou Wilson, sur le bord du Port du Canal de Bourgogne, dans les jardins de l’Arquebuse ou le square Darcy, les soirs d’été, peu fêté, Christophe Comédon crachait, se dégageant du vieux fond métaphysique grâce à ses litres non bus, alors qu’à côté mugissait la grande musique et que tralalalisait une ex-conteuse aixoise, si cantonnement hystérique déjà toujours convaincue que ceci est cela, ancienne épouse d’un critique-étron de théâtre, précieuse et danseuse moderne, tellement persuadée qu’elle allait devenir excessivement trans-sexuelle... mais ô combien renaturée. A L’Époque, "Gisèle c’était Darsonval" (et ça chavirait Chauviré !). Quand on vit seul comme Heathcliff, ne convient pas le menu végétarien du 8 de la Spielgasse à Vienne qui sert des melanzes en tranches cuites dans la farine, l’œuf et la chapelure ; on se soigne plutôt de ses miettes de pulsions, bris de miroirs et fréquences zézayantes à l’ortie sauvage. C’est la règle pour Christophe, avec le salmis de corbeau qui mijote trois jours. Il y ajoute avocat, melon, amandes, crème caramel...

Il crache les injures et le feu avec conscience, et grâce, démarche camarde et têtue, en choquant (à cause de son éminence bossuant son slip pas délicat d’où une couille passe, carguant toute sa toile) la connasse aixoise de teinte tannée avec superbe, brune-pruneau jusqu’au fendillement de l’anus ; il s’ébroue, nature ébouriffée et psychologie dépeignée, renverse le spectacle à laser de la non-fumeuse sinon de pives à la perspicacité effroyable pêtrie d’accent jusqu’aux anneaux d’or, jusqu’aux cheveux raides courts et trop noirs, carbonisés.

« Vous savez, ils sont apparemment misérables, ces enfants noirs, mais ils ont plus de chance que nous, tant qu’ils sautent partout : l’angoisse ne les atteint pas. On est énormément plus esclave du repos que de l’action ; il n’y a pas de cancer des muscles ni du cœur, vous voyez ! »

Elle était généraliste, mais elle a fait orthophonie "parce que ça paye mieux !" Elle ne pourrait supporter de vivre avec un artiste pauvre.

« Sauf si c’était Van Gogh, bien entendu ! »

Il lui en faut trois ou quatre, et aussi :

« L’homme propose, la femme dispose ! Vous savez, même avec des bottes spéciales, Staline restait " très petit"  ! »

Et ses voisins rient. Oh ! la la, comme elle doit être drôle en camping ! Drôlement à l’aise avec cela, la lèvre enflée... La fascination du clairon en vadrouille autour du square en témoigne. Tandis que Régis ami de Christophe et pas loin de lui, tellement épuisé qu’il se trompe de deux années sur son âge a cru lire "Trabajar mata  !" en bas de sa feuille de paye après un repas de fèves grises et la difficulté d’un retrait de paragraphe où il fait rentrer de force -cule comme mauvaise coupure, gardant l’immense espoir quand il va revenir à Sète du bain dans l’Océan où plus rien ne l’affecte après la lecture de Léopardi, même de ne pas être assez fortuné pour se payer les revues littéraires et les livres qui comptent. Sous les paupières de feu des plagistes, sans doute on a un rapport sans ambiguïté : S-s, s-r, S-r, et le pôle positif du référent n’est plus négativé par le signifiant.

*

Pendant ce temps-là, à Manhattan (la canicule dans l’hôtel, la fenêtre ouverte sur la cour, les plantes vertes), il y a des fritures d’écritures, la nuit, et d’autres régiments sauvages de peintres braconniers en fresques murales conduits par Saîd et des portos à double canon, pas loin de l’appartement de Christo, où les émigrés Spinozistes passés par Ellis Island, l’île aux pirates pendus, lancent des possibilités de planètes à travers le ciel ; il y a des muets prêts à écrire et à émettre sur de nouvelles ondes pour se venger des bavardages vains, des Krazy Kats transis d’amour, aux vies "tissées de fantaisies et tramées de rêves" par Jérôme Charyn : dithyrambiques, passionnés, géniaux, idiots, enfants éternels autour de qui tout change sans que rien ne change en leur passion. Ils lisent dans le paysage des apothéoses d’hypotypose et de voyance. Grâce à eux le grand phare prophétique deviendra la lanterne accrochée à la chambre de Wellington, le quinquet du cirque de Frantz, les derniers feux d’artifice dans la cour de l’École, toute une illumination mystique à la "de La Tour" continuée par de splendides reflets de la nature en soi, contemplative, sans commentaires, sans grands emportements, dans une sorte de majesté silencieuse ; prolifération des ombelles, boules de neige du plein été, étendue d’herbes crues inclinées en hautes houles comme les peigne Vincent : dans la partie basse du tableau les tiges sont orientées normalement, tandis que la partie haute est tournoyée après une tempête en spirales chevelues à aigrettes blanches, ceci autour de poiriers noueux, de bouleaux blancs et avec un seul coquelicot dressé lèvres palpitantes dans toute cette immensité de verdeur.

 

Hil est avec Joyelle dans l’île de Ré déserte et ventée (sur la gauche c’est un immense marais vaseux noir dans le café tables pas prêtes, boissons orageuses...), en train d’œuvrer à redistribuer le Monde en fonction des Saisons chinoises, de se concentrer, de renoncer à toute exposition, toute vue abusive d’un Original, comme lorsque le calembour ôté l’oie reste, sans son jeu de merde à la Mort (lettres et cases enlisées dans les vases sans finesse de rechigner), et que l’on gratte le Maître à l’endroit précis où ça le démange. Hill sait que le seul danger de ce travail zen d’une incroyable patience, ce serait un achèvement prématuré, alors que ce n’est jamais d’un "Livre" à venir qu’il est question, qu’il ne s’agit absolument pas de l’annoncer à la fin, quand tout le monde aura quitté la salle et que les cadavres encombreront la scène, qu’il ne serait même pas beau s’il était lisible, que ce qui va encore plus loin bien au-delà de cette île comme une métaphore qu’on abandonne, c’est peut-être seulement un des enfants du jardin de Kensington ; c’est pour cela qu’Hill s’attelait déjà à défaire sans cesse cette tapisserie de brins électriques cosmopolites, sinon la fin de cette élaboration signerait sa mort, la disparition des différents groupes ainsi que la cessation de leurs avancées. L’entre-deux (du début à la fin) est toujours tellement inquiet, plein de reculades fourchues et de saccades velléitaires, et contredit tellement le dénouement lumineux comme une lampe d’hôtel quelconque le ferait !

  

Dans le bateau chinois, il y a quatre mats (má, mà, ma, m a, m `a) ; mais ni to-ma, ni ma, ni chika-ma ni tomahawk ne font partie du voyage ! C’est le début du retrait, la Répétition. "Passe-Montagne" : il lui parle de la Combe de l’Ours. "Que penses-tu de cela ?" En réalité, si ça se trouve, il est dévoré d’amour de lui-même.

 

Sur l’île, on voit les éléments trempés de quelques courses tziganes de Claude, le frère de Julie, des moules préparées et racontées façon Delteil. Sur le quai de départ du bac, il y a un long jeune homme tout en noir, bégayant très fort pour le pa-pa, le pa-pa-le-pa-pa-ssage ; il illustre le fractionné du bac, la résistance à la construction d’un pont, il clame par son élocution l’avantage du troué sur le continu et le lisse.

Au retour il y aura des problèmes de plomberie.

*

Toyrangeau, fasciné par Restif, s’affaire à racheter la presse de Plantin du "Compas d’Os’ (celle qui a connu la joie d’imprimer les premiers Cantos de Pound traduits en français et des aquarelles de Michaux - rien à voir avec l’oculiste du cours Victor Hugo - reproduites grâce à des linos successifs), une Plantin à platine, de la loger dans un local commun destiné au collectif nommé Cellules du Souple Contact, pour rejoindre le projet général et lutter contre le retour de la Bêtise massive, sous un temps couvert et Pongien et l’énoncé que "L’expéreince, ça douche  !", selon un gros con rimbaldien belge encollé dans les sables mouvants des bords de Loire. Il avait l’idée d’y ajouter un matériel de sérigraphie et de photo qui permettrait au groupe de Bordeaux de se joindre à eux, dont Georges le Fou. Le jour où il trouva ce matériel d’occasion, rue de la Scellerie, il vit passer Jeanne des Armoises ; elle allait chez le bourrelier faire reprendre sa selle. À cette époque, elle venait d’épouser un Angevin.

 

Toyrangeau avait rencontré Sarah, une étudiante en peinture chez Lucarne le sismographe, dit aussi Luncarné, à cause de son feuilleté thermographique. Université, monticules, fontaine, et surtout, par la fenêtre de l’atelier, vue terrible de la robe ultra-fine tendue à mourir sur chaque versant (toujours le point périlleux de turbulences du passage du col) ; elle lui avait appris que personne ne rentrerait avant le lendemain : ils étaient seuls tous les deux dans la maison. Si j’en crois (mais qui parle, ici ?) l’étymologie "princesse", bien sûr la stupéfaction était de mise.


Ou Sidération : sous l’étoile. En tout cas il pensa à "L’étoile au Front", à Roussel et également à Proust : cette irruption dans un "Hortus Conclusus" en pleine ville, lieu "suspendu", Atelier-Îlot d’Utopie, avec son antre de travail coloré en profondeur et au-dessus un vaste promontoire, une baie immense donnant sur un horizon de prairies grasses. Un univers apparemment coupé du monde qui est un monde en soi mais qui infuse dans le monde où Sarah reprend des questions laissées en suspens dans la peinture des années 50, auxquelles jamais personne n’a donné de solution satisfaisante, à coups de Feuiles d’or.

Il attendit en vain que l’exaltation retombe, mais ce n’était pas le cas, il faut croire que ce n’était pas une simple "excitation périphérique" comme disent les Chinois.

Ce soir-là était déjà exceptionnel de surgissement dans le Printemps présent et dans le Monde, et tout à coup voilà qu’il débarque dans cet Enthousiasme surérogatoire ! Sans doute la Panthère de Dionysos. S’il l’avait pu, il serait resté là couché sur le sol à l’observer dans ses déplacements pendant plusieurs jours : pardonnons-lui cette animalité débile ! Comme ils étaient permissivistes, ils en profitèrent pour s’infliger réciproquement des services de sévices, une perme-visite, une spermivite, et elle devint adadaïste dans ses cris.

 

Ensuite, la grande réunion Orage-Couvert s’était poursuivie chez Lady Sancédille, à La Branlôte. Beaucoup moins exaltante. Autour : du fumier, des travaux publics, pelleteuses, gros rouvres, de la boue, des canalisations, un petit tuyau troué, des machines, des principes, des ordures, des connards.

Peu après que le Soldat Jean-Paul, en garnison à Laval ait mis enceinte la mère de Bérangère (on vous fera le détail), Toyrangeau venait juste de faire scandale en intervenant à Poitiers, où il s’était rendu pour récupérer une autre presse chez Marie Plantin, laquelle avait repris l’imprimerie de son père avec Moretus pour imprimer des tracts architypographiques aidés d’Auguste Michaudeau qui voulait en emporter à java pour célébrer l’anniversaire de sa mort, voilà un siècle. À Poitiers, les profs de l’Université étaient persuadés que Toyrangcau avait monté les étudiants contre eux à force de soutenir les Néo-Dadaïstes de l’Analyse Institutionnelle et de la Transe ; il avait dû proposer à un appariteur hystérique des coups de tabouret plus efficaces que le calcibronat, pour réussir à atteindre l’imprimerie. Avec la presse il y avait d’énormes caisses de plomb en lingots à échanger contre des compositions en linotypie, et toutes les casses en corps Plantin (également héritées du Christophe de Saint-Avertin, qui épousa une autre Jeanne, de la Rivière), Garamond, Bodoni ainsi que quelques très gros caractères-bois. Cinq tonnes en tout.

A la suite du 13, 75 % de la note conférée par les autorités viticoles au rosé bu à midi au restaurant universitaire, lui créant (semblait-il pour toujours de toute éternité) une barre au cerveau l’empêchant d’intervenir autrement, lui et ses camarades se frayèrent un chemin vers la sortie (’Le Grand Élan’) cette fois-ci à coups de chaises.

*

Dans l’Hôtel du Chatelet au-dessus des oiseleurs, Julie avait parlé à Christophe venu la rejoindre à Paris en juin, de "la douceur de ta peau et même de ta bite."

Elle était passée par Sète pour lui envoyer une carte lui fixant un rendez-vous et qui représentait "la plage des Alumbrados" où elle s’était faite photographier avec Régis et tout le groupe, qui tenait absolument à participer au travail itinérant. Les Silhouettes des Originaux étaient restées chez Delapente, l’ancienne piaule près de la place d’Italie qui faisait relais, ayant notamment servi à Joyelle et à Hill avant leur départ aux Amériques. Est-ce bien encore B. qui y habite ? Parmi les "performances" prévues, il y avait celle au sens strictement français, de Hill avec Couraussy, coureur professionnel destiné à survivre comme tel sur les crêtes du Pays des Morts, qui faisait 11" aux cents mètres, mais qui les tenait sur plus de trois kilomètres, tandis que pour Nycéphore à Bordeaux les griffes de lumière reportaient les instantanés les uns après les autres (lumière basse éclairant les jambes des chemineaux qui balaient ferme la voie ferrée) !

 

Dans le pied de Nicolaï, démesure de l’enthousiasme et ruine comme moyen d’attaque, de nouveau la verrue plantaire malgré la joie hindoue des automnes renversés selon Myriam Dyndee, Myriam qu’on retrouve, et sa certitude sans ombre dans l’assurance vermeille, avec son florilège de proverbes absurdes rapportés de là-bas pour rassurer, du genre : "Mange ton bras droit avant ton écharpe !"

Il réussissait tout de même à marcher, et sa blessure l’obligea heureusement à s’arrêter interdit à l’angle du Marché Royal où il déboucha, dans les fragrances de la rue creusée profonde comme une vallée au matin après la pluie des arrosages, sur un engorgement surabondant de fleurs frémissantes à gauche et de fruits à droite (réunion entre fragrante et fremente de La Tosca). À gauche le banc de fleurs était celui d’un montagnard des Pyrénées qui descendait de temps à autre offrir des espèces pour certaines inconnues à Bordeaux et où les edelweiss et l’arnica des montagnes se mélangeaient aux cosmos violets, aux ophrys insectifères aux lèvres fendues et au bombement bleuâtre, aux roses d’Inde d’or, aux fushias blancs, aux géraniums carmins, aux mufliers et aux pétunias mauves, aux impatients suivi de sauge bleue, et de plants divers qui glissaient vers les fruits d’en face avant de s’arrêter net au pied des falaises crayeuses et des stratifications étuvées des fromages.

 

Julie adorait laisser se former les bandes ; elle voulait elle-même "passer par la bande". Elle avait une telle insouciance qu’elle paraissait parfois brutale dans ses choix à ceux qui ne la connaissaient pas ;elle ne faisait aucune concession. Elle avait inventé un principe d’assemblage proche du zootrope, et réalisait ainsi des "Agrégats", que Hixe lui avait proposé d’exposer, sorte d’assemblages hétéroclites de dessins, de photos, de décalques et de textes, pleins d’anachronismes : Aborigènes chocolat voisinant avec les énormes transistors russes et l’actualité du Chemin Vert ou de la ville d’Anvers, citations crayonnées à la mine de plomb.

Après-demain, au Mont Tendre, il va neiger. (« Ils ont fait le méchoui dans la neige ? - Mais non  ! »)

 

À Dijon, petite fille, Julie disait une phrase magique à la fenêtre, pour que la neige revienne

"Déjà le cheval s’élance..."

Et aussitôt l’horizon se couvrait gris-noir, le vent soufflait, puis la Neige venait en rafales, fondante. Et Julie conservait devers elle cet état de bonheur fiévreux, tellement, tellement heureuse de vivre, et presque embarassée de cela...

C’est de cette phrase dont elle se souvenait soudain, dans l’Hôtel du Palais, au Châtelet, la veille du Printemps, lors de sa rencontre avec Christophe. Le duo fut une belle opérette :

 « Mon petit oiseau, mon canari, hors de sa cage, au-dessus des quais, des bouquinistes.

 -O feuillette-moi,mon book ! »

 

"Il a caressé un lapin derrière les barreaux. Sa queue est douce dans son chaos. Derrière le rideau façon Viallat, il y a la scène et les bateaux-mouches, parce que c’est Dimanche et qu’il fait beau. Nicht Hinauslehnen. Proust c’est le Temps et Lima l’Image. La chambre était bien chauffée et propre. Chaque jouissance est différente. Venez à mon secours ! Secousses et coussins ! Vers la fin de l’après-midi, ils sont allés au cinéma. C’est une histoire sans conséquence pour lui, hélas ! La main est crispée. En attente, elle écoutait, espérant que la jouissance soit longue l Un cheval fou... Écoutez, écoutez ! La langue, doucement... Je ne connais de toi que le soupir. Elle lèche, en fait le tour avec sa bouche, sa langue. Elle la fait monter et descendre, lentement, puis de plus en plus vite. Elle écoute : le souffle plus fort. Elle est toute mouillée d’elle. Mon ami, mon amour, il est l’heure. C’est donc bien long, deux jours ensemble ! On a fait le tour, non ? Sans doute. Il n’y a plus qu’à la boucler, serrant fort. Raie de lumière sous la porte. Il lui dit : raconte-moi tes histoires. Elle lit mal avec la jambe toute proche, son sexe, son cul, ses cuisses, sa bouche, ses yeux très noirs. Akinari dit : "Qu’on lui accorde pour un temps une robe de carpe dorée, et qu’on lui fasse goûter les plaisirs de l’Empire des Eaux. Mais qu’il n’aille pas perdre la vie en se perdant au bout d’une ligne !" Elle dit : "je suis heureuse". Pluton-Mercure-Vénus, vents et chagrins.


L’océan doit être beau. Ils ont marché dans les rues ; ils ne sont pas habitués l’un à l’autre. Cela se sent dans les silences, ces Vérités Impérieuses. Ne parle pas. J’ai aimé. Je te regarde dormir ; je ne t’accompagnerai pas dans la montagne. Vers le tard du soir, elle a ouvert la porte. La tache du lapin est sa vie sur la neige, rapide (freeze, froze frozen) ; la tache et le souffle du lapin suppriment la neige par contraction de leur cours. Un petit vent qui lui paraît glacé souffle. Un chien a traversé la chaussée. Le brouillard est sur la fenêtre."

 

Alors qu’au Premier de l’An, Hil et Joyelle (importance nominative), de retour de Ré avaient organisé une fête à Bordeaux pour célébrer la lancée de La Recherche et l’imprimature de Toyrangeau (faisans farcis, écrevisses, champagne..), l’Ingénieur-Fou Georges était venu, capable de lancer un boomerang électronique sonore qui fasse retour sur le ring, mais incapable ensuite de s’en débarasser au moment d’en acheter un autre. Il avait coutume d’appeler sculptures des choses dont on pouvait dire qu’une fois revenues de l’expo de la Maison de la Culture André Malraux, à Créteil, après être passées par Épinal dans une sorte de tamis, elles étaient, debout, absolument dégueulasses, salopées à souhait, barbouillées de fusain qui déteint partout, et faisant atrocement laid dans une véranda de moquette comme chez Lady Sancédille (toujours assise sur une mauvaise chaise à bascule noire à s’acharner sur son ancienne saleté de machine, où elle se faisait parfois prendre en douce sans aimer ça). On aimait moins ce qu’il faisait que ce qu’il ne pouvait réaliser (heureusement !).

Il connaissait Albert Théori, qui, comme Toyrangeau, lançait des idées pour qu’on les attrape au vol. Bandaison et pendaison, queue de Mickey ! Georges était de ceux-là qui les reprennent et éventuellement les relancent en l’air. Celle-ci notamment que malgré Saint Martin de Tours le fond de l’âme est un pugilat, et qu’il faut apprendre l’indépendance du corps de chacun sur ce magma psychosomatique trans-gérérationnel. Mais Théori s’était mis en colère contre Georges parce qu’il avait oublié chez les putes rue Entre-deux-Murs et rue du Pont de la Mouche où il leur faisait la lecture, un Clarabelle de 53 et le Krazy Kat de Cummings qui étaient un cadeau de sa femme et auxquels il tenait considérablement.

Toyrangeau avait communiqué toute une soirée à Théori ses souvenirs de son travail à "Détective", après Cocteau, Mac Orlan et bien d’autres de l’avant-garde d’aujourd’hui (c’était hier)...

 

Dans l’Atelier de Toyrangeau, plus tard, en mai, à trois heures du matin, Vivien secoue un énorme drapeau : c’est sa façon de faire partie du "Mouvement". Un autre plus pâle range ses poutres et son plâtre, quant à Didier Futurpendu, il est dans les toiles, apte à partir de grand vent.

* *

Je vous laisse déterminer dit l’homme élégant au gros cigare qui s’approche de la petite fille de Don Quichotte comme celui qui manie des forces qui l’emportent et semblent vouloir le détruire, quelles tensions dramatiques existent entre les différents lieux, sinon les lignes géothermiques, et quel est l’objectif de cette tension, le but atteint ou à atteindre, sinon que l’homme est une membrane qui ne jouit que dans les passages.

En tout cas ceux qui s’avançaient là en inscrivant n’avaient pas d’autre passé dans le jour que la musique du cœur et les fondrières mouillées, la grenade de ta bouche ou la goyave de ton sexe, petite fille, et dans la nuit mille ans pour te posséder.

Ah ! J’ai bien vu tes yeux mélancoliques et rêveurs, ta bouche rieuse avec l’espace entre les incisives cher aux Impératrices, prête à mordre les reflets du Guadalquivir. J’ai vu tout l’émiettement du blanc d’Espagne dans l’air formant ton voile de Mariée ! »

Onuma Nemon

 

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