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3 - La mort d’Ulysse
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 Article publié le 24 juin 2005.

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La terrasse devant la chambre. La ville par-dessus un bougainvillier. Una est assise à un guéridon, en peignoir. Elle sirote pensivement un café au lait. Monos arrive dans les feux de la rampe, avec sa canne et son chapeau à la main.

UNA - Vous en venez !

MONOS - On ne peut rien vous cacher. J’aime ces matins où on ne rencontre que des chiens.

UNA - Vous ne l’avez donc pas trouvé. Des traces ?

MONOS - Même pas. Mieux vaut ne plus y penser.

UNA - Je me lève à peine. Un dernier rêve m’a réveillée. Je ne sais ce qu’il faut en penser.

MONOS - Ne me racontez rien ! Je veux d’abord vous entretenir de ma promenade matinale.

UNA - Vous n’avez rencontré personne ! Et je connais les lieux. Il ne s’est rien passé, je le sais.

MONOS - En effet. Il faisait encore nuit quand je suis sorti. Je guettais le jour pendant que vous feigniez de dormir. Et je voulais arriver le premier.

UNA - Le premier ? Vous, mon Monos ?

MONOS - Oui, le premier. Là-bas. Le plus près possible de nulle part. J’ai quelquefois ce besoin d’anéantissement. Je suis sorti pour ne pas vous réveiller.

UNA - Vous m’avez tenue éveillée toute la nuit !

MONOS - Vous dormiez quand c’est arrivé. Je crois...

UNA - Mais que vous est-il arrivé ? Vous semblez encore sous le coup de cet...

MONOS - ...de cette improvisation.

UNA - Vous improvisiez ?

MONOS - Mon esprit exigeait cette improvisation. Je venais d’admettre que mon existence n’avait plus aucun sens, conséquence inévitable du non-sens que j’accorde au monde depuis que je ne le reconnais plus comme monde mais comme séjour provisoire. D’habitude, quand cela arrive, je songe à des aventures...

UNA - ...amoureuses ?

MONOS - Non ! L’aventure des voyages. Les traversées horizontales. Les rencontres décisives. Les recherches verticales. Vous connaissez mes passions. Je ne vous cache plus mes découvertes.

UNA - Vous avez commencé par là.

MONOS - Puis nous nous sommes aimés. Et je vous ai raconté mon premier voyage. Avec quelle fidélité ! Les mots...

UNA - Les personnages agissaient comme si le désir venait de je ne sais quelle volonté au détriment des besoins naturels. Jeune littérature de l’idée. Je me souviens.

MONOS - Oh ! Jeune... puis nous avons voyagé ensemble.

UNA - Moi avec vos bagages et vous avec les invités de la première heure. On les retrouvait dans d’autres circonstances. Je m’épuisais facilement en argumentation. Ils étaient...

MONOS - Vous étiez impatiente en ce temps-là.

UNA - Ce n’était pas faute de chercher à comprendre. Vous paraissiez joyeux quelquefois, je ne me souviens pas en quelles circonstances. Mon esprit aurait dû en retenir les répétitions. Je joue si mal quand je joue !

MONOS - Je l’étais, joyeux ! Souvenez-vous. Je revenais à vous. Et il vous est arrivé de m’accompagner.

UNA - Où voulez-vous en venir ce matin ? Oui, je feignais...

MONOS - Je m’en doutais sans désirer le savoir...

UNA - Partiez-vous pour ne plus revenir ? Si près ?

MONOS - Il y a peut-être des choses que je ne veux pas revivre.

UNA - Mais avec moi, vous ne revivez que ces choses ! Il vous faudrait inventer une autre femme. Je ne le supporterais pas !

MONOS - C’est la raison pour laquelle je me suis longtemps contenté des personnages que je dois à votre exigence et à vos passions. On ne compose pas des personnages avec des fragments de corps. On les trouve tels qu’ils sont. Ils sont tout de suite doués de la parole.

UNA - Je n’y suis pour rien ! Vous partez et vous revenez. C’est encore le matin. Mon rêve...

MONOS - Ne m’en parlez pas ! Je voulais vous revoir.

UNA - Vous repartez ?

MONOS - Partir ? Sortir ? Je ne sais plus...

UNA - Vous revenez plus souvent, en effet.

MONOS - Vous m’avez rarement surpris en flagrant délit d’éloignement. Je vous ai plutôt donné des voyages.

UNA - J’évitais de vous rappeler.

MONOS - On ne siffle que son chien.

UNA - Je souhaitais votre bonheur, même avec une autre, pourvu que vous revinssiez sans elle.

MONOS - Je ne suis jamais allé aussi loin !

UNA - Nos personnages...

MONOS - ...ne m’accompagnaient pas. Je craignais trop qu’ils vous inventassent.

UNA - J’ai souvent été seule. Il fallait que je connusse la joie à défaut du bonheur. J’ai toujours souhaité être appréciée, laisser une bonne impression de moi-même. Et je n’ai jamais cherché à prendre la place de ces souvenirs, s’ils n’ont jamais existé. On me l’a confirmé quelquefois et chaque fois j’ai connu la joie d’une retrouvaille avec moi-même. On se perd de vue si on ne revient pas de loin pour se retrouver.

MONOS - J’y songeais en marchant plus vite que d’habitude. Je voulais arriver avant moi. Vous savez comme on se retrouve. L’être que nous serons est déjà une conscience. Nous sommes tellement habitués à converser avec les reflets de nos apparences qu’une pareille aventure nous éternise... un moment.

UNA - J’appellerais cela le bonheur.

MONOS - Mais ce n’était qu’un instant de connaissance pure. Du moins, je le crois. J’étais ce que je serai, ce que je ne suis pas encore, pas si vite. Cela ne dure pas.

UNA - Et vous revenez par le même chemin.

MONOS - Je vous retrouve.

UNA - Comme si vous m’aviez perdue.

MONOS - Je ne savais pas que vous seriez éveillée et prête à recommencer ce que vous n’avez pas achevé hier. La minutie et la patience vous honorent de petites satisfactions dont le spectacle prend quelquefois toute la place.

UNA - Les fruits ?

MONOS - Les fruits, les hommes, les nuits passées avec vous, les jours où je vous perds en route. Le recueil inachevable de mes aubades et de mes sérénades.

UNA - Vous êtes l’écriture même.

MONOS - N’exagérons rien. J’ai failli même me résoudre à ne plus rien écrire, ce qui chez moi équivaut...

UNA - ...au suicide...

MONOS - ...à la disparition. Je disparaissais comme j’étais venu : sans la langue.

UNA - Et vous revenez me demander si je la parle encore. Je vous rassure : je la comprends pour vous lire.

MONOS - Je ne souhaite pas que vous me lisiez. Je ne désire rien d’autre que votre...

UNA - ...disparition.

MONOS - Rien n’est possible sans vous. À part la promenade du matin dont je reviens toujours parce que vous l’expliquez. Votre présence est une explication. Je ne vais jamais plus loin que...

UNA - J’aimerais connaître ce lieu.

MONOS - Ou l’instant qu’il promeut.

UNA - Nous ne sommes jamais allés plus loin que l’écume. Mes pieds...

MONOS - Vos jambes...

UNA - Ma noyade !

MONOS - Mon attente !

UNA - Vous êtes déjà passé par là. Vous reconnaissez je ne sais quel détail de sable ou de coquillage. Vous paraissez indécis. Je lutte contre cette présence !

MONOS - Nous en revenons comme si rien ne s’était passé. Et je vous interroge sur vos goûts. Je n’ai pas honte de vous mentir. Nous croisons d’anciennes connaissances. Tout ce qui n’a servi à rien remonte à la surface et nous plongeons ensemble dans ce silence. Parfait ensemble pour une fois. À midi...

UNA - Il est trop tôt pour en parler. Je me réveille à peine. Vous êtes revenu. Et nous ne connaissons personne. Pas de traces ?

MONOS - Ni de ce que je voulais savoir ni de ce qu’il a rendu possible. J’ai vite fait le tour. Je suis descendu dans la nuit. Je vous laissais à vos affectations de dormeuse. Le vestibule était peuplé des conséquences de ma dernière aventure avec l’existence des autres. Puis la nuit, dès le seuil que j’hésitais à franchir, toisant les marches qui descendaient dans l’inconsistance du gravier. Mes pas vous eussent réveillée si je n’avais pas eu l’impression de légèreté qui accompagne toutes mes rencontres avec le premier mot. Je ne sais pas jusqu’où je suis allé. Des oiseaux apparaissaient dans l’ombre, déjà criards. Ils me révélaient ainsi au monde que je voulais dépasser sans le quitter.

UNA - J’étais loin de soupçonner votre tourment ce matin en me réveillant.

MONOS - Je ne me tourmentais pas. Rien ne me forçait à ne pas aller plus loin et je ne souffrais pas d’y parvenir sans peine. Je me sentais...

UNA - ...inutile. Tandis qu’une espèce de joie m’envahissait, promesse vite envolée avec la vision globale de la chambre réduite à l’inventaire de ses objets. Je me suis sentie impatiente pendant une seconde, et prête à n’importe quel désordre. Mais vous n’étiez pas là pour me le dire.

MONOS - C’est peut-être ce que je cherche en lui.

UNA - Je ne comprends pas...

MONOS - Je cherche à le dire avec son corps !

UNA - Mais vous ne le connaissez pas.

MONOS -Pas aussi bien que vous, c’est entendu. Je n’ai pas vécu ce premier instant de la découverte. J’étais trop occupé à relever les détails de votre présence. Je voyais de près ce qu’ils regardaient de loin. J’ai mon idée...

UNA - Vos idées confinent l’être au personnage. Vous n’allez jamais plus loin que...

MONOS - ...que vous-même !

UNA - ...que ce que je vous inspire ! Je ne suis pas un personnage ! J’existe.

MONOS - Donc, nous existons. Ce qui n’implique pas que j’existe moi-même. Je suis peut-être votre personnage.

UNA - Mais je ne sais pas écrire !

MONOS - Ce qui complique tout...

UNA - ...et fragilise vos observations...

MONOS - ...surtout quand vous vous en prenez à un fruit...

UNA - ...et qu’un étranger me séduit d’assez loin pour ne pas exister...

MONOS - ...comme je voudrais qu’il existât.

 

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 Poésies de Patrick Cintas - Choix de poèmes (Patrick Cintas)
 Mélanges - Théâtre de Patrick Cintas

BIBLIOGRAPHIE
A propos de livres

ROMANS - Carabin Carabas, Rendez-vous des fées, Les baigneurs de Cézanne, BA Boxon, Coq à l'âne Cocaïne, L'enfant d'Idumée, Cicada's fictions, Le paillasse de la Saint-Jean, Anaïs K., Gor Ur le gorille urinant, Gor Ur le dieu que vous aimerez haïr, caNNibales (12 romans), N1, N2, N3 (in progress, x romans), La trilogie française, « Avant-fiction », Phénomérides, Marvel, Les Huniers, Arto, Hypocrisies, Les derniers jours (mots) de Pompeo...
NOUVELLES - Mauvaises nouvelles, Nouvelles lentes.
POÉSIE - Chanson d'Ochoa, Ode à Cézanne, Chanson de Kateb, alba serena, Coulures de l'expérience, Analectic Songs, Fables, Jehan Babelin, En voyage, Grandes odes, Saisons, Haïkus dénaturés, Sériatim 1, 2 & 3...
THÉÂTRE - Bortek, Gisèle, Mazette et Cantgetno.
ESSAIS - ARTICLES - Actor (essais), Galère de notre temps (articles).
HYPERTEXTE - [L'Héméron].

Livres publiés chez [Le chasseur abstrait] et/ou dans la RALM (voir ci-dessous).
Quelquefois avec la collaboration de
[Personæ].

 

BIOGRAPHIE
A propos de ce chantier

« Le travail d'un seul homme... » - Ferdinand Cheval.
...Commencé dans les années 80, sans réseau mais avec un assembleur, basic et une extension base de données, le projet "électronique" de ce festin a suivi les chemins parallèles de la technologie informatique grand-public et la nécessaire évolution du texte lui-même.

Il faut dire qu'il avait été précédé d'une longue et intense réflexion sur le support/surface à lui donner impérativement, non pas pour échapper aux normes éditoriales toujours en vigueur aujourd'hui, mais dans la perspective d'une invention propre aux exigences particulières de sa lecture.

Le « site » a subi, avec les ans, puis avec les décennies, les convulsions dont tout patient expérimental est la victime consentante. Cette « longue impatience » a fini par porter des fruits. Comme ils sont ce qu'ils sont et que je ne suis pas du genre à me préférer aux autres, j'ai travaillé dans la tranquillité de mon espace privé sans jamais cesser de m'intéresser aux travaux de mes contemporains même les moins reconnus par le pyramidion et ses angles domestiques.

Et c'est après 15 ans d'activité au sein de la RALM que je me décide à donner à ce travail le caractère officiel d'une édition à proprement parler.

On trouvera chez Le chasseur abstrait et dans la RALM les livres et le chantier qui servent de lit à cet ouvrage obstiné. Et [ici], la grille (ou porte) que je construis depuis si longtemps sans avoir jamais réussi à l'entourer d'un palais comme j'en ai rêvé dans ma laborieuse adolescence. Mais pourquoi cesser d'en rêver alors que je suis beaucoup plus proche de ma mort que de ma naissance ? Avec le temps, le rêve est devenu urgence.

« À ceux-là je présente cette composition simplement comme un objet d'Art ; — disons comme un Roman, ou, si ma prétention n'est pas jugée trop haute, comme un Poème. » - Edgar Poe. Eureka.

 

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