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LA SPIRALE DE LA PAROLE de Guillaume BERGON chez Caméras animales (2011)
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 Article publié le 11 février 2011.

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camerasanimales.blogspot.com/2010/11/la-spirale-de-la-parole-de-guillaume.html - LA SPIRALE DE LA PAROLE de Guillaume BERGON chez Caméras animales (2011).

 

Le titre fait immédiatement penser à la Spirale (mouvement spiraliste) initiée entre autres par Franketienne en Haïti. Ultra vocal, notamment, a profondément marqué ma génération, et jusqu’aux Métamorphoses de l’oiseau schizophone.

Guillaume Bergon — Je ne connais pas le travail de Franketienne, mais cela m’intéresserait de le lire. Peut-être, effectivement, y a-t-il des similitudes ?

Il y aurait une rencontre, en tout cas... Voilà comment j’aimerais commencer notre entretien : vous écrivez — « J’écris. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi penser. Je n’ai pas de but précis à part écrire, c’est-à-dire créer un langage. » Et vous ajoutez : « Je suis seul. »

Oui, « J’écris. », même si, paradoxalement : « Je ne sais pas quoi dire. », c’est-à-dire que je n’ai aucune histoire à raconter ; « Je ne sais pas quoi faire. », c’est-à-dire que rien ne m’intéresse véritablement ; « Je ne sais pas quoi penser. », c’est-à-dire que je n’ai aucun message (politique, philosophique ou autre). « Je n’ai pas de but précis à part écrire, c’est-à-dire créer un langage » = écrire a toujours été mon unique « préoccupation », et pas simplement écrire, mais écrire quelque chose de nouveau. Et « Je suis seul ». Car cela a toujours été le cas, même s’il y a, çà et là, des rencontres importantes, des « interruptions » momentanées... (La solitude étant, de toute façon, une condition nécessaire à la création). 

D’ailleurs, quand on regarde autour de soi, il n’y a pas grand-chose de nouveau du côté de la fiction ou des réalités esthétiques ou des projets éthiques...

C’est vrai, et en même temps, un certain nombre de gens travaillent pour que cela change. Je pense, notamment (et évidemment), à tout ce qui se passe autour des éditions Caméras animales. Peut-être faut-il être patient, et surtout attentif ?

Est-ce que la langue a encore un intérêt pour vous ?

Question complexe. Non. La langue ne m’intéresse plus. J’ai l’impression d’être arrivé, avec La spirale de la parole, à un point de non-retour ou, en tout cas, à une impasse. Depuis, je n’écris plus et je ne sais pas si je réussirai à réécrire un jour. Me reste une idée sur le langage, une idée « alphabétique » (impossible à expliquer). Ce livre étant la mise en forme de cette idée. La seule chose que je peux faire maintenant, c’est l’utiliser différemment. J’espère pouvoir le faire, sans savoir encore sous quelle forme.

Comment « prépareriez-vous » un lecteur prêt à vous suivre dans la nouveauté ?

Je ne sais pas. Il me semble que c’est au lecteur de « prendre » dans le texte ce dont il a « besoin » ou pas. Ce qui est sûr, c’est que l’on ne peut pas écrire aujourd’hui comme au XIXe siècle ou au XXe siècle. Il y a trop de possibilités (télévision, Internet, cinéma, jeux vidéos, etc.). La littérature doit être une expérience différente. Quelque chose de plus interactif, de plus réel...

Michel Butor parle de « textes fixés » et de « textes en ébullition ». Est-ce encore « du XXe siècle » ?

Je suis désolé, je ne connais pas trop Michel Butor et je ne vois pas à quoi ça correspond.

Votre livre constitue-t-il un travail d’approche d’une « littérature » à venir ? En quoi consiste la mise en œuvre ?

Difficile à dire. Peut-être, je l’espère, mais en réalité je n’en sais rien. Je me dis simplement qu’il est possible que certaines personnes « puisent » des choses dans ce texte et « envisagent » différemment leur rapport à l’écriture. Le but étant toujours de créer du nouveau et pas de se référer à quelque chose de déjà préexistant. Il faut tenter d’aller encore plus loin, casser les codes, repousser au maximum les limites de la littérature. Peu importe la forme...

La mise en oeuvre pourrait donc, avant tout, consister en ceci. Faire pour soi ce que nous avons envie de faire, ou ce qui nous semble devoir être fait, sans considérations extérieures. Je ne suis pas un théoricien, encore moins un chef de file, et il va de soi que je n’ai aucun conseil à donner à personne. Si ce n’est d’aller au bout de ses idées, envers et contre tout. 

La troisième partie de votre livre est très explicative, et même très clairement exprimée. La question littéraire y est cernée sans laisser aucune place aux tergiversations et aux finasseries de la critique traditionnelle (et conservatrice). Que contiennent les deux premières ?

Effectivement, même si aujourd’hui, (j’avais environ 25 ans au moment de son élaboration, 31 maintenant), je nuancerais peut-être plus, a posteriori, certains propos (tout en restant en accord sur le fond) ; les deux premières parties sont, selon moi, les plus fondamentales, particulièrement la première, la troisième venant en quelque sorte, en contrepoint, comme tentative pour expliquer plus concrètement comment ça s’est passé (dans quelles conditions, dans quel état d’esprit, etc.). Elles représentent de la « poésie pure » [c’est-à-dire des « concepts »]. Elles sont la mise en forme de l’idée sur l’alphabet, un « tout » alphabétique, mélangeant sons et sens, une squelettique rythmique, faite de lettres. Ne pouvant rationaliser cela, il m’a fallu, d’une certaine façon, montrer que ce que je voyais pouvait se matérialiser dans une matière : ici les mots. Et le résultat a été le suivant, pour l’instant... 

Ici, la « phrase » est composée le plus souvent de deux groupes nominaux « coordonnés » ou séparés par une virgule. De quoi s’agit-il ? Et où est passé le verbe ?

De poésie... Chaque extrait pouvant être considéré comme un poème à part entière qui, en même temps, s’insère dans un ensemble, d’où le titre La spirale de la parole. Pour mieux comprendre, peut-être est-il nécessaire de connaître le processus de création du texte. Il y a eu trois versions. 1) 2003-2005 : un manuscrit d’environ 400 pages. 2) 2005-2007 : un manuscrit scindé en trois cahiers distincts d’environ 200 pages. [2008 : je n’ai pas touché au manuscrit]. 3) 2009-2010 : un manuscrit d’environ 100 pages où les trois cahiers ont été unifiés. Le texte a donc été épuré au maximum au fur et à mesure des corrections. Cependant, je ne saurais pas vraiment dire pourquoi le verbe a quasiment « disparu ». Cela m’a paru « logique ». Les poèmes fonctionnaient sans et n’en avaient pas besoin. C’était peut-être aussi une manière de montrer, de la façon la plus radicale possible, l’existence « réelle » de l’idée sur l’alphabet. Le livre, en tout cas, tel qu’il est aujourd’hui, correspond exactement à mon intuition initiale. Le plus étrange dans tout ça, c’est qu’il m’ait fallu autant de temps, et de multiples détours, pour finalement revenir, en quelque sorte, à mon point de départ. 

 

 

Vous surgissez, avec d’autres, au moment où en France tout semble « rentré » dans l’ordre : la narration est revenue à ses histoires et ses personnages d’histoire ; la poésie est tempérée par l’usage d’un vers libre à la portée de chacun (savant ou con) ; même l’essai ne s’aventure plus au-delà du « compréhensible » et du « partagé ». On aime bien d’ailleurs en France le "partage" : de la langue, des cultures, des livres, etc. Voulez-vous dire finalement que vous êtes un « moderne » comme certains ont pu l’être à certaines époques, apparaissant au moment où tout retourne dans l’ordre et disparaissant comme naguère dans une « ère du soupçon » ?

Ce n’est pas à moi de le dire. En tout cas, je suis encore vivant ; Il me semble qu’en France, tout est en « ordre » depuis trop longtemps. Nous sommes, depuis plus d’une trentaine d’années, dans une époque très conservatrice, où la restauration de l’ordre, sous toutes ses formes, demeure une des valeurs dominantes. Le capitalisme n’a jamais été aussi puissant et l’injustice jamais aussi grande. Nous ne pouvons pas continuer ainsi indéfiniment. De mon côté, j’attends l’irruption du désordre, autrement dit, la prochaine phase révolutionnaire...

En quoi consisterait alors votre engagement ?

Essayer d’être le plus lucide possible. Et tenter de faire la seule chose que je peux faire, en l’occurrence, écrire...

Propos recueillis par Patrick Cintas.

Ce n’est pas du côté de chez Caméras animales qu’il faut chercher le respect de la tradition et du facile en littérature. Cette nouvelle publication, que son auteur classe résolument dans la poésie, en est une preuve de plus. L’entretien que je viens d’avoir avec Guillaume Bergon témoigne clairement que les références ont changé. Il y a du nouveau sur des bases nouvelles. Et ce n’est pas du snobisme. L’observation des nouveaux médias, sur quoi repose aussi ce nouvel art d’écrire, est sérieusement entreprise et particulièrement bien documentée. La lecture des poèmes qui ouvrent ce livre sans le refermer est édifiante sur ce plan. Et je ne parle pas du plaisir qu’on éprouve à les prononcer. À la fin du volume, histoire de le garder ouvert, c’est cette fois une introspection qui trace les conditions d’une existence encore à faire. Pas d’histoire, pas d’autofiction : « Voyez qui je suis et ce que vous êtes sans doute, » semble ajouter l’auteur — le poète — à la spirale qu’il vient d’initier pour nous après en avoir vécu la tourmente pendant plusieurs années d’écriture. Initiative-initiation, c’est à peu près le parcours qui nous est proposé. Il y a des chances pour cette poésie d’aujourd’hui séduise mieux la pensée que les jouets auquels l’édition nous a hélas habitués. J’y vois une fête à la fois de l’intellect et du chant intérieur par quoi commence l’exactitude des sensations.

Patrick Cintas.

 

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